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de mariage, puisque la possession ne leur suffirait pas pour réclamer les droits d'époux, et ne les dégagerait point de fournir leur preuve.

Il résulte de là que l'enfant qui est obligé de recourir à la preuve vocale pour établir sa filiation, est précisément celui qui n'a ni titre ni possession: or, il n'y a rien de moins susceptible d'être directement prouvé par témoins que le fait de la paternité, puisqu'elle n'est marquée par aucun signe matériel et visible la maternité elle-même, quand il n'y a ni titre ni possession d'état, échappe également aux yeux des témoins; la preuve vocale doit donc être ici plus difficilement admise, puisqu'elle est plus faible par ellemême; c'est pourquoi la loi ne l'admet qu'autant qu'elle est étayée d'un commencement de preuve par écrit, ou de quelques indices graves et constants.

Mais il n'en est pas ainsi du mariage: c'est un acte public et patent, précédé d'annonces, accompagné de solennités sensibles, célébré à la participation de plusieurs familles, et sous les yeux des témoins appelés, au nom de la loi, pour en attester l'existence à la société; il peut donc être directement l'objet de la preuve vocale, parce que les témoins peuvent dire qu'ils ont vu les contractants et entendu les paroles du contrat : il est donc conforme à la nature des choses que la preuve par témoins soit plus facilement admise en fait de mariage.

Les époux peuvent être privés de l'acte de célébration de leur mariage, et par conséquent exposés à perdre leur état dans trois circonstances principales :

S'il n'y avait point de registres publics dans le lieu de la célébration de leur mariage;

Si les registres publics qui existaient dans ce lieu ont été ensuite perdus par quelque accident;

Si l'acte de mariage a été inscrit sur feuilles volantes, ou arraché du registre, ou autrement altéré. Dans ce dernier cas, l'action criminelle pourrait avoir lieu, puisqu'il y aurait un délit à punir.

«

Dans les deux premiers cas, au contraire, l'action en recherche de la preuve ne peut être que civile, puisqu'il n'y a aucune manœuvre coupable à réprimer. La loi statue sur ces deux cas, en déclarant que, lorsqu'il n'aura pas existé de registres, ou qu'ils > seront perdus, la preuve en sera reçue tant par » titre que par témoins ; et dans ces cas, les mariages, > naissances et décès, pourront être prouvés tant par » les registres et papiers émanés des père et mère » décédés, que par témoins (46). »

On voit par cette disposition qu'en agissant au civil, le mariage peut être directement prouvé par témoins, et même sans commencement de preuve par écrit, lorsqu'il est constant qu'il n'y a pas eu de registres, ou qu'ils ont été perdus.

Mais pour entendre sainement ce texte, il est nécessaire de l'allier avec d'autres, et de bien distinguer les divers objets auxquels il s'applique; car, quoiqu'il parle de la preuve des naissances comme de celle du mariage, c'est dans deux sens bien différents.

Les registres de l'état civil ne sont pas seulement établis pour prouver la filiation ou la légitimité d'é

poux et de père, mais encore pour prouver l'àge des personnes, les époques des naissances et des décès : un homme peut être en paisible possession de son état, jouir de tous les droits qui y sont attachés, et néanmoins avoir besoin de son acte de naissance pour constater son âge; c'est dans ce cas seulement, et autres semblables, qu'il est permis de suppléer aux registres par la preuve vocale, sans commencement de preuve par écrit, parce que la filiation n'étant pas contestée et étant même assurée par la possession d'état, elle est alors étrangère à l'objet de la preuve. Il en serait autrement si celui qui demande à prouver sa naissance par témoins était en réclamation d'état; dans ce cas, il serait non recevable, si déjà il n'avait pas un commencement de preuve par écrit, ou des indices constants et graves en sa faveur (323) (a).

(a) Nous admettrons au contraire, tout en convenant que cette question divise encore aujourd'hui de très-bons esprits, qu'à défaut de titre et de possession d'état, la filiation contestée peut être établie par la preuve testimoniale toute nue, lorsqu'on se trouve dans l'un des cas prévus par l'article 46, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas été tenu de registres, ou qu'ils ont péri en tout ou en partie (V. t. 1er, p. 211, et note a de la même page). Suivant nous, l'article 46, qui est général et absolu dans ses termes, permet de prouver par tous les moyens possibles, non pas seulement certaines circonstances de la naissance, mais la naissance elle-même, c'est-à-dire l'accouchement de la mère et l'identité du réclamant. Cette facilité exceptionnelle accordée, suivant nous, par l'article 46 quant à la preuve de la filiation, s'explique d'une manière fort simple, en ce que le défaut d'acte de naissance est le fait le plus naturel du monde quand les regis

Il n'en est pas de même à l'égard du mariage; ici la preuve tombe directement sur l'état des mariés, parce qu'on ne peut être intéressé à prouver l'existence du mariage, que pour établir la légitimité des époux : c'est pourquoi l'article que nous venons de transcrire est applicable même aux époux qui sont en réclamation d'état (194).

Il résulte de là que quand un acte de mariage a été supprimé par des manœuvres coupables, la voie criminelle est ouverte et doit même, suivant la règle générale, avoir la priorité sur l'action civile.

En effet, on ne déroge à cette règle, en matière de filiation, que pour empêcher de remplacer, par une information faite au criminel, l'enquête qui est dé

tres de l'état civil n'ont pas été tenus ou ont été perdus; tandis qu'on doit voir avec beaucoup de défiance la réclamation de celui qui, dépourvu de la possession d'état, n'a pas non plus d'acte de naissance, bien que les registres soient d'ailleurs parfaitement en règle. C'est dans cette dernière hypothèse seulement que, dans notre opinion, les exigences sévères de l'article 323 doivent trouver leur place. A l'appui de cette solution, nous ferons encore remarquer que le même article 46 déroge également, et de l'aveu de tout le monde, à la règle qui veut qu'à défaut de titre, le mariage ne puisse être prouvé que par-devant les tribunaux criminels, ou bien, si la poursuite criminelle est impossible, sur la poursuite dirigée au civil par le procureur du roi. L'article 46, au contraire, permet aux particuliers de poursuivre par eux-mêmes la preuve du mariage devant les tribunaux civils. (V. les art. 198, 199 et 200; et, pour plus amples développements sur la preuve du mariage, hors des cas prévus par l'art. 46, nos observations placées à la fin de cette section III.)

fendue au civil; or, ce motif n'a point d'application à la cause du mariage, puisqu'il est permis d'en acquérir la preuve par témoins; donc on doit agir, dans cette cause, conformément au droit commun, qui veut que l'action criminelle soit préférée, sans qu'il soit nécessaire de recourir ensuite au tribunal civil (a); c'est pourquoi, lorsque la preuve d'une célébration légale du mariage se trouve acquise par le résultat d'une procédure criminelle, l'inscription du jugement sur les registres de l'état civil assure au

(a) Nous devons noter ici, avec tout le respect que nous devons à notre savant auteur, que le Code établit, quant à la preuve du mariage à défaut d'acte régulier, une règle bien différente de celle du droit commun. D'après le droit commun, la partie lésée par un crime ou par un délit peut porter son action, soit devant les tribunaux civils, soit devant les tribunaux criminels qui jugent le crime ou le délit. Seulement l'exercice de l'action portée devant les tribunaux civils est suspendu, tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action criminelle (V. C. inst. crim., art. 3); c'est ce qu'on exprime par l'adage déjà cité : Le criminel tient le civil en état. Au contraire le mariage non constaté régulièrement sur les registres de l'état civil ne peut, sauf les cas d'exception (V. art. 196 et 197), être prouvé que par le résultat d'une procédure criminelle, ou, si la poursuite criminelle est impossible, dans une instance civile sur l'action dirigée par le procureur du roi. Or tout cela est évidemment en dehors du droit commun. — Cette mission remarquable conférée au ministère public dans une matière civile n'est pas indiquée ou ne l'est que très-obscurément dans le texte à la fin de cette section. V. au reste les observations qui suivent cette même sec

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