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tendu n'y mettre d'autre frein, que le procès verbal de visite avant le départ ?

Nous avons vu que, même lorsque ce procès verbal est fait par des experts intelligens, attentifs et de bonne foi, le navire reconnu en bon état à son départ, peut devenir. innavigable en route, par quelque vice caché ou par son dépérissement naturel.

Et cependant peut-on toujours compter sur des visites exactes et attentives ?

Ne sait on pas avec combien de facilité les abus se glissent dans les actes qui ne sont pas faits d'une manière contradictoire, auxquels n'interviennent pas les parties intéressées. Et sur la foi de pareils procès verbaux, on établirait une présomption qui contrarie la nature des choses, qu'il n'est pas juste d'admettre, même en supposant que les visites soient toujours faites avec intelligence, attention et bonne foi.

Telle n'a pu être, telle n'a pas été l'intention de la déclaration de 1779.

Cette loi ne dit pas que, le navire ayant été visité avant le départ, l'innavigabilité survenue en route sera présumée avoir pour cause une fortune de mer.

Cependant une telle présomption qui, comme nous l'avons

vu,

n'est point dans l'ordre des choses, qui blesse le droit commun, ne peut se soutenir que par une loi positive; la loi intervenue sur cette matière ne l'établissant pas, c'en est assez pour l'exclure, puisqu'elle n'a dès-lors aucun fondement, ni dans le droit naturel ni dans le droit positif.

Mais non seulement la déclaration de 1779 rejète cette présomption, par cela seul qu'elle ne l'établit pas; elle me paraît encore l'exclure d'une manière expresse, puisqu'elle exige la vérification des avaries » qui pourront être surve

» nues dans le cours du voyage, par fortune de mer ou par » le vice propre de la chose; » puisqu'elle n'admet le droit d'abandon que lorsqu'il y a innavigabilité par fortune de mer, et que le navire a été condamné en conséquence.

Cette doctrine que j'oppose à celle d'Emerigon, qui me paraît la seule juste, la seule conforme à la déclaration du 17 août 1779, qui n'est, comme je l'ai observé plus haut pag. 435, contredite par aucune décision postérieure, a été accueillie par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix, qui me paraît trop important pour ne pas le rapporter ici.

Le sieur Paillason avait fait assurer le navire la Marie, de sortie de Marseille aux Isles de l'Amérique.

Depuis il avait déclaré en faire abandon à ses assureurs, comme étant devenu innavigable en cours de voyage, et les avait cités en paiement des sommes assurées.

Un jugement du Tribunal de commerce le débouta de sa demande; il déclara appel; mais le jugement fut confirmé.

L'affaire présentait plusieurs questions; mais on agita principalement devant la Cour, celle de savoir si l'innavigabilité en cours de voyage, est présumée fatale, ou si l'assuré doit prouver que cette innavigabilité procède de fortune de mer.

Voici les motifs principaux de l'arrêt.

» Considérant, en droit, que l'Ordonnance de 1681 » n'avait pas placé l'innavigabilité au nombre des sinistres > majeurs.

» La jurisprudence l'y avait ajoutée en la comparant >> au naufrage, et divers arrêts avaient déclaré que l'inna» vigabilité était présumée fatale, que c'était aux assureurs »à prouver le contraire, en justifiant qu'elle procédait du » vice propre du navire; la déclaration du 17 oût 1779

» intervint; le législateur déclare dans le préambule, que » l'intérêt personnel a donné lieu à des usages abusifs.

>> Elle ordonne, art. 1.er , qu'aucun vaisseau marchand » ne pourra prendre charge sans qu'il ait été constaté par un rapport de visite, qu'il était en bon état de naviga» tion, et que le rapport sera annexé aux pièces de bord. >> L'article 3 veut que, lorsque le navire sera prêt à re>> cevoir son chargement de retour il soit fait un second » rapport par des experts auxquels le rapport du premier » lieu du départ, sera présenté pour être récolé, et à l'effet » de constater les avaries qui pourraient être survenues » pendant le cours du voyage, par fortune de mer ou par le vice propre du navire.

» L'article 4 place l'innavigabilité au nombre des sinis» tres majeurs, dans le seul cas et sous les conditions qu'il » détermine.

>> Il ordonne que, dans le cas où le navire, par fortune » de mer aurait été mis hors d'état de continuer sa navi»gation, et aurait été condamné en conséquence, les assurés » pourront faire le délaissement à leurs assureurs sur corps, » mais en se conformant à l'Ordonnance de 1681 sur les » délaissemens.

Cet article ajoute que les assurés » ne seront toute fois » admis à faire le délaissement, qu'en représentant les pro»cès verbaux de visite ordonnés par les articles 1 et 3.

» D'après ce texte, il est de toute évidence que les assu»reurs n'étant responsables que de l'innavigabilité surve» venue par fortune de mer, la preuve de cette espèce » d'innavigabilité, doit être rapportée par l'assuré, pour » qu'il y ait lieu au délaissement.

» Les déclarations n'étaient de leur nature qu'interpré

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» Là déclaration de 1779 n'abrogea pás l'Ordonnance » de 1681; elle en ordonna au contraire l'exécution. Or » l'article 26 de l'Ordonnance de 1681, ne met à la charge » des assureurs, que les pertes qui arrivent par fortune de » mer; et l'article 46 n'autorise l'assuré à exercer l'action » en délaissement, qu'en justifiant de la perte.

et

» La déclaration de 1779 mit l'innavigabilité au nombre » des sinistres majeurs; mais n'en rendit responsable les » assureurs, que lorsqu'elle procède de fortune de mer >> soumet l'assuré à se conformer aux dispositions de l'Or>> donnance de 1681 qui l'oblige à prouver le sinistre ; il >>> est de toute évidence qu'elle met la preuve de la fortune » de mer, qui devait avoir produit l'innavigabilité, à la >> charge de l'assuré, puisque celui-ci ne devait plus avoir » droit au délaissement qu'en cas d'innavigabilité opérée » par fortune de mer.

» La preuve de la nature de l'innavigabilité qui peut » donner lieu au délaissement, ne peut être remplie que » par le demandeur qui l'allégue pour la faire supporter >> aux assureurs défendeurs.

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» Cette preuve est tellement à la charge de l'assuré, que » l'art. 4 ne l'admet au délaissement, qu'en représentant » par lui les procès verbaux de visite prescrits par les >> art. 1 et 3. Le procès verbal prescrit par l'article I est >> celui qui constate le bon état de navigation du navire avant le départ; le législateur veut qu'il soit récolé avec » l'autre procès verbal prescrit par l'article 3, qui doit >> constater les avaries qui peuvent être survenues pendant » le cours de la navigation, par fortune de mer ou par le »vice propre du navire, ce qui établit textuellement que c'est dans les pièces à représenter par l'assuré, que doit

» être renfermée la preuve de la nature de l'innavigabilité » par fortune de mer, ou par le vice propre du navire.

» Il est vrai que le procès verbal ordonné par l'art. 3, » n'est exigé que lorsque le navire est prêt à recevoir son » chargement de retour, et que le procès verbal ne peut » pas encore exister, și le navire devient innavigable dans » le cours du voyage d'entrée.

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» Mais puisque l'article 4 exige la représentation des »procès verbaux exigés tant par l'art. 3 que par l'art. 1, » pour que l'assuré soit admis à l'action en abandon pour » cause d'innavigabilité, il faut en conclure, non que l'ac» tion en innavigabilité ne soit admissible que lorsqu'elle a » lieu dans le cours du voyage de sortie ou de retour » mais que l'assuré exerçant l'action pour une innavigabi»lité survenue dans le cours du voyage d'entrée, doit être » muni d'une preuve équivalente au procès verbal dont parle >> l'article 3, pour justifier qu'elle procède de fortune de » mer ? comme étant soumis par le même article à fournir » la preuve du sinistre, en exécution de l'Ordonnance de 1681.

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» Le procès verbal prescrit par l'art. 1 isolément pris, >> ne peut faire preuve de l'innavigabilité par fortune de » mer; s'il justifie que le navire était en bon état lors du » départ, il ferait présumer que le navire n'est devenu in>> navigable que par son vice propre dans le cours du » voyage d'entrée, lorsqu'il ne conste pas qu'il ait éprouvé » de fortune de mer.

» La présomption d'innavigabilité par fortune de mer, » qui était admise par la jurisprudence avant la déclaration » du 17 août 1779, ne peut plus être invoquée depuis cette loi qui a été rendue pour corriger précisément les abus » de cette jurisprudence; elle a proscrit cette prétendue

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