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aurait pleinement décidé; mais je lui aurais observé que les grandes assemblées administraient mal; que si cent vingt-deux personnes ne suffisent pas à la ville de Paris, elle ne sera jamais administrée; que ses membres pouvaient s'occuper dans des comités, et qu'il n'était pas nécessaire que les autres tinssent toujours une assemblée; que les grands objets sont seuls réservés à la totalité des représentans, et que tous les détails doivent être expédiés par les comités présidés par le maire; et si l'on veut jeter les yeux sur ce qu'a fait l'assemblée les jours suivans, dans ses procès-verbaux des 2 et 3 août, on verra que ces objets devaient aller à des comités particuliers, et ne méritaient pas la tenue d'une assemblée générale.

Ce jour, on a élu M. Thouret président de l'Assemblée nationale, pour succéder à M. de Liancourt. On sait que M. Thouret a refusé la présidence ; j'en découvre la raison dans un passage de la Gazette de Versailles. A la nouvelle du résultat du scrutin, « une insurrection assez forte s'est fait >> apercevoir dans les bureaux et dans la cour, où >> beaucoup de personnes étaient réunies. Il paraît » que ce choix n'est pas, à beaucoup près, agréa» ble aux communes, dont plusieurs membres » parlent de protestation et de destitution » (Mercredi 5 août, no 18, p. 152.) Il n'est pas question, pour destituer, de savoir si un choix est agréable. M. Thouret ne pouvait être, d'aucune manière dans le cas ni de la destitution ni de la protesta

tion (1). Mais remarquons que l'abbé Sieyes avait eu 402 voix, et Thouret 406. Il y avait donc un combat à mort; deux partis s'étaient choqués, et le parti de l'abbé Sieyes a fait tout ce bruit qui a engagé Thouret à refuser. L'assemblée a fait justice, en ne nommant pas l'abbé Sieyes.

Hier, M. Petit, secrétaire de la mairie, était entré en fonctions auprès de moi. Aujourd'hui, un électeur, en qui j'avais beaucoup de confiance,

(1) Le lecteur a pu voir, dans les Mémoires de Ferrières ( Tom. I. Liv. III), l'explication que cet historien, donne de la démission de Thouret. Ferrières pense que Thouret était alors dévoué à la cour, et que le parti populaire le regardait comme une créature de l'aristocratie. Il ajoute que sa nomination fut sur le point d'occasioner des mouvemens violens et une scission effrayante. Cette explication diffère entièrement de celle de Bailly.

S'il nous était permis d'avoir une opinion dans cette circonstance, nous avouerions qu'elle se rapprocherait beaucoup plus de celle de Bailly que de celle de Ferrières. Il nous paraît peu constant que Thouret ait jamais embrassé le parti de la cour: avocat distingué de Rouen, avant la révolution, Thouret s'était toujours fait remarquer par une noble indépendance. Toute sa carrière politique prouve que ce seul sentiment régnait dans son cœur. Il semble donc qu'on l'accuse à tort de s'être vendu à aucun pouvoir quelconque. Il paraît beaucoup plus convenable de penser que sa nomination ne fut désagréable au parti populaire qu'en raison du désir qu'avait ce parti d'obtenir l'élection de l'abbé Sieyes. Notre opinion est encore confirmée par les Deux amis de la liberté qui présentent Thouret comme un député aussi distingué par son patriotisme que par ses talens, et qui couvrent d'une juste improbation les intrigues dirigées alors contre cet honorable citoyen.

Thouret, en donnant sa démission à l'ouverture de la séance du 3 août, prononça quelques phrases dont on remarqua, dans le temps, la sagesse et la convenance : « C'est en sentant tout le prix de l'honneur que vous m'avez déféré, dit-il, et qui ne pour

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m'apprit que la veille on avait parlé au PalaisRoyal du choix que j'avais fait de M. Petit; on s'était étonné que j'eusse pris pour secrétaire celui de M. de Flesselles; on le déclara suspect. On ne peut disconvenir que les soupçons qui avaient frappé ce magistrat, n'eussent enveloppé plus ou moins tout ce qui l'entourait. Il y aurait eu de l'imprudence à moi, en débutant dans ma place, de risquer de me rendre suspect en maintenant ce choix; cela me fit beaucoup de peine ; je l'annonçai à cet honnête homme, avec les ménagemens convenables; il sentit mes raisons, ne m'en sut pas mauvais gré, et n'a jamais laissé échapper une occasion de me marquer de l'estime : il a acquis la mienne. Je jetai les yeux, pour le remplacer, sur un jeune électeur, membre du comité des subsistances, M. Boucher (1); je pensais que les places

rait pas m'être ravi, que j'ai le courage de me refuser à sa jouissance, quand, sous d'autres rapports, il eût peut-être été excusable de penser que le courage était de l'accepter. J'aurai encore assez de force en cet instant; je prendrai assez sur moi-même pour sacrifier aux majestueux intérêts de votre séance des détails dont l'objet me serait personnel. Je sens bien que l'individu doit disparaître où les soins de la cause publique ont seuls le droit de se montrer et de dominer. Qu'il me soit seulement permis de dire que je suis capable et digne de faire à cette grande cause tous les sacrifices à la fois, et que c'est à ce double titre que je viens vous demander de recevoir mes remercîmens et ma démission. >> (Note des nouv. édit.) (1) Cet honneur qu'il obtint de Bailly lui coûta cher; il fut condamné à mort le 8 thermidor an II, enveloppé dans la disgrâce de son protecteur. édit.)

(Note des nouv.

honorables et avantageuses devaient appartenir aux électeurs qui s'étaient si bien montrés. M. Boucher était dans ce cas; réuni au corps, le 13 juillet, il avait signé tous les ordres du comité permanent, et en particulier celui de démolir la Bastille; ce qui n'avait pas été sans danger. Ses nombreux ennemis, qui n'ont pu lui rien reprocher, n'en ont pas fait autant. Il a d'ailleurs beaucoup d'activité; et ce qui me le fit remarquer, c'est beaucoup de talent pour faire les lettres importantes, pour saisir le point essentiel d'une affaire, le discuter avec sagacité, et le rédiger avec précision. Ces qualités me paraissaient le recommander pour la place: il le fut par beaucoup de personnes; mais je voulus prendre le temps de faire quelques informations sur son personnel que je connaissais peu.

Dimanche 2 août.-M. l'abbé Sieyes, MM. de Castellane et de Montmorency, tous trois députés, vinrent à l'Hôtel-de-Ville pour conférer avec les commissaires sur le plan de municipalité. J'ignore si l'abbé Sieyes a contribué à lui donner une forme bien républicaine; tout ce que je sais, c'est qu'il a été prévenu par M. Brissot de Warville (1). Celui-ci avait communiqué aux commissaires un plan qui, comme on le juge bien, était très-républicain. Ces commissaires firent de ce plan la base de leur travail. Je n'avais pas le temps d'aller à

(1) Rédacteur du Patriote Français, depuis conventionnel et chef du parti de la Gironde : condamné à mort par le tribunal révolutionnaire après le 31 mai 1793. (Note des nouv. édit.)

leur comité; j'en parlai à l'un d'eux, M. de La Noraie; je lui demandai ce que devenait le maire dans ce plan. Il me dit que la municipalité était partagée en huit départemens avec huit lieutenans de maire ; que je n'avais pas de département, mais que, n'en ayant point, je les avais tous par la surveillance; qu'à la vérité je n'avais pas la signature, mais que. le maire, quoiqu'il ne signât rien, ne ne laissait pas que d'avoir une grande autorité. Je ne goûtai pas beaucoup ces dispositions. Je voulais que le maire eût de l'autorité pour l'intérêt de la ville de Paris, qui a besoin d'une administration très-active. Mais je sentais le besoin d'une municipalité, je sentais la justice que ce fût la commune qui en fit une à sa fantaisie. Je laissai aller. Le mal a été que M. Brissot y ait eu tant d'influence; il a creusé une ornière d'où l'on n'a jamais pu se tirer.

que

Ce qu'il y a de vrai, et ce qui n'étonnera pas, c'est Brissot louait dans son journal le plan, adopté presque en entier, qu'il avait donné aux commissaires. Il dit : « Ce plan de municipalité,

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présenté à la commission actuelle et discuté >> par elle, ne tardera pas à paraître; il pourra » servir de modèle, etc. » (Patriote Français, n° 9, 6 août 1789.) Il place au même journal des principes trè-serronés, tels celui-ci il parle de demander l'agrément de l'Assemblée nationale et du roi pour le plan de municipalité, non comme nécessaire, puisqu'aucune sanction n'est nécessaire

que

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