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tres Commissions sont nommées pour s'occuper des travaux de législation. Bonaparte arrive à la tête du Gouvernement en qualité de premier consul, les anciennes Commissions cessent d'exister, une nouvelle reprend l'œuvre, la refond et l'accomplit.

Le projet de cette Commission que composaient Portalis, Tronchet, Bigot-Préameneu, Maleville, fut adressé au Tribunal de cassation et à tous les Tribunaux d'appel de France qui envoyèrent leurs observations; et bientôt la discussion fut reprise au Conseil-d'État où brillaient tant de lumières, où la prodigieuse sagacité du premier Consul se développa si utilement, et d'une manière si judicieuse. Les observations du Tribunat donnèrent lieu à de nouvelles discussions qui se terminèrent par la rédaction définitive, et la tribune du Corps Législatif retentit peu de temps après des magnifiques discours de Treilhard, de Siméon, de Portalis, de Jaubert, de Regnault de Saint-Jean d'Angely, de Gillet, de Boulay de la Meurthe, de Berlier, de Thibaudeau, de Gary, d'Andrieux, de Favart, de Faure, de Chabot (de l'Allier), de Malherbe, de Réal, etc., qui sont autant de modèles d'éloquence dans le genre délibératif.

La rédaction du Code civil fut le produit d'une conception vaste qui embrassait tout à la fois l'ordre

moral et l'ordre politique, les choses et les droits, l'homme et le citoyen, la famille et l'État. Là, les principes d'éternelle justice, les règles de la raison, se trouvèrent formulés en un style précis, avec une netteté remarquable, et dans un ordre admirable de classification.

« L'ordre du Code civil, dit Tronchet, est conforme à la marche naturelle des idées. »

D'abord, c'est la loi (1) qui se présente elle-même, avec la condition qui oblige à l'exécution sa promulgation, c'est-à-dire la règle de ses prescriptions, portée à la connaissance du peuple, lex moneat priusquàm feriat, avait écrit Bâcon; sa non-rétroactivité qui garantit le passé, les droits acquis; l'obligation qu'elle impose au juge de prononcer, sans qu'il puisse fonder un refus, en prétextant le silence, l'obscurité, ou l'insuffisance de son texte; les limites qu'elle oppose au conventions particulières, lorsqu'il s'agit des règles qu'elle a tracées, concernant l'ordre public et les bonnes

mœurs,

C'est ensuite (2) la qualité des personnes qu'elle suit en tous lieux, en ce qui touche l'état et la capacité : les Français; la définition de cette qualité, comment

(1) Titre préliminaire.

(2) Liv, 1er, tit. 1er.

elle s'acquiert, comment on en est privé, comment naissent et s'éteignent les droits civils.

Puis, ce sont les actes de l'état civil (1) pour la constatation des trois grandes époques de l'homme : la naissance, le mariage et la mort.

Après cela (2), viennent les règles sur le domicile, sur l'absence et ses effets, sur les qualités et conditions pour pouvoir contracter mariage; les formalités qu'exige cet acte si important de la vie civile; les obligations qui en découlent; les droits et devoirs respectifs des époux; la separation en certains cas; la dissolution définitive du lien; la paternité et la filiation, conséquences du mariage; la filiation purement naturelle; la filiation purement légitime : l'adoption; la puissance paternelle, qui n'est qu'une magistrature de la famille ; la tutelle, qui est un gouvernement; l'émancipation qui en affranchit; la majorité qui élève l'adolescent à l'état d'homme, à la capacité civile; l'interdiction qui en suspend les effets; le conseil judiciaire qui en assiste les actes.

Voilà pour les personnes; voilà pour les Français au milieu desquels la loi n'a établi ni distinctions, ni priviléges, et n'a fait qu'une utile application du saint dogme de l'égalité.

(1) Tit. 2.

(2) Tit. 3, jusqu'au tit. 11 inclusivement.

A d'hommes libres, une terre libre.

Les biens (1) sont meubles ou immeubles; toutes autres distinctions sont effacées ; la propriété n'est plus soumise, mais absolue, incertaine, mais positive, dépendante, mais souveraine; l'usufruit, l'usage, les servitudes en sont les seules modifications.

Voilà pour les biens.

Voici maintenant les différentes manières d'en acquérir la propriété (2).

Le seul fait de la mort naturelle ou civile de l'homme transmet ses biens à sa famille ou à son conjoint survivant, ou à l'État : c'est la succession; la donation entre-vifs, ou testamentaire, à ceux qu'elle appelle; les obligations, à ceux qu'elles concernent; l'accession (3), au propriétaire du principal; la prescription, au possesseur dont le temps a assuré les droits.

Telle est la grande division de ce troisième et dernier livre du Code civil, où tout ce qui se rattache aux contrats, à cette prodigieuse diversité dont les affaires humaines sont susceptibles, se trouve réglé avec un soin admirable, avec les principes d'une haute raison, d'une prévoyante sagesse.

(1) Liv. 2, tit. 1, 2, 3, 4.

(2) Liv. 3, tit. de 1 à 20 inclusivement. (3) Tit. 2, du liv. 2, chap. 2.

Quelques soient les emprunts que ses rédacteurs aient fait au Droit romain, que Schomberg appelle à juste titre, le Code de la justice universelle, et Gravina, ratio imperans, armata sapientia (1), l'on ne peut s'empêcher de reconnaître l'immense supériorité de notre législation civile sur celle des Romains. Il y a plus de morale, plus de prévoyance, plus de netteté dans le Code qui nous régit, plus de régle dans ses détails, plus de justesse dans ses prescriptions, plus de philosophie dans ses principes. Jamais tant d'hommes capables, tant de juristes profonds, tant d'orateurs judicieux et brillants, ne s'étaient réunis pour arriver à l'accomplissement d'une œuvre aussi complète, et la rendre digne du grand peuple auquel elle était destinée. Quelle distance entre la hauteur de vues de cette illustre Commission du Gouvernement nommée par arrêté du 24 thermidor, an 8, et cet esprit étroit, de pure compilation, qu'apporta dans son travail la Commission présidée par Tribonien! Comparées à la majestueuse simplicité, au plan si régulier et si heureusement exécuté de notre Code, les tables des Décemvirs sont-elles autre chose

(1) Quid enim est aliud jus romanum, nisi ratio imperans et armata sapientia, sententiæque philosophorum in publica jussa conversa. (Gravinæ oralio de jurisprudentiâ.)

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