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donc, par quelque accident, il vient à être privé de l'exercice de sa raison, ou si, par quelques erreurs de la nature, il ne l'a point acquis, la loi, trompée dans son attente, veut qu'il soit rétabli dans les liens de l'enfance, dès qu'on a la certitude qu'il est dangereux qu'il abuse de sa liberté soit envers lui-même, soit contre les autres : tel est le but de l'interdiction.

L'interdiction est l'effet d'un jugement rendu par l'autorité compétente, qui déclare un individu incapable des actes de la vie civile, et le prive de l'administration de sa personne et de ses biens.

L'interdiction est donc une chose grave, à laquelle on ne doit recourir que comme à un remède extrême, puisqu'elle a pour effet de rendre, pour ainsi dire, l'homme qui en est frappé, étranger à la vie civile et au commerce de ses semblables (a).

L'autorité compétente en cette matière est nécessairement confiée aux tribunaux civils, puisque d'une part l'interdiction est une question d'état, et que d'autre côté elle n'a lieu qu'à l'égard de ceux qui, par défaut de jugement, échappant à la vindicte publique, ne doivent point être poursuivis par la voie criminelle (6).

(a) L'interdit est étranger à la vie civile, non en ce qu'il est privé de tout ou partie de ses droits, mais en ce qu'il ne les exerce plus par lui-même (V. art. 505; Comp. art. 450).

(b) I. Sans doute les aliénés ne peuvent être poursuivis par la voie criminelle, même à raison de délits commis avant l'aliénation mentale, car la possibilité de la défense est une condition

C'est donc au tribunal d'arrondissement du domi

cile de la personne à interdire, que cette action doit être portée.

Nous diviserons ce chapitre en cinq sections:

Dans la première, nous traiterons des causes d'interdiction;

Dans la seconde, des personnes recevables à provoquer l'interdiction d'un individu ;

Dans la troisième, des formes suivant lesquelles on doit procéder à l'interdiction;

Dans la quatrième, des effets de l'interdiction;

Dans la cinquième, enfin, de la cessation des effets de l'interdiction.

sine quâ non de la condamnation en matière criminelle; mais ce n'est point pour ce motif que les questions d'interdiction sont de la compétence exclusive des tribunaux civils. Pour expliquer cette compétence, il suffit de dire, avec l'auteur, que les tribunaux civils sont en règle générale les seuls juges des questions

d'état.

II. Remarquons maintenant que l'interdiction prononcée ne produit point, par elle-même, une fin de non-recevoir contre l'application des peines criminelles, soit en empêchant l'exercice actuel des poursuites contre l'interdit, soit en effaçant la criminalité des actes commis pendant l'interdiction. L'interdiction n'a d'effet qu'en matière civile ; c'est-à-dire que les actes passés par l'interdit sont nuls de droit (V. art. 502), en vertu d'une présomption légale d'incapacité de contracter (V. art. 1125); mais en matière criminelle, l'interdiction ne constitue ni la preuve légale de l'absence d'intention criminelle, ni celle de l'impossibilité de la défense. Ce sont là des questions que les tribunaux criminels décideront en fait, suivant les circonstances.

SECTION PREMIÈRE.

Des causes d'interdiction.

Dans l'ancienne jurisprudence, la prodigalité était admise parmi les causes qui pouvaient faire remettre le majeur en tutelle: mais aujourd'hui il n'y a plus que l'état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur, qui puisse autoriser à prononcer l'interdiction de l'insensé ou du furieux (489).

Nous disons l'état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur; d'où résultent deux conséquences:

La première, qu'on ne pourrait demander l'interdiction d'un homme pour avoir fait quelques actes de fureur ou de folie, parce que des instants de transport, d'emportement ou d'ivresse ne caractérisent pas l'état ordinaire de celui qui s'y serait livré.

La seconde, qu'il n'est cependant pas nécessaire que l'imbécillité, la démence ou la fureur soient continuelles et sans intervalles, parce que, pour être dans un at habituel de déréglement d'esprit, il n'est pas nécessaire d'extravaguer continuellement.

L'état d'imbécillité résulte de la faiblesse des organes et de l'absence des idées; il est ordinairement** continuel.

La démence provient non de la faiblesse, mais du dérangement des organes : elle peut être plus ou moins continuelle ou intermittente, suivant que leurs fonctions sont altérées sous un plus ou moins grand nombre de rapports.

La fureur, qui n'est que l'état de démence porté au plus haut degré, provient tout à la fois et du dérangement et de la contraction des organes dont la discordance, dans leurs fonctions, porte le furieux à des mouvements dangereux pour lui-même et pour les autres. Cet état n'est ordinairement pas continuel, et ne saurait guère l'être, parce que les forces vitales ne pourraient pas suffire à une existence toujours exágérée.

Quoi qu'il en soit, tout majeur qui se trouve dans l'un ou l'autre de ces cas, doit être interdit, lors même que son état présente des intervalles lucides.

Nous disons tout majeur, parce que le mineur étant, de droit commun, sous la tutelle, il n'y a pas la même nécessité de recourir, pour lui, au remède extraordinaire de l'interdiction.

Le mineur, même en état de démence, ne doit donc pas être interdit: mais peut-il l'être ?

La commission du conseil d'état, chargée de présenter le projet du Code à la discussion, avait adopté la négative; elle proposait, en conséquence, un article suivant lequel la provocation en interdiction ne serait point admise contre les mineurs non émancipés; mais M. Locré nous apprend que cette disposition fut rejetée sur les observations de la cour de cassation, par le motif que, si cette action ne pouvait être admise qu'à la majorité, I intervalle de la demande au jugement pourrait être employé à ratifier les actes ruineux faits en minorité : d'où il faut conclure qu'il serait permis de provoquer même l'interdiction d'un mineur

en démence, et que le juge devrait la prononcer, si sa conduite paraissait l'exiger, pour prévenir les abus qu'il pourrait faire du premier usage de la liberté, comme s'il était question de le soustraire à la rapine des usuriers qui auraient déjà traité avec lui, ou à la séduction de ceux qui le porteraient à s'engager dans le mariage (174 et 175), malgré son état d'incapacité naturelle.

Il y a donc cette différence entre le majeur et le mineur en démence, que le premier doit être interdit, dès que son interdiction est demandée, sans que le juge ait à examiner autre chose que le fait de la démence habituelle et la qualité de celui qui poursuit l'action; tandis que le mineur ne doit pas, mais peut être interdit suivant que son intérêt exige, ou non, le recours à cette voie extraordinaire.

SECTION II.

Des personnes recevables à provoquer l'interdiction d'un
citoyen (a).

Nos intérêts sont la mesure de nos actions: c est ici une action de famille, parce qu'il y a solidarité d'honneur et d'affection entre les membres qui la composent. Il peut être intéressant pour eux de prévenir la ruine de l'insensé et de conserver sa fortune; mais ils peuvent aussi être jaloux de cacher son infir

(a) V. la note b de la p. 335; V. aussi t. 1, p. 109 et suiv.

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