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temps d'étudier pour nous notre gloire, et qui nous l'appor. tent sur un bouclier. Aujourd'hui, grâce à M. l'abbé Gerbet, quiconque lira une page d'un écrivain catholique, à quelque époque qu'elle ait été écrite, saura d'avance quel était le point de départ de l'auteur, l'esprit de son temps, la force qu'avait alors son raisonnement, force périe peut-être au dix-neuvième siècle, parce que l'état du genre humain n'est plus le même. Et ici se place une remarque qui révèle plus que tout le reste le mérite de cette analyse, c'est qu'elle détruit de fond en comble les objections répandues contre la logique des Pères de l'Eglise, objections que le lecteur qui n'est pas préparé, tout catholique qu'il soit, se fait involontairement à la lecture de quelques uns de leurs écrits. Sous ce rapport, l'ouvrage de M. l'abbé Gerbet sera utile non-seulement aux catholiques qui veulent étudier leur religion, mais à beaucoup de savans qui parcourent quelquefois les monumens de la chrétienté, et qui en parlent comme s'ils les avaient compris, tout en avouant qu'ils ne les comprennent pas.

Le style de M. l'abbé Gerbet est ce qu'il devait être dans un ouvrage de ce genre, simple, clair, précis, mais toujours harmonieux. On en jugera par une citation qui donnera en même temps quelque idée du fond des choses qu'il traite dans son livre.

« Tout ce que nous venons de voir établi par saint Thomas provoquait de grandes questions. Si le raisonnement ne procure pas la certitude, comment peut-on y arriver? Par la révélation? Mais comment connaissons-nous la révélation elle-même, si ce n'est par le témoignage, la tradition? Et comment la voie de tradition est-elle plus certaine que celle du raisonnement? Si celle-ci est insuffisante parce qu'elle est impraticable pour la généralité des hommes, la tradition est sujette aux mêmes inconvéniens, si elle n'est pas perpétuelle et universelle. Cette tradition existe-t-elle ? Nul doute que ces questions ne sortissent des principes posés par ce grand docteur. Mais, comme l'esprit humain n'était pas tourné vers cet ordre de considérations, pour les raisons que nous avons indiquées cidessus, saint Thomas, après avoir maintenu la nécessité de

la révélation, rentre aussitôt dans l'ordre d'idées qui occupait les esprits, et emploie toutes les forces de la logique et de la métaphysique régnantes, pour battre en ruine les systèmes hétérodoxes de philosophie. La même chose arriva à Guillaume de Paris, qui fut aussi un des génies les plus remarquables du moyen âge, et combattit également la philosophie des Gentils. En le voyant établir que le genre humain ne peut arriver à la religion par le seul raisonnement, que la foi est plus certaine que la démonstration, parce que la foi est une vertu, et que la démonstration n'est qu'un art; que la foi commune à tous les hommes est le fondement nécessaire de la vraie religion, qui doit être universelle elle-même; que si l'on reconnaît à chacun le droit de suivre son opinion, la foi, la morale, le culte s'écroulent, parce qu'il ne peut exister de loist dans aucun genre s'il n'y a pas une loi pour l'intelligence, qui ne croirait qu'il va, en développant ces principes, soulever les questions traitées aujourd'hui? Mais la même cause qui avait arrêté sur cette route le génie de saint Thomas, l'empêche aussi de poursuivre sa marche. En général, on ne fait pas assez attention à l'influence qu'exerce sur les esprits, même les plus vigoureux, l'état intellectuel de leur siècle. Ce qui les pousse en avant, ce qui les presse de donner à leurs pensées fécondes les développemens dont elles sont susceptibles, c'est bien moins, en général, la liaison des idées que le besoin de répondre aux questions qui sont, en quelque sorte, à l'ordre du jour. Voilà pourquoi, même dans leurs écrits dirigés contre la philosophie antichrétienne, les théologiens du moyen âge, après avoir assuré en peu de mots les bases de l'ordre de foi, se lancent aussitôt, conformément à la tendance générale des esprits, dans l'ordre de conception. Cela était d'autant plus naturel, que la scolastique des Arabes ayant, sur beaucoup de points, une grande affinité avec la scolastique chrétienne, ils se trouvaient conduits à s'appuyer sur ces théories communes, pour élever, en face des systèmes ennemis, l'édifice de la philosophie catholique. C'était toujours là le principal objet des travaux de cet âge, et dans la polémique contre les infidèles, il s'agissait bien moins de garantir les masses d'une sé

duction qui ne pouvait guère les atteindre, que de maintenir, par les exploits de la pensée, l'honneur du christianisme comme ses héros le protégeaient par leur bravoure. La scolastique était la chevalerie de l'intelligence.

Ce dernier trait est d'un homme qui voudrait en vain cacher l'imagination brillante et religieuse à qui nous devons les Considérations sur le dogme générateur de la piété catholique. Tout occupé qu'il est à la voiler pour obéir à la nature de son sujet, on la reconnaît souvent, et on la devine; partout on sent que ce style, plein de simplicité et de précision, sort d'une âme poétique, ou, pour parler avec plus de justesse, M. l'abbé Gerbet possède à un haut degré deux facultés différentes, dont il use quand il veut et comme il veut, un raisonnement calme et fort, auquel correspond un style analogue, et une imagination d'autant plus profonde qu'elle a résisté dans son esprit aux envahissemens de la logique. Peut-être avons nous tort de dire ainsi notre pensée sur un ami. Mais la pudeur de l'amitié ne doit pas aller jusqu'à l'ingratitude. Il y a long-temps que M. l'abbé Gerbet sacrifie des années et une grande part de lui-même au désir d'encourager les études théologiques par des productions où la hauteur des pensées se déguise sous une forme modeste. L'ouvrage même qu'il vient de publier contient le plan d'une théologie. Il est juste de rendre gloire à celui qui ne la cherche pas, et qu'il soit trahi par l'amitié comme

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Voyons où nous en sommes après plus de quinze mois d'affranchissement.

Nos églises, que nous avaient rendues les stipulations du concordat, n'appartiennent plus à notre culte, mais à tous les cultes; on nous les préte, et le droit du ministère est d'y faire

célébrer, quand bon lui semble, toute cérémonie, religieuse ou non, qui lui convient.

Nos évêques sont nommés par ce ministère qui s'empare, à heure fixe, de nos tabernacles, pour y offrir des sacrifices de sa façon. Et parmi les évêques qu'il nous donne, les uns sont schismatiques, les autres octogénaires jusqu'à l'imbécilité, ceux-là méprisés des fidèles pour leur vie ambitieuse et

servile.

Nos grands vicaires sont choisis par ce ministère qui nous pourvoit de tels évêques, et en même temps qu'il décerne une mitre, il désigne l'homme qui sera digne de la toucher après lui sur le front de l'élu.

Nos chanoines ont besoin d'être approuvés par ce ministère. Nos curés aussi.

Nos desservans n'en avaient pas besoin jusqu'à présent; mais c'était un abus.

Et, comme l'approbation serait un droit illusoire si l'on n'avait pas celui de désapprouver, le ministère désapprouve les chanoines, curés et desservans qui lui sont présentés par les évêques, jusqu'à ce que les évêques approuvent les chanoines, curés et desservans que leur présente le ministère.

Nos évêques, de peur qu'ils n'abusent du grand pouvoir qui leur reste, sont surveillés par les préfets, qui visent leurs mandemens.

Nos curés le sont par leurs maires, et s'ils abusent de la parole sainte, au jugement de ceux-ci, on leur retire une fraction de leur mandat sur le trésor public, ou on les fait destituer par l'évêque.

Nos grands séminaires doivent être administrés par des délégués de l'autorité civile.

Nos petits séminaires ne peuvent avoir qu'un certain nombre d'élèves, obligés de porter la soutane à un certain âge. Nos Capucins ne peuvent sortir avec un habit de leur choix. Nos Trappistes ne peuvent cultiver la terre en commun. Et tout cela est juste, raisonnable, parfait; car la France nous a dit: Vous êtes libres. Elle nous a dit encore : Tous les cultes sont également protégés. Elle nous a dit de plus L'Eglise est séparée de l'Etat.

Et si nous portons cette liberté avec la patience qui sied à de bons citoyens; si nous acceptons les évêques qu'on a la bonté de nous donner, les grands-vicaires dont on les assiste,

:

les chanoines qu'on approuve, les curés que l'on fait et défait; si nous savons maintenir la paix au moyen de petits sacrifices, emporter notre Dieu quand il gêne, enterrer les morts qui se moquent de nous, jeter en grand secret de l'eau bénite sur les sacriléges; si nous sommes humbles et doux devant ceux qui ont de l'or et des places à distribuer; si, en un mot, nous donnons au monde le spectacle d'une Eglise gouvernée dix ans par M. de Montalivet, il arrivera enfin que nous serons dignes de nous gouverner nous-mêmes; de l'infamie à l'état de mineur nous passerons à l'infamie émancipée. C'est un sort qui vaut la peine d'être tenté.

Mais si par hasard il se trouvait des catholiques et des prêtres à qui ce sort ne convînt pas, nous les conjurerions de remarquer qu'ils y courent depuis quinze mois, et très-vite. Ils se flattent, nous le savons, de rencontrer sur ce chemin la persécution pour les rejeter dans le Ciel; mais ils ne la rencontreront pas. Le plan du ministère est plus habile qu'ils ne le croient. On ne nous ôtera rien, parce que nous n'avons rien que des chaînes; on ne boira pas notre sang, parce qu'on ne boit que le sang qui coule, et non pas celui qui est glacé dans les veines. On nous nommera des évêques, des grands vicaires, des chanoines et des curés voilà tout. Et si le Saint-Siége, comme nous en prions Dieu, et comme nous l'espérons fermement par notre foi en son infaillible sagesse, ne ratifie pas les choix du ministère, le ministère nous laissera sans évêques, et cherchant une créature parmi les grands-vicaires qu'aura nommés le chapitre, il sèmera la division dans les diocèses, détendra tous les ressorts de la discipline, se fera des prêtres à lui, et créera pour nous ce genre de malheur qui corrompt les faibles sans donner place à de grandes vertus. Déjà ce plan s'exécute, et la France catholique est aujourd'hui divisée en deux parts: l'une qui n'a point d'évêques, si ce n'est quelque schismatique ou quelque misérable pendu sur sa tête, et où se passe tout ce que nous venons de dire; l'autre qui possède un épiscopat, mais un épiscopat auquel on ne veut laisser que le nom, et à qui l'on dispute jusqu'aux plus simples cures de village. Tous les jours ce scandale augmente. Plus nous obéirons, plus M. de Montalivet deviendra hardi. Il est de cette race d'hommes très-commune qui poursuit ceux qui se sauvent.

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