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l'Etat attaqué pour une mesure de police, prise en son nom, peut et doit se servir des pièces que la police lui a fournies, et qui ont en partie déterminé la mesure qui fait l'objet du procès actuel.

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Le Tribunal, sur les conclusions de M. le procureur du roi, ordonne que Me Billault use des pièces dont il s'agit, et qu'elles seront après l'audience communiquées à Me Janvier.

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Me Billault donne lecture de ces pièces (1).

L'avocat signale ensuite diverses pièces écrites de la main de M. Saulnier, et où l'on cherche à établir qu'il ne faut point prier pour le roi populaire, qu'Henri V est seul légitime, etc.

» Il parle aussi des diverses prophéties qui, saisies en nombreux exemplaires à l'abbaye de Melleray, annonçaient toutes l'asservissement de la France, la destruction du trône national, et surtout le rétablissement de la puissance religieuse; il remarque que ces prophéties semblaient destinées à être répandues au loin, et que, suivant l'expression d'une lettre, aussi saisie, et qu'il cite, elles avaient pour but de retenir le peuple.

» L'avocat tire de ces faits la conséquence que l'esprit de la maison de Melleray, hostile au nouvel ordre de choses et aux libertés publiques, était, dès avant la révolution de 1830, en harmonie parfaite avec la conspiration sacerdotale, dont les envahissemens, pendant les quinze années de restauration, sont venus aboutir à l'énergique répression de juillet.

» Il pense que ces documens étaient plus que suffisans pour motiver le vœu exprimé par le conseil d'arrondissement de Châteaubriand et déterminer l'autorité à frapper cet établissement monastique de l'application immédiate de la loi.

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Passant ensuite à l'examen de la question légale, l'avocat établit que sous l'empire du droit ancien, alors que la

(1) Nous avons jugé inutile de grossir cette publication de la reproduction de ces pièces insignifiantes, dont la lecture n'a été qu'un épisode tout-à-fait étranger à la cause.

religion catholique était exclusivement libre, les associations religieuses ne l'étaient pas; elles ne pouvaient s'établir que sur l'autorisation du roi, en vertu de lettres patentes enregistrées au conseil d'Etat, après enquête de commodo et incommodo, et conclusions du procureur général devant le parlement du ressort; l'autorisation même ainsi solennellement donnée pouvait encore être retirée par l'autorité publique, si l'établissement était plus tard reconnu dangereux pour l'Etat.

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Me Billault cite à l'appui de sa doctrine les édits enregistrés de 1666 et du mois d'août 1749, l'autorité de Domat, celle de Merlin, dans son Répertoire de Jurisprudence, S. VOEUX MONASTIQUES. Il maintient que ces dispo sitions étaient conformes au principe général et conservateur, par lequel les sociétés peuvent repousser de bien loin toute aggrégation qui, s'y introduisant sans vouloir s'y confondre, menacerait leur police et leur nationalité; il rappelle la longue ambition du pouvoir sacerdotal, ses continuelles entreprises sur les couronnes, sur les revenus des états; les pragmatiques de S. Louis et de Charles VII; les quatre propositions de 1682 lui paraissent avoir, en repoussant l'invasion romaine, rendu au pays un service éminemment national. Nos rois, dit-il, craignaient si fort cette influence étrangère, rivale de l'influence de leur gouvernement, qu'indépendamment des mesures générales de précaution prises par les édits ci-dessus cités de 1666 et 1749, deux édits spéciaux de 1681 et 1758 prohibèrent expressément l'admission dans les ordres monastiques même autorisés en France, de tout individu non Français qui serait entré en religion en pays étranger.

» C'est une question d'indépendance nationale; la révolution de 1789, en proclamant la liberté, ne la perdit pas de vue : il s'agissait de protéger les franchises du pays, la liberté d'examen et de conscience contre leur éternel ennemi, le pouvoir romain: par la loi du 28 oct. 1789, l'Assemblée constituante, en suspendant l'émission des vœux monastiques, arrêta le recrutement de la milice papale; régularisant cette prohibition d'urgence par une loi spéciale, elle décréta, le 13 février 1790, que « la loi con>> stitutionnelle du royaume ne reconnaîtrait plus de vœux

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monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe; en conséquence ( ajouta-t-elle ), les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils vœux sont et demeureront supprimés en France, sans » qu'il puisse en étre établi de semblables à l'avenir. » Cette prohibition était expresse, absolue; vainement on a voulu distinguer et prétendre que la loi refusait seulement l'appui du bras séculier pour le maintien des vœux solennels; si nos législateurs n'eussent eu que cette intention, ils s'en fussent spécialement expliqués : ils n'auraient point, dans un texte d'une application toute générale, frappé l'avenir d'une prohibition énergique et qui n'indique aucune distinction; Barnave, sur cette loi, avait dit : « Les ordres religieux sont hors de la société; soumis à des chefs indépendans, ils sont incompatibles avec l'ordre social et le bonheur public vous devez les détruire sans restriction. » Et la loi fut l'expression fidèle du vœu de l'éloquent législateur.

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» L'assemblée, il est vrai, en défendant pour l'avenir toute nouvelle entrée en religion, eut, par mesure transitoire, à s'occuper des nombreux religieux qui couvraient alors le sol de la France. Ils s'étaient engagés sous la foi d'une législation qui autorisait leurs vœux : on ne pouvait en conséquence les arracher de leurs asyles, les livrer sans ressources à la misère. La législature leur assura ou des pensions convenables, ou le droit de résider dans certaines maisons qui leur seraient spécialement assignées; mais en adoptant cette mesure transitoire de bienfaisance et de justice pour le passé, elle n'en proclama pas moins la suppression de tous ordres religieux, leur prohibition absolue pour l'avenir.

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Conséquente à ce système, une loi du 8 oct. 1790 décréta (titre 1, art. 23) l'abolition des costumes particuliers de tous les ordres religieux; et si elle accorda à chaque religieux le droit de se vêtir comme bon lui semblerait, il est évident qu'elle ne fit que rappeler une faculté générale, et non pas autoriser à continuer de porter un costume qu'elle déclarait aboli.

» La constitution civile du clergé du 12 juillet 1790 fut conséquente à ces principes.

» La constitution française du 3 septembre 1791 les proclama énergiquement. Tout en décrétant la liberté des cultes, elle prohiba les associations religieuses (qui ne sont nullement nécessaires à cette liberté ), et déclara (titre 2, art. 6) la qualité de citoyen français perdu pour quiconque s'affilierait à une corporation étrangère exigeant des vœux religieux. C'était assez désigner les ordres monastiques dépendans du pouvoir romain.

>> La loi du 18 août 1792 ne fit que répéter ces prohibitions légales, et dès-lors tombe le reproche qu'on lui a fait d'avoir été rendue dans un temps d'exaspération révolutionnaire; car les lois de 1790 qu'elle répète durent au contraire leur origine à un enthousiasme bienveillant de liberté.

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Après les malheureux excès de 1793, le principe de la liberté des cultes reprit une nouvelle énergie; le décret du 3 ventôse an III le proclama dans toute son étendue, et cependant Boissy d'Anglas, en déclarant, comme rapporteur, à la tribune nationale, qu'en matière de culte. la liberté devait être le partage du citoyen, l'indifférence celui de la loi, s'éleva contre les ordres religieux : « Met» tez, dit-il, mettez au rang des délits publics tout ce » qui tendrait à rétablir les corporations religieuses que vous avez sagement détruites, etc. » Preuve bien convaincante qu'il ne confondait pas la liberté des cultes avec la liberté des associations religieuses.

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» La constitution du 5 fructidor an III fut rédigée dans le même esprit : ne reconnaissant pas les vœux religieux, privant de sa qualité de citoyen tout Français affilié à des corporations étrangères monastiques, elle déclara, art. 360, qu'il ne pouvait être formé de corporations ni d'associations contraires à l'ordre public.

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La loi du 7 vendémiaire an IV, la constitution du 22 frimaire an VII, l'arrêté du 7 nivôse même année, surtout le concordat du 18 germinal an X, consacrèrent de nouveau les mêmes doctrines.

» Ce concordat, tout en proclamant, comme l'a fait la Charte de 1830, que la religion catholique, apostolique et romaine est celle de la majorité des Français, fut suivi d'une loi organique qui, accumulant les précautions

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contre les envahissemens de la cour de Rome, et n'autorisant, par son art. 11, l'établissement en France que de chapitres cathédraux et de séminaires, ajouta à ce même article ces paroles significatives : « Tous autres établissemens ecclésiastiques sont supprimés. » Aussi Portalis, présentant aux législateurs les motifs de cette loi, leur disait-il « Le pape avait autrefois dans les ordres religieux une milice qui lui prêtait obéissance, qui avait » écrasé les vrais pasteurs, et qui était toujours disposée à propager les doctrines ultramontaines. Nos lois ont » licencié cette milice, et elles l'ont pu, car on n'a jamais contesté à la puissance publique le droit d'écarter ou de >> dissoudre les associations arbitraires, qui ne tiennent >> point à l'essence de la religion, et qui sont jugées sus« Ces ordres monaspectes et incommodes à l'Etat. » tiques, ajoutait le rapporteur du tribunát (Lucien Bonaparte), ne travaillaient dans les états modernes qu'à » y entretenir un esprit étranger et funeste; aussi leur » réforme fut souverainement nationale, etc. »

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» Les décrets des 20 prairial an X, 3 messidor an XII, 24 novembre 1811, rappelèrent ces dispositions législatives. » L'avocat tire de ces divers détails législatifs la conséquence que nos lois n'ont jamais confondu la liberté des cultes et celle des associations religieuses; que la première est de droit constitutionnel, que la deuxième est prohibée dans l'intérêt de la paix publique. Il se propose ensuite d'examiner si le Code pénal, les Chartes de 1814 et 1830 ont abrogé les lois précédentes sur ce point.

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Quant au Code pénal, Me Billault maintient qu'aucune de ses dispositions ne s'applique aux ordres monastiques; les articles 291 et suivans ne concernent que associations qui ont pour but des réunions journalières, à des époques fixes; ils ne se rapportent évidemment pas à cette communauté continuelle d'esprit, de corps et de biens qui constitue l'association conventuelle; et Me Billault tire des textes du Code cette conséquence, que s'il prohibe, à défaut d'autorisation, les réunions passagères, à plus forte raison l'autorisation doit-elle être nécessaire pour cette co-existence, ce rassemblement continuel de l'association monastique, qui, par sa perpétuité, son inVII.

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