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rendre grâces aux orateurs qui portent dans la discussion des lois une conscience sincère. Ils honorent leur propre nom; ils empêchent celui de la France de descendre trop vite, et, en épouvantant M. de Montalivet, ils donnent quelque espérance à ceux qui espèrent jusqu'au bout que la justice et la liberté ne deviendront pas eunuques au dix

neuvième siècle.

MONOPOLE DES LIVRES ÉLÉMENTAIRES D'INSTRUCTION.

M. le ministre de l'instruction publique et des cultes se démasque chaque jour davantage; encore quelques pas et il se proclamera le patriarche des évéques de France, le premier président des consistoires protestans, et il ne reconnaîtra plus au-dessus de lui que le grand sanhedrin des juifs. Sa Grandeur vient d'adresser aux recteurs des académies de France une longue circulaire pour leur annoncer qu'elle vient de faire choix dans sa sagesse, inspirée et assistée par le conseil royal de l'instruction publique, des livres dont on aura à faire usage dans toutes les écoles primaires de la France pour l'enseignement élémentaire des enfans. Voici comme elle s'y exprime :

« Je viens de prendre des mesures afin de satisfaire promptement à ce qu'exigent les plus pressans besoins de l'instruction élémentaire. » Deux sortes d'ouvrages devaient d'abord appeler mon attention. » Il fallait avant tout chercher à rendre aussi facile que possible l'art de lire, en mettant entre les mains des enfans un premier livre qui fût à leur portée, et qui eût le double avantage, 1o de leur présenter dans un ordre convenable les élémens de la langue; 2o de leur offrir quel. ques notions simples et utiles, propres tout à la fois à servir d'exercices de lecture, à piquer la curiosité naturelle du jeune âge, et à jeter dans l'esprit des semences fécondes pour l'avenir. Il était à souhaiter en outre que ce petit volume fût composé de telle façon qu'il pût être employé dans toutes les écoles primaires, soit catholiques, soit protestantes, et par tous les élèves de l'une ou de l'autre de ces religions. Cette condition se trouve remplie ; et, comme il est aisé de s'en convaincre, il suffira, pour que les écoles israélites puissent également s'en servir, de supprimer la dernière page du dernier exercice.

» Après avoir adopté, pour toutes les écoles indistinctement, ce premier ouvrage d'une utilité universelle, je me suis occupé de pourvoir d'une manière plus spéciale à un autre besoin non moins pressant et non moins senti, celui de concourir à transmettre aux générations naissantes, à l'aide de la lecture, dans les écoles primaires, les principes et les sentimens religieux qui sont indispensables à une bonne éducation.

» Dans ce dessein, ont été ou seront incessamment réimprimés et distribués dans les diverses Académies, plusieurs autres ouvrages que l'estime publique indiquait suffisamment.

» J'ai fait choix, d'après l'avis du conseil royal de l'instruction publique : » Pour les écoles catholiques, du petit catéchisme historique composé par Fleury, approuvé par Bossuet;

» Pour les écoles protestantes, d'un ouvrage récent sur la Bible, qui offre de même un précis historique de l'Ancien et du Nouveau Testament; » Enfin, pour les écoles israélites, le consistoire central a été invité à désigner le livre qu'il jugerait le plus à propos de répandre dans les écoles de son culte.

» Reste maintenant, Monsieur le Recteur, à vous faire connaître comment doivent être distribués les divers ouvrages dont les envois auront lieu dans le courant du mois de novembre.

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Quant au premier de tous, celui qui a pour titre : Alphabet et premier livre de lecture, et qui est destiné à toutes les écoles primaires, le but que le gouvernement se propose est bien marqué :

» Il veut arriver à ce que tous les enfans reçoivent l'instruction élémentaire, et à ce que tous les enfans indigens la reçoivent gratuitement. Il a dû vouloir en conséquence que l'Alphabet fût distribué partout au prix le plus modique, et qu'il fût même donné sans frais aux enfans pauetc., etc. >>

vres,

Il est fort singulier que M. le ministre des cultes ait pris la peine de consulter le consistoire israélite sur le livre le plus convenable à l'instruction primaire des jeunes juifs, et qu'il ait choisi de sa pleine autorité pour les enfans catholiques le petit catéchisme de Fleury, approuvé pár Bossuet. Nous reconnaissons à nos évêques, sous l'autorité du souverain-pontife, le droit de nous dire quels sont les livres catholiques et quels sont les livres qui ne le sont pas : or jusqu'à présent M. de Montalivet n'est pas encore évêque, il s'est contenté d'en faire. Il est vrai qu'il invoque l'autorité de Bossuet; mais Bossuet est mort, et nous som

mes vivans. Si le livre de M. de Montalivet a besoin d'être approuvé, pourquoi s'adresse-t-il aux morts? C'est de nous qu'il s'agit, de notre liberté, et la servitude n'en est pas meilleure pour être cachée derrière un nom de l'autre monde. Voulons-nous du livre de M. de Montalivet, ou n'en voulons-nous pas ? voilà la question. Nous dire que Bossuet a bien voulu de ce livre, ce serait bon si M. le ministre des cuites avait à faire à des ombres du temps de Louis XIV; mais nous sommes des Français de ce temps, nous avons des évêques de ce temps, des volontés de ce temps, des opinions de ce temps, et nous trouvons fort impertinent le régime des ombres. Bossuet est Bossuet, mais la liberté doit être aussi la liberté, d'autant qu'elle ne meurt pas comme les grands hommes, et qu'elle répond tôt ou tard aux évocations même dérisoires que l'on fait d'elle.

On lit dans le Globe :

Nous reproduisons ci-après la circulaire de M. de Montalivet aux recteurs de l'Université.

Cette pièce est conçue dans de bonnes intentions; mais on y remarquera des idées étranges telle est celle d'un livre passe-partout applicable aux écoles religieuses de toute nature, ouvrage d'une utilité universelle, dit le rapport.

On y verra comment M. de Montalivet, assisté du conseil royal de l'instruction publique, fait lui-même pour les écoles catholiques le choix des ouvrages élémentaires; or c'est du Bossuet ou à-peu-près. M. de Montalivet a oublié la vénération qu'il a professée à la tribune pour le pape de Rome.

On pourrait se demander pourquoi M. de Montalivet n'a pas été aussi osé pour les écoles israélites, et n'a pas pris sur lui la responsabilité d'éclairer les jeunes consciences judaïques. Un homme qui se substitue au pape ne pourrait-il pas aussi se substituer au grand-rabbin?

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DES ARMÉES PERMANENTES

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A L'OCCASION DE LA PROPOSITION DE

M. LE GÉNÉRAL Lamarque SUR LA MOBILISation de la garde

NATIONALE.

M. le général Lamarque a fait, la semaine dernière, à la Chambre des députés, une proposition qui se rattache à la question des armées permanentes telle que nous l'avons déjà considérée sommairement dans l'Avenir (1). L'examen de cette proposition rentre donc dans le dessein que nous avions formé de donner suite au développement de nos vues sur ce sujet, un des plus importans qui soient à l'ordre du jour. Les idées que nous avons émises les premiers, qu'on pardonne l'aveu de cette priorité à la jalousie qu'inspire un ardent amour du bien public, sur la nécessité inévitable d'une renonciation obligée au système des armées permanentes, la discussion de la proposition de M. le général Lamarque n'a-t-elle pas révélé qu'elles germent déjà, ces idées fécondes, dans plus d'une conviction? Et n'est-ce pas un impérieux motif pour nous d'unir nos efforts à ceux de quelques députés vraiment libéraux qui, au milieu du chaos parlementaire où ils sont plongés, entrevoient les besoins de notre avenir politique? Envisagée comme un projet défensif que commandent les circonstances, la proposition de M. le général Lamarque est d'une importance qui demeure incontestable malgré les reproches d'inopportunité que le ministère lui a prodigués. Mais cette importance relative deviendrait absolue, si l'urgence accidentelle qu'il peut y avoir d'organiser une défensive momentanée provoquait la constitution d'une force nationale mobile. Le rejet de la proposition constate une fois encore l'hallucination alarmante de la majorité sur laquelle s'appuie le ministère à la Chambre

(1) Voir les Articles de l'Avenir, tom. VI, pag. 42. VII.

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des députés. La marche irrésistible des choses fera justice de cet aveuglement, à nos dépens suivant toutes les vraisemblances, et démontrera, avec sa terrible logique, que notre système militaire ne peut plus s'enraciner que dans la garde nationale, sa base naturelle. Le cavalier russe ou cosaque, troublant seul du bruit des pas de son cheval le calme de la mort dans les rues de Varsovie, Paskéwitsch écrivant à l'autocrate son maître que cette cité digne d'un meilleur sort est à ses pieds, la nationalité polonaise enlevée à la baïonnette au milieu de l'Europe immobile, et la Belgique dupe forcée des mystifications de la diplomatie des rois, voilà le lamentable spectacle auquel nous avons la douleur d'assister; et dans ces résultats de la non-intervention qu'on a le front de prôner en public, nous cherchons en vain des augures de paix. Que la France soit puissante au dehors, c'est ce que nous ne saurions induire du rôle nouveau pour elle que lui ont imposé les partisans doctrinaires de la paix à tout prix. Pour insulter au deuil de la Pologne, veuve de ses héros, par un DE PROFUNDIS Sarcastique, il ne faut que la force de descendre au-dessous des sentimens de l'humanité. La prise en considération de la proposition de M. le général Lamarque eût été un meilleur gage de sécurité que les forfanteries pacifiques de M. Sébastiani à la tribune. Qu'est-ce que le désarmement général, sinon le licenciement d'une partie des armées permanentes qui sont une menace perpétuelle à la tranquillité et à la liberté de l'Europe? Mais comment M. le président du conseil, avec son incontestable habileté, vient-il nous promettre à tout propos un désarmement général, qui n'est possible que par l'adoption d'un système universel de garde nationale mobile ou de landwher? L'établissement simultané, chez toutes les nations de l'Europe, d'une invincible défensive fondée sur un tel système ferait renoncer à toute pensée offensive, et la confiance générale naîtrait de la réduction des armées permanentes. Mais nous qui croyons en avoir démontré l'impossibilité future, nous n'attendons que des leçons du temps la suppression de cet onéreux fardeau qui pèse sur les peuples, et nous ne pensons pas qu'elle puisse être le fruit d'un accord commun entre les cabinets.

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