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L'assurance est donc annullée et ne peut plus avoir d'effet, dès que le navire est parti pour une autre destination, que celle indiquée par la police, soit que le lieu de cette destination soit hors de la route de ce voyage, soit qu'il soit sur cette route et plus près du lieu du départ.

En est-il de même si le navire est envoyé dans un lieu plus éloigné, que celui de la destination du voyage assuré ? Nous avons déjà vu que, si les expéditions du navire concordent avec le voyage assuré, sa destination ultérieure pour un lieu plus éloigné, fait seulement que l'assureur est déchargé des risques, du moment que le navire dépasse le

terme.

Mais si, dès le départ, le navire a sa destination pour un lieu plus éloigné que celui indiqué dans la police, et que celui-ci se trouve sur la route, l'assurance est-elle valide ? La rigueur des règles et les principes établis me paraissent prononcer pour la nullité; cependant je ne peux citer aucune décision dans ce sens, quoiqu'on voie assez souvent des assurances qui ne portent que sur une partie du voyage du navire.

Dans ces assurances, je distinguerai celles faites par des propriétaires de marchandises, qui auront, par exemple, chargé, avec destination de Bordeaux à la Rochelle, sur un navire allant de Bordeaux à Nantes, et qui se seront fait assurer de Bordeaux à la Rochelle. Dans ce cas, outre que le navire a des expéditions qui ne sont point absolument exclusives du voyage assuré, le chargeur a son connaissement qui établit, quant à lui, la destination de l'objet assuré conforme à la police d'assurance.

Je ne mets pas de doute qu'un tel contrat ne soit valable. Quant au propriétaire du navire ou des marchandises dont l'assurance ne porte que sur une partie du voyage de l'objet

assuré, il peut dire que la destination du navire pour un plus long voyage, mais sur la même route, ne fait pas perdre de vue le voyage assuré, et n'est pas incompatible avec l'intention de faire ce voyage; que d'autre part il est permis à l'intéressé, de faire assurer l'objet en risque, soit pour l'entier voyage, soit pour une partie seulement; mais, en le prenant dans ce sens l'assuré doit déclarer que le voyage assuré n'est qu'une partie d'un plus long voyage relatif à la destination de l'objet assuré. L'assureur a d'autant plus lieu d'exiger cette déclaration, que souvent la circonstance que le navire a une destination ultérieure à celle indiquée par le contrat, peut augmenter le risque ou en changer l'opinion; or l'assuré, surtout dans le système du nouveau Code (Voyez n.o 199, not. ), ne doit rien dissimuler à l'assureur de ce qui peut influer sur cette opinion. J'avoue que j'ai peu vu d'exemples de pareille déclaration, et que je n'ai connaissance d'aucun litige où on se soit prévalu de son omission. Néanmoins, je le réitère, tous les principes me paraissent être contre l'assuré, et s'il a fait assurer par exemple, de Marseille à Barcelonne, un navire expédié pour Cadix, je suis d'avis que l'assurance est nulle, s'il n'a déclaré que le voyage assuré n'est qu'une partie d'un plus long voyage qui doit être fait par le navire.

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De quelque manière qu'on en juge, il faut toujours, lorsque l'assurance porte sur un voyage partiel, non seulement que ce voyage se trouve compris entre les deux extrêmes du voyage du navire, mais encore qu'il soit dans la route propre à ce voyage; ainsi l'assurance serait nulle, si les deux termes ou l'un des termes du voyage assuré, se trouvaient à droite ou à gauche et hors de la route propre au voyage légal du navire.

On m'a proposé la question suivante: un navire est assuré pour un voyage du Havre à Bordeaux, et retour; ses expéditions sont conformes au voyage assuré; le capitaine usant de la faculté de faire échelle qui lui est donnée par la police, aborde à la Rochelle où il décharge son navire, le recharge et fait son retour de ce port à celui du Havre.

Le navire est pris dans le voyage de retour.

Les assurés font délaissement et demandent le paiement de la somme assurée.

Les assureurs contestent et opposent qu'il y a eu changement ou rupture du voyage assuré; que le navire a terminé son voyage d'entrée à la Rochelle; et qu'il n'y a pas eu ni pû avoir de voyage de retour, puisque le navire n'a jamais été au lieu d'où il devait retourner ; que par conséquent il doit leur être payé les deux tiers de la prime, pour le voyage d'entrée, et qu'ils doivent être déchargés du risque pour le voyage de retour.

Les assurés prétendent au contraire que le voyage est seulement raccourci ; ils se prévalent de l'article 364 du Code de commerce, rapporté pag. 474; il n'y a, disent - ils, dans notre fait, et aux termes de cet article, ni changement ni rupture de voyage; il n'y a qu'un raccourcissement autorisé par la loi, et qui est tout au profit des assureurs. Ce raccourcissement porte sur le voyage d'aller et de retour, et fait commencer le voyage de sortie, là où a été terminé le voyage d'entrée.

Ce raisonnement des assurés me paraît absolument faux. On trouve dans Casaregis, disc. 67 déjà cité, un jugement dont l'espèce est semblable.

Une assurance avait été faite de Gênes à Alicante et

retour.

Le navire fut seulement de Gênes à Barcelonne d'où il

repartit pour Gênes

Il fut pris dans ce voyage de retour. Les assurés se pourvurent en délaissement; mais un jugement de la Rote de Gênes, considérant le voyage comme rompu, les déclara non recevables.

Il paraît que l'annullation porta sur le voyage entier, par le motif que, dès le principe, il y avait eu changement du lieu de la destination comme de celui du retour; ce qui, d'après les principes déjà posés, annullait le contrat, même quant au voyage d'aller de Gênes à Barcelonne.

Dans notre cas, la destination d'aller n'a pas été changée; il y a seulement différence quant au terme du départ pour le voyage de retour.

Que faut-il en conclure? Qu'il y a raccourcissement du voyage d'aller, ce qui, comme il a été dit, laisse subsister le contrat quant au paiement de la prime, et décharge les assureurs des risques ultérieurs du voyage d'aller.

Quant au voyage de retour, il est entièrement rompu, puisque le terme du départ désigné dans la police, n'existe plus; il faut, comme il a été dit, que le voyage assuré concorde tant avec le voyage légal, qu'avec le voyage réel du navire; ici le voyage légal et réel du navire est, pour le retour, de la Rochelle au Havre; tandis que le voyage assuré a son point de départ, de Bordeaux.

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Inutilement on allègue qu'en raccourcissant le voyage, a diminué le risque ; en premier lieu, comme l'observe Casaregis au lieu cité, il n'est pas toujours vrai qu'un voyage plus court, quoique sur la même route, présente de moindres risques. La qualité des parages; l'entrée ou la sortie plus ou moins facile, la station plus ou moins sûre, des ports où le navire aborde, où il fait son chargement ou son décharge

ment,

ment; diverses autres circonstances, font que souvent un voyage plus court, quoique sur la même route est considéré comme présentant de plus grands risques; en second lieu, il ne s'agit pas, pour juger de la validité du contrat de savoir si le risque du voyage du navire, est plus ou moins grand que celui du voyage assuré, mais si le voyage est le même, et ici il ne l'est pas.

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Le vice de l'objection deviendra plus sensible, en changeant les rôles. Je suppose que le navire fut arrivé à bon port et que ce soit les assureurs qui demandent la prime tant d'aller que de retour à l'assuré; celui-ci pourra leur répondre : il est juste que je vous paye la prime d'aller, elle vous est due aussitôt que le risque est commencé, et je ne puis me prévaloir de ce que je l'ai terminé avant d'arriver au terme du voyage assuré; mais quant au voyage de retour, la prime ne peut pas vous être due; le voyage est rompu par ce fait que je n'ai jamais été au lieu d'où je devais faire ce

retour.

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Ce raisonnement pourra être poussé plus loin et devenir plus pressant, si l'on suppose, comme je l'ai fait pag. 473, un navire qui, après avoir pris des expéditions de Marseille pour les Indes, aura, par quelque circonstance miné son voyage d'aller à Barcelonne, et sera de là revenu dans le port du départ; si, dans ce cas, il paraîtrait extraordinaire que l'assureur demandật la prime de retour des Indes, on doit reconnaître que, dans tous les cas, le voyage assuré de retour ne peut exister, lorsque le voyage d'aller n'a pas été accompli.

La conséquence est applicable aux assureurs comme aux assurés , il y a rupture du voyage pour tous.

Concluons que, dans l'hypothèse qui nous occupe, les

assureurs ont droit à la prime d'entrée, et sont responsables

Gg

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