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en mains, voyant s'élever de 10 à 20 fois, en 10 ans, leur valeur primitive. Dans l'espérance que les concessions augmenteraient toujours dans les mêmes proportions, les transactions ont porté sur des étendues considérables de terrains boisés. Or, il se trouve aujourd'hui que l'augmentation des terrains ne s'étant pas produite, les impôts et les frais de toute nature frappent lourdement les spéculateurs. Ceux-ci sont donc obligés d'abattre coûte que coûte. Il en résulte une surproduction et un avilissement général des cours qui atteint plus particulièrement les produits de qualité inférieure. Ceux-ci pourrissent dans les coupes.

Ces indications sont utiles à retenir. Du fait de la surproduction, il y a une dépression générale sur le marché mondial, et la mévente porte surtout sur les marchandises inférieures. Ne suivons pas l'exemple de l'Amérique. Gardons nos mauvais taillis et laissons-les croître, dussent les aménagements en souffrir. Allongeons encore, allongeons toujours nos révolutions. C'est l'avenir qui est en jeu aussi bien que le pré

sent.

A la spéculation sur les arbres debout s'est ajoutée, aux Etats-Unis, la spéculation sur les terres défrichées. Loin de reboiser après leur massacre effectué, les exploitants ne songent qu'à se débarrasser de leurs terrains dénudés. Bien entendu, cela se fait sans discernement. Il en résulte inévitablement que les terres de qualité inférieure sont vendues en même temps que les bonnes et au détriment d'autres, meilleures encore, qui se trouvent en dehors des voix d'accès. Le spéculateur ne garde que les bonnes terres et se défait des autres à vil prix. Quant arrivent les colons, ceux-ci discernent vite l'emplacement des bonnes parcelles qui, par le jeu de la concurrence, atteignent souvent des prix hors de proportion avec leur véritable valeur vénale. C'est encore l'agioteur qui, seul, a profité de ces errementsnéfastes.

Dans l'état de Washington, il y a 4 millions d'acres de forêts de Douglas Fir qui ont été défrichés et l'étendue des défrichements s'augmente de 150.000 acres par an. Une grande partie de ces terrains convient admirablement à l'agriculture. Ils restent cependant improductifs parce que les détenteurs actuels refusent de les vendre en spéculant sur une augmentation de prix. C'est évidemment l'intérêt général qui en souffre.

Les terres marécageuses et sablonneuses elles-mêmes, qui ne sont bonnes qu'au reboisement, sont l'objet de spéculations éhontées. Une réclame habile parvient à attirer une clientèle de naïfs qui achètent et se ruinent. Un grand nombre de petits employés perdent ainsi toutes leurs économies. Généralement ces terres reviennent à l'Etat en

paiement des impôts et sont achetées au prix de un dollar l'acre. Souvent aussi ce sont les propriétaires qui les rachètent à un prix dérisoire pour les revendre par les mêmes procédés et à de nouveaux gogos. L'ignorance et la bêtise humaine sont sans limites.

En Michigan, on estime que moins de 5 0/0 des terres ainsi achetées ont été vraiment occupées et mises en valeur par des pionniers. Nous avons vu également fleurir de tels procédés en Algérie et en Tunisie.La révolte du douar Adelia en est le plus récent épisode.

Pour en revenir aux Etats-Unis, il est possible que, dans une région lacustre, 40.000 personnes aient acheté, dans une seule année, des terres d'agrément; mais, comme la population totale du pays ne se monte qu'à 2.274 habitants, ce ne sont pas ces transactions qui peuvent contribuer d'une manière efficace au développement du pays. Il vaudrait infiniment mieux que l'Etat reprenne toutes ces terres en remboursements des impôts et les reboise. La main-d'oeuvre y affluerait et il se créerait ainsi des foyers actifs de repopulation.

Il n'est pas de bourgades, même modestes, qui puissent se développer et vivre sans recourir aux impôts. Or ces impôts sont perçus de façon très variable.

Il est curieux de voir ce qui se passe dans les agglomérations forestières flottantes. Tantôt ce sont les compagnies qui représentent le pouvoir local. En ce cas, les employés du fisc n'osent pas prélever la totalité des impôts. La ville est alors privée des améliorations que devraient lui procurer ses ressources. Les égouts, l'éclairage, les distributions d'eau n'existent qu'à l'état embrionnaire, ou font même complètement défaut. Tantôt, au contraire, les compagnies sont exclues des conseils municipaux, et ceux-ci voient en elles l'instrument du développement rapide de la cité. Les dépenses succèdent aux dépenses et les emprunts aux emprunts. Ces emprunts n'étant remboursables qu'à longue'échéance, il arrive le plus souvent que les compagnies forestières disparaissent avant l'échéance des derniers paiements, après avoir largement profité des travaux exécutés avec l'argent de la collectivité, et en laissant la cité dans un état voisin de la ruine, c'est ce qui s'appelle <«< faire Charlemagne ».

Non seulement ces pratiques sont démoralisantes, mais elles provoquent la disparition des agglomérations urbaines. Les propriétés imposables sont réduites au minimum et leur valeur s'abaisse en proportion de la réduction des habitants. Après de pareilles débâcles, des propriétés se vendent à un prix qui n'eût pas suffi, quelques semaines auparavant, à solder un mois de leur loyer.

Là même où le sol convient à l'agriculture, un déboisement rapide devient ruineux, car ce déboisement se fait avec beaucoup plus de rapidité que le développement des fermes et, dans l'intervalle, la communauté est appauvrie. C'est ainsi que Stewardson, qui représentait un capital immobilier de 896.862 dollars en 1904, ne valait plus que 18.815 dollars en 1914. La dépréciation a donc atteint 98 0/0 en 10 ans. De plus, la ville a une dette de plusieurs milliers de dollars pour construction de routes et de bâtiments publics.

Le déboisement est encore une cause d'évasion fiscale. Il est, en effet, des propriétaires qui ne paient leurs impôts qu'à partir du moment où le montant de ces derniers dépasse la valeur de la propriété. L'Etat, pour se faire payer, revend alors les terres pour la somme dérisoire d'un dollar par acre. Suivant qu'il y voit ou non son avantage, le propriétaire évincé rachète ou laisse passer. L'Etat perd nécessairement ce que gagne le spéculateur, augmenté des frais considérables de publicité et de vente.

Ces procédés se répètent avec une amusante continuité. Les terres, reprises par les compagnies syndiquées, sont revendues à des individus qui n'en tirent pas de quoi payer les impôts; elles sont à nouveau remises en vente par l'Etat et achetées par les mêmes compagnies. C'est la chanson du Petit Mousse mise en action:

Si cette histoire vous amuse,

Nous allons la (bis) recommencer.

Du fait de la déforestation, les voies ferrées subissent le même sort que les villes. A mesure que les arbres disparaissent les produits à transporter deviennent insuffisants pour couvrir les frais d'exploitation. L'agriculture, qui avait pris racine dans la région, se trouve privée de ses moyens d'échange et périclite. Elle aurait prospéré de plus en plus, au contraire, si elle avait pu prendre un solide point d'appui sur un commerce permanent des bois.

Un autre résultat fâcheux de l'instabilité de l'industrie forestière tient à l'effet produit par cette instabilité sur la population. Les hommes adonnés à cette industrie ne peuvent se fixer nulle part; ils ne peuvent donc se créer un foyer et élever une famille. Ceux qui voudraient s'attacher à un pays risquent de perdre leur situation ou sont menacés de ne plus pouvoir élever convenablement leurs enfants quand la population forestière émigre. En Western-Washington, 14 % seulement des forestiers sont mariés.

Au point de vue social, il est clair que le régime forestier des Etats

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FORÊT VIERGE DE HEMLOCK ET WHITE PINE EN PENSYLVANIE OCCIDENTALE

De tels peuplements sont aujourd'hui bien rares

et il ne reste à leur place que des étendues dénudées et dévastées par le feu.

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Ces terres portaient jadis d'épaisses forêts de résineux telles que celles de notre première figure. Ces forêts étaient le siège d'exploitations actives et de vie intense. Aujourd'hui, la région est déserte et couverte de trembles, cerisiers et fougères.

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Une grande partie des terres dévastées appartiennent à l'État qui fait des efforts pour les reboiser et y établir des centres forestiers permanents. A Pine Grove Furace, au centre d'une forêt de l'État, celui-ci est propriétaire, non seulement des bois, mais aussi de tous les baliments de la ville. Notre figure montre un bâtiment réparé qui sert actuellement d'hôtel.

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