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prendre que la démocratie est un fait, un fait dévorant que l'on ne rassasiera point en lui jetant pour pâture des Trappistes suspects de carlisme. Cette démocratie dont les instincts sont nobles et purs, et qui n'est facile à irriter que parce qu'elle souffre, il faut être son ami, et non son flatteur. Il serait indigne de caresser ses mauvaises passions, pour la distraire de ses besoins légitimes. A mon avis, ce n'est pas comprendre cette révolution, des destinées de laquelle j'ai droit de m'inquiéter. J'ai le malheur, il est vrai, de ne m'accorder ni avec ses ennemis, ni avec beaucoup de ses amis. Je me résigne à être classé parmi les esprits systématiques, appelés, il y a vingt ans, des idéologues, récemment des théoriciens. Tous tant que nous sommes désignés ainsi, les qualifications ne nous importent guère; nous sommes tels, si c'est l'être, de croire à notre révolution dernière comme au triomphe définitif de la liberté absolue; et qu'on ne s'y méprenne point, celle-ci ne consiste pas à couvrir les places publiques de scrutins menteurs et de tréteaux d'anarchie; elle s'allie merveilleusement avec une royauté puissante, quoique limitée par l'aristocratie légitime des intérêts et des lumières.

Sous ce rapport, nous n'avons plus à nous plaindre, ni à demander; mais à quoi nous servirait la forme plus parfaite du gouvernement nouveau, si au fond rien n'était changé des mesquines tyrannies de la restauration? Or parmi ces libertés dont le soleil de juillet a dû être la brillante aurore, ses rayons émancipateurs n'ont-ils point lui pour la liberté religieuse? Le plus sublime élan de la pensée, celui qui la reporte vers son Auteur, est-il encore gêné par des entraves jansénistes ou parlementaires? l'enthousiasme de la piété est-il matière d'administration? et peut-il être réprimé par de violens moyens de basse police? Lorsqu'il est permis d'associer les efforts vulgaires qui ne tendent qu'aux intérêts d'ici-bas, nous sera-t-il défendu de mettre en communion ces facultés, grâce auxquelles nous nous élançons vers des biens inconnus dans un monde invisible?

Il n'est pas bon que l'homme soit seul, surtout pour adorer Dieu; le croyant a besoin de mêler ses effusions d'amour et d'espérance à celles de ses frères; c'est la plus

odieuse des tyrannies de vouloir briser par la force de pareils rapprochemens, qui ne sont que des détachemens de la terre.

C'est rappeler l'ombrageuse persécution des empereurs romains contre les premières assemblées des chrétiens; c'est provoquer, au dix-neuvième siècle, à des congrégations nocturnes, souterraines; c'est raviver, dans un siècle de tolérance, la tentation du martyre. Comment est-il possible qu'on n'ait pas envisagé la question à cette hauteur, qu'on se soit traîné terre à terre? On a fait de l'inquisition de la pire espèce, de l'inquisition athée. Et qu'on ne prétende point n'avoir pas agi par inimitié contre le sentiment religieux, mais avoir voulu seulement proscrire les mystiques et bizarres pratiques qui lui servaient de cortége. Quoi! on s'arroge le droit de régler les manifestations extérieures! Voilà la résurrection d'un autre genre de despotisme à la Henri VIII; c'est un catholicisme ministériel qui veut se substituer au catholicisme sacerdotal, et qui veut fabriquer par arrêté des dogmes et des rites. Sous quelques formes qu'on retourne ces attentats que je vous dénonce, ils contristent, ils révoltent les âmes vraiment libérales; elles aspirent à voir la France se couvrir de cultes, de sectes de toutes sortes, ne recevant des lois ni priviléges, ni restrictions, vivant dans l'égalité commune, et n'ayant à rendre compte à la société que des crimes qui la troublent. Et nous, qui voulons cela, nous ne balbutions pas que cela est dangereux!

Au pis aller, chacun de nous serait prêt à s'écrier : Malo libertatem periculosam, quam quietam servitutem! En religion, la servitude c'est la mort, et nous y avons soif de la vie; de plus en plus nous ressentons que le froid est remonté au cœur de l'humanité : elle est glacée de désespoir et d'ennui; si moralement elle n'est pas morte, elle est tombée dans le marasme; et nous désirerions qu'elle en sortit au plus vite. Nous n'avons pas cette politique matérialiste qui se réjouit de l'incrédulité religieuse comme d'un progrès ce n'est pas un progrès, c'est un violent écart. On est devenu sceptique par réaction contre ce principe de l'autorité : laissez les intelligences à leur spontanéité, et bientôt elles retrouveront ces croyances qui sont VII.

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leur éternel patrimoine, et dont elles ne peuvent être que passagèrement déshéritées. Je ne désire, ni n'espère, ce qui pour d'autres est un vou, une foi, que l'unité renaîtra du sein de la liberté; mais l'anarchie apparente des religions est leur véritable harmonie: plus elles seront indépendantes, plus elles seront mutuellement inoffensives. Le seul moyen de rendre la rivalité pacifique, c'est d'ouvrir le concours entre elles. Tant mieux pour celles dont le prosélytisme sera le plus fécond, et qui saura par l'au torité de ses préceptes et de ses exemples ravir à elle les consciences.

L'ordre public est désormais à cette condition. C'est une misérable tentative de le fonder sur des traditions que leur antiquité même suffit à réfuter. Je ne dédaigne pas assu rément les expériences de l'histoire; mais il y a deux manières de les appliquer. Les uns en induisent mécaniquement que ce qui fut doit être, et arrivent à frapper les lois d'immobilité; les autres recueillent du passé un enseignement plus profond, ils comprennent que les institu tions d'un peuple ne peuvent rester stationnaires, qu'elles doivent suivre le mouvement de la pensée. Or nous sommes venus à l'époque de son complet affranchissement. Dans la science, dans l'industrie, dans l'art, dans le culte, en tout et pour tout, la pensée ne veut plus de chaînes politiques, et elle est prête à les briser sur la tête de quiconque les lui imposerait.

Je le proclame donc à mon tour, et par représailles, on n'attire que malheur et honte à son pays de l'engager dans un système de persécutions arriérées. Sous prétexte de l'arracher aux factions, c'est les soulever; car l'esprit de secte, dès qu'on le gêne et le froisse, dégénère en esprit de parti. La reconnaissance, l'admiration me retiennent de renvoyer davantage un imprudent et injuste anathème vers qui l'a lancé ; mais je ne l'accepte pas, et, au sortir de cette enceinte, nul n'aura le droit de m'accuser d'être un mauvais citoyen, parce que j'aimerais que ma patrie, au lieu de se remettre à démolir des couvens, réalisât, en signe de tolérance et de réconciliation religieuse, une idée qui a vieilli stérile quoique sublime; j'aimerais que cette patrie qui m'est chère, au milieu des temples

les plus divers qui monteraient vers le ciel en coupoles ou en flèches, en tours ou en minarets, élevât un temple plus grand et plus beau, au Dieu innommé, ou plutôt le même sous des noms différens, au Dieu de l'univers ! Messieurs, il vous serait glorieux d'avoir, en quelque sorte, posé la première pierre!

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« Cet éloquent plaidoyer, a dit le Breton de Nantes, journal libéral, qui a duré, dans les deux audiences, près de six heures et demie, a constamment été écouté avec intérêt; des murmures flatteurs l'ont souvent in» terrompu, et la brillante péroraison qui le termine, dé>> bitée avec âme, a valu à l'avocat des bravos unanimes, » dont retentit rarement le sanctuaire de la justice.

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La parole est ensuite accordée à Me Billault, avocat de M. de Saint-Aignan, préfet du département de la LoireInférieure. Son plaidoyer a occupé le reste de l'audience du 14 janvier, a rempli toute celle du 16 et une partie de celle du 17. Nous reproduisons ici l'extrait que la Gazette des Tribunaux a donné de cette plaidoirie. Suivant cet extrait, après des considérations préliminaires sur la lutte du pouvoir religieux et du pouvoir civil, M Billault continue ainsi :

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Napoléon, en organisant la puissance, réorganisa le clergé nobles et prêtres lui parurent de bons et puissans moyens; il n'osa cependant aller jusqu'à rétablir les ordres monastiques; jaloux de la puissance papale, il voulait s'en servir, mais non pas en être dominé. Il tomba, et les baïonnettes étrangères nous ramenèrent les rois de l'ancienne doctrine du bon plaisir. Vainement le roi d'alors, le seul de la famille qui eût su apprendre et oublier quelque chose, cédant à l'instinct de sa propre conservation,

avait proclamé quelques principes de liberté ; la vieille et incorruptible noblesse ne rêvait que l'absolutisme; le clergé s'en réjouit il retrouvait ses anciens alliés contre les franchises nationales. Il sentit que la conquête de la France pouvait tourner aussi à son profit.

» Les quinze années de la restauration furent employées à exploiter cette conquête; la noblesse, avide de places et de pensions, se fit en outre servir le splendide festin de l'indemnité. Le pouvoir romain, plus ambitieux encore, couvrit la France de ses agens : établissemens religieux de tout genre et de tout sexe, missions, miracles, rien ne fut négligé; la sanglante loi du sacrilége lui tint lieu d'indemnité; et, marchant à l'asservissement de la puissance séculière, il fit bientôt sentir à un roi faible que la crosse devait primer et diriger le sceptre; il l'entraîna dans une attaque criminelle contre la liberté; mais la nation veillait, et le pouvoir parjure a disparu devant ses phalanges victorieuses.

» L'avocat établit ensuite quel rôle spécial a joué, dans cette lutte de la puissance religieuse contre la liberté, le monastère de la Trappe de Melleray :

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Appelé par le roi, placé dans un pays où les lumières ont encore peu pénétré, entre ce qu'on appelait l'héroïque Vendée et ce que l'on nommait la fidèle Bretagne, le supérieur de cette communauté, homme énergique et capable, ne vint pas là pour vivre en pieux et simple cénobite; comblé des faveurs du pouvoir, plus souvent à la cour qu'à son monastère, lié de correspondance avec les riches et les influens du parti de la noblesse, il a fourni, dans les pièces saisies chez lui, les traces des projets contre-révolutionnaires qui l'animaient.

» Me Janvier s'oppose à la lecture de ces pièces; il soutient qu'elles ne peuvent être employées sans lui avoir été préalablement communiquées; qu'en tout cas elles ne peuvent être aux mains de l'avocat adverse que par une violation de dépôt; il demande acte du fait qu'il maintient illégal, et se réserve de prendre des conclusions à ce sujet.

M Billault fait observer que la communication des pièces n'est ordonnée par le Code de procédure que dans les trois jours qui suivent l'emploi ; il ajoute qu'au surplus

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