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et on y a substitué des gendarmes mobiles, que nous sommes obligés de loger, de chauffer, d'éclairer; à des pauvres on a substitué des geôliers.

Enfin, Messieurs, il faut que je vous parle de cette fameuse imprimerie, qui a mis en émoi les autorités du pays; je ne sais pas si déjà je n'ai pas eu l'honneur de vous dire que nous avions fait faire à Nantes, par le graveur Char. pentier, quelques Alphabets de différentes grandeurs, et quelques vignettes, sur de légères feuilles de cuivre, pour estamper et faire de grands livres de chant, auxquels pouvaient travailler nos infirmes et nos malades, et c'est ce petit atelier, que tout le monde a pu voir à l'Abbaye, qu'on a transformé en dangereuse imprimerie, pour publier des libelles. Qu'ils montrent donc, ces absurdes calomniateurs, quelque chose sorti de ces prétendues presses; cet article est digne de faire le pendant de nos pauvres transformés en rebelles et réfractaires.

J'ai cru, Messieurs, qu'il serait bon que vous eussiez tous ces détails; il serait peut-être à propos que vous les communiquassiez à l'éloquent M. Janvier, il en prendrait occasion de faire voir le peu de bien que nous pouvions procurer dans notre canton, la malice infernale de nos accusateurs, et la modération de nos demandes en réparation et compensation, quand on voit tout ce que nos ennemis ont paralysé et détruit.

J'ai l'honneur d'être, etc.

L'abbé F. ANTOINE,
Propriétaire de Meilleray.

QUELQUES DÉTAILS SUR LES TRAPPISTES EXPULSÉS DE BELLEVAUX.

Les Trappistes français, comme tout le monde le sait, avaient trouvé pendant notre première révolution un asile en Angleterre, et dans un pays protestant ils avaient vécu en paix sous la protection de l'hospitalité. On sait comment notre ministère a reconnu envers les Trappistes anglais la conduite généreuse de leur nation à l'égard de nos com

patriotes. Le roi Guillaume lui-même, ce protestant persécuteur du catholicisme, a laissé en paix dans leur solitude les Trappistes de West-Malle, près d'Anvers. Il était réservé aux ministres de France, aux ministres d'une nation qu'on prétend libre et dont la majorité des citoyens professe la religion catholique, il leur était réservé de faire ce dont les gouvernemens protestans auraient rougi. On a vu leurs agens violer la clôture du monastère de Bellevaux, en enfoncer les portes, y bouleverser tout, menacer d'y mettre le feu et contraindre les hommes paisibles qui l'habitaient à prendre la fuite et à aller chercher chez les étranger un asile et la paix qu'ils ne pouvaient plus trouver dans leur pays asservi au nom de la liberté par de ridicules despotes.

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et

Les Trappistes de Bellevaux prirent le chemin du canton de Fribourg. A leur passage dans celui de Neufchâtel, des protestans se présentèrent à eux et leur adressèrent ce compliment: « Messieurs, ceux qui vous chassent de votre » pays ne méritent pas de vous posséder, ils comblent la » mesure de leurs iniquités. Quant à vous, Messieurs, » nous vous disons de grand cœur, soyez les bien venus » dans ce pays. Votre présence et la tranquillité dont vous jouirez parmi nous portera bonheur à la Suisse. >> Cet augure ne s'est pas réalisé d'abord. Le gouvernement de Friboug a refusé aux religieux la permission de s'établir sur son territoire. On avait dit qu'ils étaient pauvres, que si on leur permettait de rester dans le pays ils prendraient dans la bourse des personnes charitables dix mille francs qui leur manquaient pour acheter le domaine de la Val-Sainte, ce qui nuirait aux pauvres de Fribourg. La diète du Valais n'en a pas jugé ainsi. A peine a-t-elle été informée que les Trappistes étaient dans l'intention de lui adresser une supplique à l'effet d'obtenir l'autorisation de se réfugier au milieu du bon peuple valaisan, qu'elle s'est empressée de leur faire savoir qu'elle s'était occupée d'eux et qu'elle leur avait accordé ce qu'ils se proposaient de lui demander. Cette résolution de la diète a été prise à l'unanimité. Aujourd'hui les pauvres de Fribourg vont jusqu'à Géronde en Valais recevoir les aumônes des Trappistes que le gouvernement avait exclus du pays dans la crainte de

COUP D'OEIL SUR LA CONTROVERSE CHRÉTIENNE.

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faire tort aux pauvres. Maintenant on les accuse de faire par leurs aumônes indiscrètes des coureurs et des paresseux. Ainsi, de quelque manière que ces bons religieux s'y prennent, on y trouvera toujours à redire; on trouvera toujours des prétextes pour les persécuter quand on le pourra. Du moins ils n'ont rien de pareil à craindre de la part des bons habitans du Valais. Et la noble conduite de cette diète d'un petit canton suisse, à l'égard de ces exilés, est une grande leçon pour ceux de leurs compatriotes qui, en les expulsant de leur pays malgré la loi, ont fait un acte de barbarie digne des Vandales.

COUP D'OEIL

Sur la Controverse chrétienne, depuis les premiers siècles jusqu'à nos jours, par M. l'abbé Ph. Gerbet (1).

Il y a deux mots dans le monde qui sont unis par leur nature, et qui semblent se repousser; mots fraternels conçus ensemble dans l'éternité, nés au même moment sur les lèvres de l'homme, mais dont la parenté souvent obscurcie a causé entre eux de fréquentes luttes; je veux dire la science et la foi. Qu'est-ce que la science? qu'est-ce que la foi? quels sont leurs rapports et leurs différences nécessaires? Ce sont là les plus grandes questions que l'esprit puisse s'adresser, puisqu'elles embrassent les deux ordres de pensées dans lesquels s'exerce l'activité intellectuelle du genre humain, et hors desquels il n'y a rien dans son histoire, pas même des coups de sabre, puis qu'ils se sont tous donnés pour quelque idée appartenant à la science ou à la foi. Qu'est-ce donc que ces deux grandes choses? qu'est-ce que croire ? qu'est-ce que savoir ?

L'ouvrage de M. l'abbé Gerbet est le développement historique de cette double question. Il avait déjà examiné l'une et l'autre dans un ouvrage publié en 1826, mais à l'aide du seul

(1) 1 vol. in-8°., prix 5 francs.

raisonnement; aujourd'hui c'est avec l'histoire. Après avoir montré rapidement, dès les premières pages de son livre, la coexistence antique de la science et de la foi, dans les diverses écoles qui se sont perpétuées jusqu'à l'ère chrétienne, il s'arrête à ce point, à ce moment où la foi fut comme opposée à la sagesse, où le nouveau maître disait, et ses disciples après lui: Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. Qu'est-ce que cela veut dire ? comment la tradition catholique a t-elle interprété ce langage étonnant en apparence? M. l'abbé Gerbet partage toute la suite de la tradition en trois grandes époques, les cinq premiers siècles, le moyen âge et le temps qui s'est écoulé depuis l'invasion du protestantisme jusqu'à nos jours. A toutes ces époques le catholicisme eut à combattre des hommes de science et des hommes d'une foi étrangère, des philosophes, des hérétiques, des infidèles, tous en appelant à la raison ou à la tradition, et tous remuant de plus ou moins haut ces éternelles questions: Qu'est-ce que croire? faut-il croire? qu'est-ce qu'il faut croire? L'ouvrage de M. l'abbé Gerbet n'a pas pour but de suivre chaque controverse particulière, mais de discerner dans chaque controverse particulière ce qui touche précisément aux rapports de la science avec la foi. Ce travail suppose une connaissance intime de la polémique des dix-huit siècles passés, et les nombreuses citations qui appuient, comme pièces justificatives, l'exposition doctrinale de l'auteur, sont une preuve superflue de son érudition. Il est impossible d'inventer une histoire, même fausse, d'une suite énorme de discussions qu'on ne connaît pas. Ceux qui ont lu çà et là quelques ouvrages des Pères de l'Eglise et des défenseurs modernes de la religion; ceux qui ont parcouru l'histoire ecclésiastique ou des élémens de la tradition à ses diverses époques, seront étonnés, en lisant l'ouvrage de M. l'abbé Gerbet, de trouver le tissu compact d'idées dont ils n'avaient pas saisi la liaison, et de voir ensemble, d'un coup d'œil, les fondemens et l'édifice d'une architecture dont la masse les avait épouvantés.

Il est arrivé à plusieurs qui lisent ceci de rencontrer au fond d'une vallée déserte, ou dans le creux formé par de

hautes montagnes, les restes de quelque vieille abbaye catholique. Après avoir traversé les cours où il n'y a plus ni gazons ni pavés, mais un mélange informe d'herbes et de pierres sillonnées par les pas des voyageurs ou de pauvres habitans des ruines, ils sont parvenus au seuil de ce qui était autrefois l'église abbatiale. Le terrain creusé par la pluie ou par la main des hommes qui ont enlevé les morts, a laissé à nu dans l'intérieur les fondemens des murs; les murs encore debout sont dépouillés des images que la piété avait appendues tout le long d'âge en âge; si l'on regarde au-dessus de sa tête, on n'aperçoit pas de voûte, mais seulement des arceaux qui se découpent au milieu de l'air et qui laissent voir entre leurs lignes noircies un ciel pur ou des nuages : il n'y a plus dans le temple ni or, ni argent, ni sépulcres, ni le Saint des saints, ni fidèles qui prient, ni prêtres qui bénissent, ni lampes allumées, ni obscurité, mais la terre sur laquelle on a bâti, le temps, l'espace, la hauteur et le ciel au-dessus. C'est une œuvre de l'homme avec le moins de l'homme qui se peut : tel est le livre de M. l'abbé Gerbet, avec cette différence que l'œuvre dont il a levé le plan est une œuvre divine à laquelle les hommes ont travaillé, mais où leurs mains ne se voyant plus, la beauté éternelle se découvre partout.

Nous nous garderons bien de faire l'analyse de ce livre. Il n'est lui-même qu'une admirable analyse des travaux les plus élevés de la pensée humaine agrandie par l'Esprit saint, pendant bientôt dix-neuf siècles. Il y aurait trop d'orgueil à redire en d'autres termes ce que l'auteur a dit. Il y aurait trop d'injustice à n'en dire que la moitié. Nous nous bornons à exposer le but et le fond de l'ouvrage. Aucun autre n'exercera sur la restauration des études catholiques une plus forte influence, et nous n'avons pu le lire sans éprouver un amer regret de vivre dans un siècle où nous connaissons si peu le magnifique passé que Dieu nous a fait. Nés au bivouac, sur la paille, nous n'avons pas perdu le sang de nos ancêtres et leurs armes; mais nous n'avons pas eu le temps de lire notre généalogie, ni de voir la maison paternelle. Nous n'en devons que plus de reconnaissancé à ceux qui ont reçu du Ciel le VII. 10

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