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Cette proposition est au surplus développée dans le chapitre premier, auquel je renvoie mes lecteurs.

Je m'attends à des objections, non à des persécutions, parce que le roi est juste, et que je crois ses ministres honnêtes gens.

Les objections qu'on peut faire sont d'une double espèce ou contre l'ouvrage en général, ou contre les observations en détail.

On prétendra peut-être qu'il n'est pas permis à un sujet de censurer une loi publique; que le roi ne peut pas se tromper; que c'est vouloir déconsidérer le gouvernement, et engendrer le mécontentement, que de se permettre de pareilles

discussions.

Le roi ne peut pas se tromper! Cela ne peut pas venir dans la pensée d'un prince chrétien: quelque élevé et quelque sacré que soit son caractère, il sait qu'il est homme, et sujet à des erreurs comme toute la race humaine, et aux surprises beaucoup plus. «Les rois, disait l'un des plus grands pères de l'église, publient des lois; mais ces lois ne sont » pas toutes utiles, parce qu'ils sont hommes. >>

>>

Et d'ailleurs, dans une loi surtout de droit privé, ce n'est pas le roi qui se trompe, ce sont bien évidemment ses conseillers et ses ministres.

I

Il n'est pas permis à un sujet de censurer une loi!

Reges ferunt leges, nec omnes sæpe utiliter: homines enim sunt. S. Chrysost., Homil. ad popul. Antioch., cap. 16, n. 2.

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Où la défense est-elle écrite ? Et pourquoi s'adresset-on à la raison des sujets, en motivant une loi? N'est-ce pas pour les persuader? Et la persuasion sera-t-elle libre, si l'on ne permet pas aux objections de naître ?

Je puis me pourvoir contre un rescrit particulier du prince, s'il blesse mon droit, dire qu'il a été surpris à sa religion, demander qu'il soit révoqué et que l'on n'y ait aucun égard; et je devrai rester muet si une loi me paraît préjudiciable à moi et à tous mes concitoyens! La communauté d'intérêts, celle des mœurs et des souffrances qui peut en dériver, n'est-elle pas un motif encore plus décisif de rompre le silence?

Les princes les plus absolus, mais qui étaient éclairés en même temps, n'ont jamais été de cet avis. Catherine de Russie, le grand Frédéric, provoquérent publiquement les opinions de ceux mêmes de leurs sujets qui n'étaient pas revêtus d'emplois publics, sur les matières législatives; et ils ne croyaient pas que leurs avis fussent moins bons parce que ceux qui les donnaient n'étaient pas revêtus de pourpre, chamarrés de cordons, et ne touchaient pas de gros appointements.

Le roi Charles-Félix lui-même, dans l'édit qui fait l'objet de nos observations et dans d'autres, ne tient-il pas compte des plaintes, des regrets, des vœux de ses sujets? Le vœu d'une nouvelle loi n'est

il

pas une censure de la loi qui existe, et dont on désire la correction?

Si ces plaintes, ces regrets, ces vœux, ne sont pas criminels pris collectivement, le seraient-ils lorsqu'on les énonce isolément, et lorsqu'on les étaie de bonnes raisons?

Les exemples d'une telle discussion sont, à la vérité, rares en Piémont. Il y en eut cependant. Je me rappelle un livre où le comte Vasco proposait déjà la publicité et la spécialité des hypothèques, et divers perfectionnements dans l'ordre judiciaire'; ainsi qu'un ouvrage de M. de Bernardi sur les locations, et le Sguardo del Piemonte, où l'auteur proposait la réforme de quelques lois, de quelques institutions, et censurait quelques abus. VictorAmédée III, prince généreux et éclairé, récompensa l'auteur (M. l'avocat Lanzoni) par un emploi. Un Génois, il y a environ deux ans, imprima un livre pour prouver qu'on devait conserver à Gênes et rétablir en Piémont le système hypothécaire ; et il dédia son livre à M. le marquis Brignole, ministre, et premier secrétaire des finances. Un Piémontais, à pareille époque, publia aussi de bonnes réflexions sur le commerce des blés, et contre les lois. dites de l'Annona. Un autre ministre lui sut bon

Le comte Vasco mourut ensuite dans une prison d'état ; mais ce n'est pas pour ce livre ni à l'oocasion de ce livre.

gré de l'ouvrage, et lui procura des fonctions honorables auprès de lui.

Il y a peu d'années qu'une loi rendue à Milan, sur la censure, autorisa expressément la publication d'ouvrages de cette nature. Environ vers cette époque, un jurisconsulte de Milan démontra, dans un livre bien conçu et bien rédigé, la nécessité d'admettre la défense en matière criminelle contre ce qui se pratique dans les états autrichiens.

On pourrait me taxer d'ingratitude si je ne parlais ici de l'indulgence que j'ai moi-même éprouvée lors de la publication que je fis de six volumes, et de deux livraisons du septième, des Opuscoli politico-legali, sous le nom emprunté d'un avvocato milanese, originario Piemontese. On vit l'autorité, à la suite de ces discussions, revenir sur plusieurs maximes, en modifier d'autres, notamment des actes législatifs, des décisions judiciaires, et même des brefs de la cour de Rome, dans le sens de ces discussions; et tout le monde sait que la tendance était auparavant tout opposée'.

1 Un ordre privé du roi déclara que les ci-devant religieux, étaient habiles à succéder, après que le sénat avait déjà rendu un arrêt qui leur était défavorable. On sursit aux lettres-patentes de validation de testaments et autres actes de cette nature, qui dérogeaient à des droits acquis. Les commissions (créations de juges particuliers sous le titre de délégations), ainsi que tous les rescrits de grâce, en matière civile, devin

C'est vouloir déconsidérer le gouvernement, et engendrer le mécontentement ! Mais ne conçoit-on pas que, si les observations ne sont pas fondées, elles tombent dans l'oubli, et même dans le mépris; et que si elles sont fondées, et cependant négligées par les conseillers de la couronne, il faut alors imputer à ceux-ci et le mécontentement du peuple, et la déconsidération dont ils voudraient se plaindre?

Une mauvaise critique fait ressortir un bon ouvrage, comme le soleil paraît plus brillant lorsque les brouillards sont dissipés.

rent beaucoup plus rares. On apporta des modifications et des restrictions à la résurrection des fidéicommis et autres substitutions. On facilita et on pressa singulièrement l'abolition des droits féodaux et des dîmes. On concilia les droits de banalité avec ceux des nouvelles propriétés, qu'auparavant on faisait démolir. On respecta en général beaucoup plus et les jugements rendus sous le régime français, et tous les droits acquis en vertu des lois françaises. On eut un peu plus de considération pour ceux qui avaient rempli des fonctions publiques du temps des Français. On donna une indemnité aux émigrés de Savoie et de Nice, qui n'étaient pas de véritables émigrés relativement au Piémont, n'ayant pas quitté le territoire de l'état; et on tranquillisa les acquéreurs de biens nationaux. On maintint l'affranchissement des bénéfices simples et chapelles laïques, et les biens qui y étaient affectés furent considérés comme propriétés privées. On abolit presque entièrement les dispositions de la loi restrictive des locations des biens ruraux. On s'appliqua (plus ou moins heureusement) å la confection d'une nouvelle organisation judiciaire. On prêta une

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