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BONNE FOI.

1. De la bonne foi en matière de prescription.

2. La bonne foi est toujours présumée.

3. Il faut trente ans, pour prescrire, à celui qui est de mauvaise foi.

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D'après la loi 109 au digeste, de verborum significatione, celui qui ignore que la chose est à autrui ou qui a cru que le vendeur avait le droit de la vendre, est réputé acquéreur de bonne foi: bonæ fidei emptor esse videtur qui ignoravit eam rem alienam esse, aut putavit eum qui vendidit jus vendendi habere.

Et, selon le droit canonique, oportet ut qui præœscribit, in nulla temporis parte, rei habeat conscientiam aliena. (Décret Grégor. de prescript. lib. 2. t. 26.c. 20.) L'art. 550 du Code civil porte que

« Le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices. »

« Mais il suffit, DIT L'ART. 2269, que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition.

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Voici les conditions indispensables pour fonder la bonne foi:

Premièrement, il faut ignorer qu'un autre soit propriétaire de la chose que l'on vous transmet ; Secondement, croire que celui, qui vous la transmet, en est le vrai propriétaire et qu'il a capacité pour la

transmettre; Troisièmement, enfin, que l'acte au moyen duquel la transmission a lieu, ne soit empreint d'aucun vice.

Sices conditions ne se rencontrent pas, l'on ne peut invoquer la prescription de dix ans, qui est essentiellement basée sur la bonne foi; et c'est pour cela que la loi traite l'acquéreur avec une faveur si grande.

C'est avec la bonne foi que cette prescription devient, d'après M. Troplong, un moyen d'acquérir tout aussi pur et tout aussi légitime dans le for intérieur, que les contrats et les titres successifs.

Je comprends parfaitement, avec ce savant commentateur, que, dans le cas actuel, c'est-à-dire lorsqu'il y a eu un contrat d'acquisition, et lorsque la bonne foi a existé au moment de ce contrat, la conscience soit tranquille, et puisse ne pas repousser le moyen de prescription, car on a acheté et payé l'immeuble à celui que l'on croyait propriétaire.

Je fus un jour consulté par un prêtre sur une question de prescription; la solution donnée, il me demanda ce que je ferais si j'étais à sa place et qu'on vînt me dire: J'ai possédé, sans aucun titre, pendant trente ans, mon seul titre est dans la loi, faut-il que je restitue, quoique j'aie acquis par prescription?

Je répondis à mon casuiste que, d'après notre droit, cet homme serait à l'abri de toute recherche, que je n'ignorais pas que ce moyen d'acquérir était consacré et légitimé par les règles théologiques, conformes sur ce point à notre droit civil, mais que rigoureusement je ne pensais pas qu'on pût prescrire contre sa cons

cience. L'abbé répliqua qu'il fallait un terme à tout.

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C'est vrai, repris-je, temporellement parlant; mais le for intérieur ne se contenterait peut-être pas de cette raison. Je vois bien que vous n'êtes pas pour la doctrine des jésuites, me dit le prêtre. Dieu m'en préserve! lui répondis-je; et notre entretien

finit là,

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Le lecteur excusera cette disgression: elle pourra lui servir pour les affaires de son âme; et ce n'est pas chose à dédaigner.

Si, au moment de l'acquisition, la bonne foi n'existe pas, on ne prescrit contre le vrai propriétaire que par le laps de trente ans. On ne peut lui opposer l'art. 1304, d'après lequel l'action en nullité ou rescision pour cause de dol ne dure que dix ans, car les dispositions de cet article ne concernent que celui qui a souscrit l'acte et non le tiers qui y est étranger, et de la chose duquel on a disposé sans son concours. Du reste, l'art. 2267 porte que

«Le titre nul, par défaut de forme, ne peut servir de base à la prescription de dix et vingt ans. »

Et M. Troplong en conclut que

« Le véritable propriétaire a le droit de soutenir que l'acte sur lequel s'appuie le possesscur est entaché de nullité; et cependant l'on sait que l'action en nullité est limitée à dix ans entre les parties.

N'est-il pas manifeste dès lors, continue cet auteur, que la prescription, qui efface la nullité de l'acte entre les parties, n'empêche pas le vrai propriétaire de la faire ressortir pendant un temps plus considérable pour écarter la prescription

d'un autre genre qu'on lui oppose, el pour maintenir qu'il y a mauvaise foi, au moment de l'acquisition, c'est-à-dire à l'instant décisif, aux termes de l'art. 2269.» (Pag. 552— 2e vol.)

M. Vazeille professe unc opinion contraire; il établt une distinction entre le défaut de capacité dans les contractants qui, dit-il, est un vice saillant, et les vices de violence, d'erreur ou de dol qu'il faut prouver, tandis qu'il est plus aisé de vérifier les qualités des contractants, et de s'assurer si celui qui a fait une vente, ou une donation, était mincur, interdit ou mort civilement, ou si c'est de ses biens dotaux qu'une femme mariée sous le régime dotal a disposé. Si le tiers auquel on oppose la prescription de dix ans, fondée sur un titre, prouve l'incapacité du vendeur, et qu'il démontre ensuite que l'acquéreur a connu l'incapacité du disposant, le titre est reconnu vicieux, et la prescription n'a pas de fondement.

« Il n'en est pas ainsi, ajoute M. Vazeille, quand on oppose au tiers demandeur un titre émanant d'une personne capable et contre lequel il ne peut alléguer que des vices de violence, d'erreur ou de dol; il faut une information pour les prouver. Si l'on est dans le délai de l'action rescisoire, le demandeur, exerçant cette action du chef de celui qui a disposé de la propriété, et qui en est responsable envers lui (art. 1166), sera reçu à fournir la preuve du vice de l'acte. Mais si l'action rescisoire est prescrite contre celui qui a souscrit l'acte, elle le sera également contre le tiers revendiquant connu. Le silence qu'a gardé le premier, fait supposer, non pas seulement qu'il a renoncé, comme dans le cas de l'incapacité, à faire usage du moyen de nullité; mais ce qui est plus fort: qu'il n'y avait pas de vice dans l'acte. »

Quant à moi, je ne puis admettre ce dernier sentiment. Et voici comment je raisonne :

Pour fonder la prescription de dix ans, d'après l'art. 2269, il faut que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition; or, il est évident que la violence et le dol excluent la bonne foi; on ne pourra donc se prévaloir de la prescription décennale contre le véritable propriétaire, qui vient revendiquer son immeuble, car il lui suffira de prouver les faits de violence ou de dol, pour repousser cette prescription.

L'art. 1304, qui limite à dix ans la durée de l'action en nullité ou en rescision d'une convention, ne peut recevoir d'application, quand il y a dol ou violence, qu'à l'égard du souscripteur de l'acte; mais il ne peut s'étendre au tiers véritable propriétaire qui n'a fait, lui, aucune convention, et contre lequel on ne peut point invoquer la bonne foi, puisqu'il y a dol ou violence. L'art. 1304 renferme des dispositions générales, tandis que l'art. 2269 est spécial au cas qui nous occupe. La bonne foi, comme le dit fort bien M. Vazeille, est la cause déterminante de cette prescription; donc, quant au moment décisif, suivant l'expression de M. Troplong, c'est-à-dire au moment de l'acquisition, il y a violence ou dol, ce qui pour nous, dans l'espèce, est synonyme de mauvaise foi; ce n'est plus la prescription de dix ans, mais bien la prescription trentenaire qui pourra être opposée au tiers propriétaire, qui revendique l'immeuble à lui usurpé.

Telle est mon opinion, qui ne diffère de celle de M. Troplong que par l'argumentation, et non par le résultat.

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