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chargeurs, il continue sa route jusqu'à Marseille; selon l'interprétation ci-dessus, le propriétaire aurait pu faire assurer les 10,000 f. de fret qui lui auraient été dûs à Bordeaux, quoique par la continuation de la route ce fret cessât d'être acquis. Cette manière d'interpréter le mot fret acquis, a été, dit Emerigon, adopté dans la loge et paraît se concilier avec la déclaration de 1779.

Je ne suis pas du même avis, et je regarde la doctrine exposée par Emerigon (que je n'ai point vue autorisée par l'usage) comme une subtilité contraire au vrai sens de la loi et aux principes du contrat d'assurance.

D'abord, pourquoi vouloir que le mot fret acquis ait, dans la déclaration de 1779, ou depuis cette déclaration, une signification qu'il n'avait pas auparavant les lois prennent les mots dans leur propre signification; Eh! dans quelle confusion ne tomberions-nous pas, si, lorsque le sens qu'ils présentent nous embarrasse ou nous déplait, nous pouvions en donner un autre pour plier les lois à nos propres idées.

En second lieu, rien ne se prêtait moins à l'interprétation donnée, que la déclaration même de 1779, elle s'exprime de la sorte:

» Art. 6. Le fret acquis pourra être assuré et ne pourra » faire partie du délaissement du navire, s'il n'est expres» sément compris dans la police d'assurance. »

Cet article ne distingue point deux sortes de fret acquis, celui qui peut être assuré est le même qui n'est point compris dans le délaissement du navire lorsqu'il y aura

lieu.

Or il est convenu pár Emerigon qu'à moins d'une stipulation contraire, le fret qu'on aurait pu exiger à Bordeaux dans l'hypothèse précitée, redevient incertain, si le navire

t

, continue sa route jusqu'à Marseille, et doit faire partie du délaissement du navire assuré, dans le cas où il viendrait à périr; il n'est donc pas fret acquis, dans le sens de la déclaration de 1779, puisque le fret acquis dont elle parle, ne doit point faire partie du délaissement.

Il fallait donc entendre par fret acquis ce qu'on avait toujours entendu ; le fret gagné pour le transport des marchandises déchargées dans les Echelles, qu'a pu faire le navire ou celui payé par le chargeur à tout événement, Em. ass., ch. 8 > s. 8 ; il est vrai que ce fret n'était plus une chose en risque pour le propriétaire du navire, et que l'assurance sur les sommes ou marchandises provenant, n'était pas une assurance sur le fret proprement dit; mais ce défaut d'application scrupuleuse dans les termes de la loi, n'était point une raison d'en détourner le sens et de la mettre en contradiction avec elle-même, en donnant une double signification au même mot.

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en

La seconde partie de l'art. 6 de la déclaration de 1779, contenait une disposition peu conforme aux principes du contrat d'assurance, en ce qu'elle permettait d'excepter le fret à faire, du délaissement. L'assurance sur le navire est toujours cu presque toujours faite sur le corps, agrès, armement, victuailles, etc. Le corps dépérit dans le voyage, les agrès s'usent, les provisions se consument ; mais la moins value qui en résulte dans l'objet assuré, se compense par le fret que le navire gagne en avançant dans son voyage; cette raison et celle encore que le fret n'est qu'un accessoire ou produit du navire, avaient toujours fait considérer le délaissement fait à l'assureur comme lui transportant la propriété du navire et du fret.

La décl. de 1779, en autorisant des stipulations qui exceptassent le fret, du délaissement, mettaient l'assuré

dans le cas de gagner par le fait de l'abandon, puisqu'il avait d'une part en entier la chose assurée ou le prix, et de l'autre le fret; ce qui est contraire au principe du contrat d'assurance, qui ne doit être qu'un moyen de conservation et non de bénéfice.

Il y avait plus, l'assuré, par une telle stipulation, trouvait son profit dans le sinistre et son préjudice dans la conservation du navire; en effet, lorsqu'un échouement, un événement d'innavigabilité donnait lieu à l'abandon après que le voyage était considérablement avancé ou près du terme de sa destination, l'assuré gagnait à recevoir des assureurs le prix entier de son navire, armement ct,victuailles (le fret lui demeurant intact) tandis que si le navire arrivait à bon port, il n'avait avec ce même fret que la chose dont la valeur était considérablement diminuće, depuis que l'estimation en avait été faite dans la police.

Le Code de commerce a sagement réformé les dispositions de la décl. de 1779, en déclarant, art. 386, sans autoriser aucune convention contraire, que le fret des marchandises sauvées fait partie du délaissement et appartient à l'assureur, en comprenant même dans ce délaissement le fret payé d'avance.

L'article ne fesant pas d'exception, le délaissement doit comprendre tout fret payé d'avance, même celui qui l'aurait été à tout événement et auquel on peut donner le nom de fret acquis entre le chargeur et le fréteur, les stipulations entre ceux-ci sont étrangères à l'assureur , la loi pourrait être rendue illusoire si au moyen de conventions dans lesquelles il n'intervient point, on pouvait le priver du fret que la loi, d'accord avec les principes du contrat, déclare faire partie nécessaire du délaissement.

Mais le fret que le propriétaire a reçu des marchandises qu'il a déchargées dans le cours de la navigation, et qui est une autre espèce de fret acquis, doit-il également faire partie du délaissement?

Cette question est traitée par Emn., ass., ch. 17, sect. 9. Elle l'est aussi dans l'analyse des observations des divers Tribunaux sur le projet du Code de commerce, p. 100 et suiv. Emerigon se décide pour l'affirmative. Les rédacteurs de l'analyse demeurent indécis, la question est vraiment délicate; cependant nous aurions penché pour l'avis d'Emerigon, parce que les principales raisons d'après lesquelles le fret même payé d'avance et à tout événement doit faire partie du délaissement nous paraissent applicables au fret que le propriétaire du navire a reçu des marchandises déchargées dans le cours de sa navigation.

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Mais l'art. 386 du code parlant du fret payé d'avance, et non du fret payé définitivement pour les marchandises déchargées en cours de voyage; nous regardons cette disposition de la loi comme décidant littéralement que cette dernière espèce de fret ne fait point partie du délaissement.

Cette interprétation est confirmée par la disposition de 'art. 347; qui déclare nulle l'assurance du fret des marchandises existantes à bord, ce qui suppose que le propriétaire du navire peut disposer librement du fret des narchandises déchargées, lequel ne doit pius faire partie du délaissement.

Rien n'empêcherait que les parties fissent des conventions contraires; les dispositions de la loi, ni la nature du contrat n'étant un obstacle, à ce qu'on stipulât que le fret même des marchandises déchargées fit partie du délaissement.

Ces deux articles 347 et 386 correspondent (en le corrigeant à l'article 6 de la décl. de 1779.

Par leur résultat ;

Ils mettent, comme l'article 6, hors du délaissement et à la libre disposition de l'assureur, sauf convention contraire, le fret acquis, mais en le bornant au fret des marchandises déchargées dans le cours de la navigation et avant le sinistre.

Ils ne permettent pas de faire assurer et comprennent dans le délaissement, le fret quelconque des marchandises existantes à bord.

Enfin ils suppriment la faculté donnée par l'art. 6 de déroger à cette dernière disposition par des conventions

contraires.

37. L'Ordonnance défend bien de faire assurer le profit espéré des marchandises, tant qu'il n'est qu'espéré; mais lorsque le profit est fait et acquis, le marchand peut le faire assurer contre le risque qu'il court de ne le pas conserver. Par exemple, si un marchand qui a fait assurer pour le voyage et pour le retour une cargaison de valeur de cinquante mille livres qu'il avait sur un navire destiné pour le Cap Saint-Domingue, a eu avis que ses marchandises arrivées au Cap, ont été vendues avec un bénéfice très-considérable, et que ce qui en est provenu, chargé en retour, est de valeur de cent mille livres, il peut faire assurer les cinquante mille livres qu'il a d'augmentation; car c'est un profit fait et acquis.

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