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timité, son organisation d'obéissance aveugle envers des chefs étrangers, peut devenir plus dangereuse pour la sûreté du pays.

» Passant à l'examen de la Charte de 1814, l'avocat fait remarquer que l'article 5 de cette constitution, en proclamant la liberté des cultes, en leur assurant à tous une égale protection, n'a nullement proclamé la liberté des associations religieuses.

>> Il insiste de nouveau sur la différence qui existe entre ces deux libertés; et, invoquant de nombreuses autorités, il cite la loi du 2janvier 1817 et celle du 24 mai 1825. Il cite également l'arrêt de la Cour de Paris rendu le 18 août 1826, sur la dénonciation de M. de Montlosier, lequel consacra la non-abrogation des lois générales de 1792, etc., prohibitives de toutes associations religieuses; et invoque ensuite le rapport fait au roi, le 28 mai 1828, par une commission spéciale et dont le résultat fut la fameuse ordonnance du 16 juin 1828, qui, en prenant des mesures prohibitives contre une association religieuse trop connue, rendit un éclatant hommage aux lois du royaume.

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L'avocat examine ensuite si la Charte de 1830 a apporté quelque altération à ces principes; il fait d'abord remarquer que le texte qui consacre la liberté des cultes n'a point été changé, et que si la religion catholique a cessé d'être la religion de l'Etat, ce serait plutôt un argument favorable à son système qu'à celui des adversaires. I invoque en outre, comme imposante autorité, la décision de la Chambre des députés. Ce corps constitué, qui, appelé à faire des lois, doit être le meilleur guide de leur interprétation, a repoussé la pétition de M. Saulnier à une immense majorité, et par là, au nom du pays, a donné à l'administration l'approbation entière de ses mesures.

Enfin, pour démontrer le danger de ces associations religieuses qui, vivant en violation des lois, sont forcées de dissimuler la majeure partie de leurs affaires et de leurs actions, il fait connaître la lettre suivante, écrite au père Abbé, sans date ni signature :

«Je m'abandonne bien à la Providence; mais ce n'est >> pas y manquer que de prendre des précautions sages.

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» Vous ne me comprites pas lorsque je vous écrivais à l'époque de votre dernier voyage à Paris je vous parlais d'une crainte que j'avais et qui me poursuit sous » plus d'un rapport; je craignais, et je crains que quelqu'un ait connaissance de l'affaire qui a eu lieu entre » vous et moi; vous crûtes que je doutais de ses dispo>>sitions pour vous; oh! ce n'est pas cela du tout; mais nous avons tous notre faible; le sien est d'être soupçonneux. Dès son arrivée ici, il me le montra, et il a con» tinué de me le montrer, et à un autre; voyant que j'avais réussi dans quelques entreprises, dans une principalement, il crut que c'était aux dépens de certaines » caisses, et il n'est pas parfaitement revenu sur cela ; un autre et moi en avons été souvent offensés ; voici donc » le fond de ma crainte : Si, par suite du malheur des » temps, un éclat avait lieu dans votre maison et mit аи grand jour vos affaires, alors il croirait avoir la preuve de ses soupçons, ne pouvant regarder cet avoir comme légitime; vous m'entendez, je pense : voilà pourquoi je vous priais avec instance de profiter de la première » occasion pour réaliser. Avez-vous quelque espérance? Adieu, amitiés aux amis, etc. »>

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» Me Billault se propose ensuite de démontrer que la maison de Melleray était un véritable établissement monastique les qualités prises dans l'acte d'achat du domaine par M. Saulnier, les nombreuses pièces qu'il a signées en qualité d'abbé de la Trappe, etc., lui paraissent des preuves précises, et il s'étonne que la conscience de ce religieux n'ait pas reculé devant la notoriété publique, lorsqu'il a osé, se présentant comme propriétaire et industriel, tenter de cacher à la justice sa principale, son unique qualité, celle de supérieur d'un établissement religieux dont la propriété et l'industrie n'étaient que des accessoires et non le caractère principal.

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» Dans cette singulière dissimulation, Me Billault voit un aveu tacite, mais bien décisif de la faiblesse du système légal de l'adversaire.

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Il établit ensuite que le domaine et ses accessoires n'étaient pas la propriété exclusive de l'Abbé, mais bien la propriété conventuelle « J'ai l'honneur d'instruire Votre

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» Excellence de l'arrivée de la Communauté confiée à mes » soins,» écrivait le père Abbé au ministre de l'intérieur le 18 juillet 1817.

« L'Abbé et les religieux de la Trappe de Melleray (di» sait-il encore), établis au diocèse de Nantes, dans une >> ancienne demeure de leurs frères, que de généreux amis » les ont mis à même de recouvrer, etc. »> (Lettre de M. Saulnier à M. le Grand-Aumônier, en date du 28 février 1822.

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« M. le duc de La Châtre.... nous obtient de la bonté » du roi une maison qui nous eût été donnée si M. Laîné, alors ministre de l'intérieur, plus qu'indifférent à un éta>>blissement religieux, n'eût mis des obstacles à cette concession; réduits à racheter une ancienne maison de nos » frères, des largesses de nos bienfaiteurs et de nos petites économies, nous l'habitons depuis sept ans.... mais, malgré les promesses les plus solennelles et les plus » réitérées, nous sommes en France comme les ilotes à » Lacédémone : nous sommes soufferts, on ne veut ni nous >> autoriser, ni nous reconnaître....

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» Nous n'existons que par fiction : la propriété de tous est sur la tête d'un seul, sa mort nous soumettrait à des » droits exorbitans, etc. » (Lettre de M. Saulnier à M. l'évêque d'Hermopolis, ministre des affaires ecclésiastiques, en date du 14 septembre 1824.)

» L'avocat joint à ces citations celle de quittances données par M. l'Abbé pour la dot d'entrée en religion d'un jeune homme, décédé plus tard à Melleray.

» Il conclut de ces divers documens que l'établissement de Melleray était bien réellement une institution monastique, ayant, comme autrefois, une vie commune et un domaine commun, et que cette réunion de co-existence et de co-propriété religieuses est précisément ce que nos lois ont proscrit.

» Il ajoute que l'autorité avait dès-lors, non pas seulement le droit, mais bien le devoir d'ordonner les mesures incriminées, et que son silence et son inaction sur ce point n'auraient été qu'une connivence coupable.

» Me Billault examine ensuite si la marche prise par l'administration pour l'exécution des lois du royaume a été légale,

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Il établit avec le Code des délits et des peines de l'an IV, et notre Code actuel d'instruction criminelle, que pour le maintien et l'exécution des lois deux pouvoirs bien distincts sont constitués : la police administrative qui prévient la violation de la loi ou qui l'arrête; la police judiciaire qui, après la violation, en poursuit l'auteur et le livre aux tribunaux. Ces deux missions ne doivent jamais être confondues empêcher le méfait et le punir sont deux choses différentes. Pour la plupart des actes défendus, le législateur a accumulé les deux genres de répression; mais pour quelques-uns, pour le fait d'association religieuse prohibée, il a négligée la dernière; l'opposition de la police administrative est la seule arme qu'il ait donnée à la loi pour sa défense; l'administration eût été coupable de la négliger.

Mais en justifiant le fait et le droit spécial, l'avocat émet énergiquement le vœu que l'on donne enfin à la France une loi complète sur la responsabilité des agens du pouvoir. Il la regarde comme le seul moyen de conserver à l'action gouvernementale sa puissance, en assurant aux citoyens la liberté.

» Me Billault repousse ensuite le scandale de calomnies répandues contre les procédés de l'administration dans l'exécution des mesures prescrites; il établit que les instructions données étaient pleines d'humanité; qu'en supprimant l'établissement religieux on a eu pour les hommes et les propriétés tous les égards possibles; il exprime énergiquement pour M. de Saint-Aignan l'estime et l'affection que lui portent les bons citoyens.

» Il termine enfin cette discussion par l'examen de la compétence du tribunal et de la régularité de la procédure. » Il établit que l'on a eu tort d'assigner l'Etat, parce que s'il n'y a pas eu violation de la loi, la caisse nationale ne doit rien; et que si au contraire cette violation a eu lieu, ce n'est pas à la caisse nationale, mais bien au fonctionnaire responsable qu'il faut imputer la faute et demander réparation.

» Il soutient, en outre, avec le Code de procédure, que l'assignation ne peut être donnée à la personne du préfet que lorsqu'il s'agit seulement de droits domaniaux.

» Et quant à la compétence, il démontre que, si les

tribunaux ne sont pas liés par les réglemens administratifs généraux quand ils sont contraires à la loi, ils n'ont pas qualité pour annuler les décisions administratives spéciales les deux ordres de juridiction sont indépendans; l'un ressort à la Cour de cassation, l'autre au conseil d'état. Il appelle de ses vœux une réforme de la justice administrative, l'inamovibilité des juges et la publicité des débats; mais il fait observer que ce n'est point aux tribunaux, que c'est au pouvoir législatif qu'incombe le devoir de ces réformes; et résumant sa cause, il conclut que la demande de l'abbé de la Trappe est à rejeter dans la forme et au fond. »

Ce discours, dans lequel, selon le Breton de Nantes, Mc Billault a aussi déclaré que les mesures, prises par l'administration à l'égard de l'abbaye de Melleray, avaient reçu l'approbation de lord Granville, ambassadeur d'Angleterre. Ce discours, écouté avec attention, a été plusieurs fois applaudi.

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