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Une difficulté de même nature a été soumise au tribunal des Conflits (24 novembre 1888, commune de Saint-Cyr-du-Doret). L'alignement avait été délivré par le préfet conformément au plan du chemin de grande communication, mais la commune s'opposait à la prise de possession du terrain laissé en dehors de cet alignement, parce qu'elle voulait le conserver pour en faire une gare de matériaux. Le tribunal a jugé que ce terrain, par l'effet de l'approbation du plan d'alignement, n'était pas de plein droit attribué au propriétaire riverain et que l'autorité judiciaire avait qualité pour prononcer sur les contestations auxquelles pouvait donner lieu l'exercice du droit de préemption invoqué par le propriétaire.

Dans cette espèce, la difficulté provenait de ce que le plan d'alignement du chemin n'avait pas été convenablement établi. Elle ne se serait pas produite si les alignements avaient englobé dans l'assiette du chemin l'emplacement de la gare de matériaux. Les limites susceptibles d'être approuvées par l'autorité compétente peuvent, en effet, embrasser toutes les dépendances que comporte le chemin et, en particulier, les gares nécessaires au dépôt des matériaux, ainsi que l'a reconnu un arrêt du Conseil d'État du 3 août 1877 (Cavelier de Mocomble).

En définitive, la cession des terrains laissés en dehors des alignements approuvés donnerait lieu à peu de difficultés si l'Administration avait soin de compléter les plans de traverse, le cas échéant, par des plans de voirie urbaine, ou bien encore si l'Administration veillait à ce que les plans portant fixation des limites des chemins renfermassent tous les ouvrages accessoires nécessaires à l'usage de ces chemins.

237. Des contestations relatives au droit de préemption. - Les difficultés auxquelles donne lieu l'exercice du droit de préemption conféré aux riverains sont de la compétence de l'autorité judiciaire (C. d'État, 26 juin 1869, Videau; 22 janvier 1886, veuve Lambert; Trib. des Confl., 24 novembre 1888, commune de Saint-Cyr-du-Doret).

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Si les

238. Cas où la cession a lieu à l'amiable. propriétaires riverains font, dans le délai qui leur a été assigné, leur soumission de se rendre acquéreurs du sol et si l'accord s'établit sur le prix, la convention est soumise à l'approbation du conseil municipal et du préfet.

Toutefois, si le préfet avait approuvé une délibération prise par le conseil municipal à l'effet de voter l'aliénation aux prix et conditions acceptés par les propriétaires riverains, l'acte constatant cette aliénation n'aurait pas besoin d'être homologué par le préfet (1) (C. d'État, 6 juillet 1863, Delrial; 28 juil let 1864, Bandy de Nalèche).

239. La vente des parcelles constitue un contrat de droit commun (Circulaire du Ministre de l'Intérieur en date du 17 octobre 1864; - C. d'État, 9 janvier 1868, de Chastaignier; 23 janvier 1868, Quizille).

Il en résulte que l'autorité judiciaire a seule le pouvoir : Soit de statuer sur la validité de cet acte (C. d'État, 1er juin 1870, Hardaz de Hauteville; 3 février 1893, Nast; Cass., 29 janvier 1889, Chopy);

or

Soit de prononcer sur son interprétation et son application (C. d'État, 10 février 1859, Ragot).

240. Cas où la cession n'a pas lieu à l'amiable. A défaut d'arrangement amiable, la valeur des terrains doit être fixée par des experts nommés dans « la forme déterminée par l'article 17 ».

Telles sont les seules indications de l'article 19 de la loi du 21 mai 1836. L'Instruction générale sur le service des chemins vicinaux les développe dans son article 38. Le propriétaire doit nommer son expert dans le délai de quinze jours; le second expert est nommé par le sous-préfet. Les deux experts, après

(1) Voir, à ce sujet, deux circulaires du Ministre de l'Intérieur des 24 février et 17 octobre 1864, relatives aux ventes de terrains communaux.

avoir prêté serment, procèdent à l'évaluation du sol. En cas de discord, le tiers expert est nommé par le conseil de préfecture.

Quel est le rôle ainsi attribué aux experts? Les auteurs sont divisés sur ce point.

D'après les uns, la décision des experts n'est pas définitive. C'est un simple avis destiné à éclairer le juge qui ne peut être que l'autorité judiciaire, par la raison qu'il s'agit du prix de vente d'un immeuble communal.

Suivant les autres, les experts constituent de véritablesarbitres. Cette opinion paraît se dégager du rapprochement desarticles 15, 17 et 19 de la loi du 21 mai 1836. Dans ces trois articles, le législateur a prescrit des expertises à l'effet de régler les indemnités dans les cas prévus par chacun d'eux. Mais c'est seulement dans les articles 15 et 17 que le législateur a indiqué l'autorité qui devait fixer l'indemnité, c'est-à-dire le juge de paix dans le premier de ces articles et le conseil de préfecture dans le second. Aucune autorité n'est désignée à l'article 19, qui décide, au contraire, que la valeur du sol sera fixée par les experts.

La mission des experts semble dès lors consister en un arbitrage soumis aux règles des articles 1003 et suivants du Code de Procédure civile, et notamment à celles de l'article 1018, qui oblige le tiers arbitre à se conformer à l'un des avis des autres arbitres. Cette doctrine est celle qui a été adoptée par le ministère de l'Intérieur (1).

La Cour de Cassation n'a pas encore été appelée à se prononcer à ce sujet. Le Conseil d'État a été saisi de requêtes tendant à annuler la décision préfectorale qui avait approuvé les conclusions du tiers expert, et il a rejeté ces requêtes. Il a fait remarquer que la rétrocession des parcelles délaissées forme un contrat de droit commun et que les contestations auxquelles donne lieu l'exercice du droit des propriétaires riverains doivent être portées devant l'autorité judiciaire (9 janvier 1868, de Chastaignier; 23 janvier 1868, Ouizille). Le Conseil d'État a, d'ailleurs, eu l'occasion d'annuler un arrêté par lequel un conseil de préfecture avait fixé le prix des terrains cédés à un rive

(1) GUILLAUME, Traité pratique de la voirie vicinale, no 30. DELANNEY, De l'alignement, p. 306. — Voir, au Recueil Lebon, la note sous l'arrêt du 9 janvier 1868, de Chastaignier.

rain, et il a de nouveau rappelé la compétence de l'autorité judiciaire en pareille matière (27 avril 1877, Clergeaud).

241. Cas où les riverains ont renoncé à leur droit de préemption. - Dans le cas où les propriétaires riverains. ont déclaré renoncer au bénéfice de l'article 19 de la loi du 21 mai 1836, ou bien encore s'ils n'ont pas fait leur soumission ou nommé leur expert dans le délai qui leur a été assigné, le sol du chemin peut être aliéné dans les formes déterminées pour la vente des terrains communaux (Instr. gén., art. 40).

242. Destination du produit de la vente des terrains. — Le prix de vente des terrains retranchés de la vicinalité a le caractère d'une ressource communale extraordinaire. Il ne figure pas nécessairement parmi les ressources de la vicinalité. Il ne peut être affecté aux dépenses des chemins vicinaux qu'en vertu d'une délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet (Instr. gén., art. 41).

§ 5. - Dommages causés par la suppression des droits de vue et d'accès sur les terrains retranchés de la vicinalité

213. Il peut se faire que l'aliénation des terrains retranchés de la vicinalité prive certains propriétaires des droits de vue et d'accès qu'ils exerçaient sur la voie publique. Ce résultat peut se produire dans diverses circonstances: par exemple, lorsqu'un riverain prend possession d'un terrain détaché du chemin par voie d'alignement, alors qu'un propriétaire voisin jouissait, par le côté latéral de son immeuble, de jours ou d'accès sur ce terrain.

La jurisprudence a établi que les riverains n'ont aucun droit de servitude sur la voie publique (Cass., 11 février 1879, Cuvelier). L'Administration est donc absolument maitresse d'ordonner les modifications, redressements ou suppressions qu'elle juge utiles (Cass., 25 février 1880, Lisse; 4 août 1880, Defrémont).

Le déclassement total d'un chemin convertit la voie en propriété privée, et il fait cesser tout droit de passage ou de vue

(C. d'État, 6 août 1852, Mathias. - Cass., 16 mai 1877, Delaby; 11 février 1879, Cuvelier; 4 août 1880, Defrémont).

Mais, en cas de déclassement total ou partiel, les riverains lésés peuvent faire valoir leur droit à une indemnité (Cass., 11 février 1879, Cuvelier; 25 février 1880, Lisse; C. d'État, 8 décembre 1882 et 8 août 1888, Bourqueney; 8 août 1890 et 4 janvier 1895, Descosse).

C'est au conseil de préfecture, sauf recours au Conseil d'État, qu'il appartient de statuer à ce sujet, si toutefois les riverains n'excipent d'aucun titre particulier dont l'interprétation soit de la compétence des tribunaux ordinaires (Décret sur conflit, 24 juillet 1856, Bégouen; 8 décembre 1859, Fiquet; — Trib. des Confl., 15 novembre 1879, Auzou; 26 juin 1880, Dor).

L'indemnité doit d'ailleurs être réclamée, non à l'acquéreur du terrain (Cass., 25 février 1880, Lisse), mais à la commune (Cass., 15 juillet 1851, Rouffigny; 3 mai 1858, Jolliot).

§ 6. Aliénation de tout ou partie d'un chemin vicinal provenant du classement d'une portion de route nationale délaissée

211. Lorsqu'une portion de route nationale, abandonnée par suite d'un changement de tracé, a été classée comme chemin. vicinal par un décret qui a fixé les limites de ce chemin, ce décret a pour effet de dessaisir l'État de tous ses droits sur le sol ainsi classé. Il appartient, en conséquence, aux communes de revendre à leur profit, sous réserve du droit des riverains, les terrains que le rétrécissement ou l'abandon ultérieur de la voie. viendrait à rendre disponibles (Instruction du Directeur général des Domaines en date du 1 avril 1879, art. 110).

Nous avons fait savoir, au no 86, qu'actuellement les portions de route nationale délaissées sont purement et simplement remises au département ou aux communes pour recevoir l'affectation indiquée dans la délibération du conseil général ou des conseils municipaux. L'État abandonne alors ses droits sur toute l'étendue de l'ancienne route, de telle sorte que, si l'assiette du chemin vicinal n'occupe qu'une partie de la largeur de cette ancienne route, l'aliénation des excédents s'opère, sous la réserve du droit des tiers, au bénéfice des communes.

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