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Il a fallu encore faire différents essais de ces dispositions converties en lois, différentes réformes de ces mêmes lois, une nouvelle pratique suffisante de ces mêmes dispositions réformées, pour qu'elles acquissent le sceau rassurant de l'expérience.

Déjà on avait imaginé, dès les temps les plus reculés, de donner aux propriétés territoriales une divisibilité factice et abstraite, plus grande que la divisibilité matérielle dont elles sont susceptibles. Au moyen de différentes conventions, on a créé des fractions de propriété, telles que les rentes foncières, les emphytéoses, les servitudes réelles, l'usufruit, l'usage, l'habitation, et les créances hypothécaires.

Il résultait cependant de tout l'ensemble de ces droits immobiliers, un amoncellement, un croisement, et une obscurité qui mettaient dans une grande incertitude leurs possesseurs, qui donnaient lieu à de grands et interminables procès, et qui empêchaient que les acquisitions ou transports de ces droits pussent se faire avec célérité et sûreté.

Depuis des siècles on a cherché et essayé, dans différents pays, différentes méthodes pour parer à ces inconvénients et surtout pour donner des garanties aux acquéreurs et aux prêteurs.

Les Grecs, et, à leur imitation, les anciens Romains, plaçaient sur les biens-fonds hypothéqués des signes visibles, c'est-à-dire des affiches sur un poteau élevé, qui indiquaient les créances et les noms des créanciers; cet excès de publicité était non seulement désagréable, mais incommode et embarrassant: lorsque les héritages se divi

saient, les créances se multipliaient, et il se faisait, ou des transports de ces créances elles-mêmes, ou des aliénations de biens-fonds ou même des parties de ces biens-fonds.

Cet usage avait disparu à Rome du temps des empereurs; mais on ne sut pas alors trouver un moyen terme qui assurât une publicité convenable, et qui n'eût pas les inconvénients de l'ancien mode.

La Belgique et les provinces de France appelées pays de nantissement ont eu long-temps un mode particulier de publicité dont ils ont ressenti les plus heureux effets, et qui leur était en conséquence bien cher.

Il faut entendre le parlement de Flandre lui-même, et ses vives remontrances dans une occasion importante, pour se convaincre de cette vérité non seulement historique, mais expérimentale, et, en conséquence, incontestable de toute manière.

Voici comment il s'exprima lorsqu'il refusa d'enregistrer l'édit de 1771 sur les lettres de ratification qui abolissaient, dans un de ses articles, le nantissement :

La publicité des hypothèques, disait cette cour souveraine, doit être regardée comme le chef-d'œuvre de la sagesse; comme le sceau, l'appui, et la sûreté des propriétés; comme un droit fondamental dont l'usage avait produit dans tous les temps les plus heureux effets, et avait établi autant de confiance que de facilité dans les affaires que les peuples belges traitent entre eux. Par cette forme, toutes les charges et hypothèques étaient mises à découvert; rien n'est plus aisé que de s'assurer de l'état de chaque immeuble par la seule inspection des

registres. Les hypothèques se conservent de la même manière dans les Pays-Bas français, autrichiens, hollandais, et dans les pays de Liége; et les peuples de ces différentes dominations font entre eux une infinite d'affaires avec une confiance entière.

Le gouvernement n'insista pas, et retira l'édit pour ce qui concernait le ressort dudit parlement.

Nous ne parlerons pas des législations particulières à quelques pays d'Allemagne, où furent établis aussi des modes de publicité des hypothèques ; et nous nous arrêterons plutôt à ce qui fut fait à cet égard en France, puisque la loi française était la nôtre il y a peu de temps, et que l'édit nouveau est en grande partie calqué sur elle, quoique avec un mélange de dispositions anciennes et d'autres introduites par l'édit lui-même, que nous examinerons dans la suite.

Diverses tentatives furent faites, même à des temps très reculés, pour généraliser un système de publicité d'hypothèques en France.

Elles ne réussirent pas avant la révolution, soit à cause des intrigues des gens de cour qui aimaient à faire des dettes impunément et d'une manière occulte, soit par l'influence de quelques jurisconsultes, dont les uns jugeaient par leurs habitudes, et n'aimaient pas les innovations, tandis que d'autres voulaient plaire aux hommes puissants, ou se laissaient de bonne foi entraîner par eux sans s'en apercevoir.

Un édit de Henri III, du mois de juin 1584, prescrivit l'enregistrement de tous les contrats hypothécaires; sept ans après, l'édit fut révoqué.

Sully avait désiré qu'aucune personne, de quelque qualité ou condition qu'elle pût être, ne pût emprunter sans qu'il fût déclaré quelles dettes peut avoir déjà l'emprunteur, à quelles personnes, sur quels biens '. Henri IV avait eu la même pensée que son ministre; mais leurs désirs ne s'accomplirent pas.

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Colbert y songea sérieusement et efficacement en provoquant l'édit du mois de mars 1673.

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D'Héricourt atteste que le régime que cet édit établissait avait toujours été désiré par les jurisconsultes les plus recommandables.

Les anciennes idées et les anciens abus l'emportèrent encore cette fois. L'édit fut révoqué l'année suivante. Il ne faut pas s'étonner de tant d'infructueuses ten

tatives.

Les découvertes en législation, en administration, en politique, ont été souvent aussi difficiles à faire, aussi tardives que celles qui sont du domaine des sciences naturelles. Il y a cependant une différence de succès.

Les découvertes dans les sciences naturelles, une fois faites, ne rétrogradent presque plus; elles se constatent plus facilement; les contradictions durent beaucoup moins; il y a beaucoup moins d'obstacle à en répandre la connaissance et l'usage.

Les nouvelles modifications dans l'administration, la législation, les nouvelles combinaisons politiques, ont beaucoup plus de peine à se faire jour, lors-même qu'elles

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· Mémoires, liv. xxvi.

Traité de la vente des immeubles, chap. 14.

sont très lumineusement établies. Ce n'est pas qu'elles soient moins intelligibles pour le commun des hommes; je dirais même qu'elles le sont davantage, du moins en grande partie, et peut-être surtout les plus importantes mais l'intérêt d'un petit nombre d'hommes ayant en leurs mains, ou le pouvoir, ou le crédit, ainsi que les habitudes, l'ignorance, et des préjugés longuement nourris, s'y opposent avec une grande force.

L'édit de 1771 sur les lettres de ratification, qui succéda aux décrets volontaires, fut une de ces améliorations partielles et imparfaites que le pouvoir concède quelquefois, sans sortir cependant de l'ornière des anciennes méthodes. L'obtention de ces lettres mettait un acquéreur à même de connaître les charges dont le

I

Voici l'origine des décrets volontaires et des lettres de ratification.

Le décret forcé était l'expropriation d'un débiteur par la justice. A l'occasion de l'expropriation, tous les créanciers hypothécaires étaient appelés à faire leurs oppositions à la distribution du prix. Le décret forcé affranchissait les biens adjugés des hypothèques en faveur desquelles il n'y avait pas eu d'opposition.

Pour la sûreté de ceux qui avaient acquis des biens par vente volontaire, on avait introduit l'usage des décrets volontaires, et on y observait la même forme. Les créanciers hypothécaires antérieurs à la vente étaient obligés, sous peine de déchéance, de mettre leurs créances à découvert. Le prix était alors distribué suivant l'antériorité ou le privilége de chacun d'eux.

Les frais de ces décrets volontaires étaient énormes : ils l'é · taient encore davantage s'il y avait surenchère.

Les lettres de ratification avaient simplifié et amélioré la procédure, mais ces deux mesures étaient également insuffi

santes.

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