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au même article que j'ai déjà cité. « Ils (les sénateurs » et représentants) ne pourront, dans aucun cas, >> sauf pour trahison, félonie et violation de la paix >> publique, être arrêtés durant leur présence à la >> session de leurs Chambres respectives, ni pendant » l'aller et le retour : » Telle est la dispositiou de la constitution fédérale des États-Unis.

En Angleterre, l'immunité de la Chambre des Communes ne s'établit que peu à peu après des luttes prolongées. Nous trouvons des traces de ces luttes et sous Henri VIII, et sous Élisabeth et sous Jacques Ier. Du temps de Jacques Ier on avait arrêté un membre de la Chambre des Communes, il avait été arrêté par un créancier. Les Communes voulurent le ravoir; mais il n'y avait rien de statué à cet égard, aucune règle écrite à suivre, les précédents même manquaient, et, dans un pays formaliste comme l'Angleterre, l'embarras était grand. Les Communes se demandèrent : « Comment pourrons-nous obtenir que le Député soit rendu. » Intimation adressée au geôlier de le mettre en liberté, refus du geôlier qui craignait d'être obligé de payer la dette. Proposition de marcher en force pour briser la porte de la prison. Mais on fit observer que la Chambre pourrait se compromettre gravement pour cet acte de violence. Alors on envoya le geôlier à la Tour. Il s'y laissa mettre, mais ne mit pas le débiteur en liberté. Enfin les Communes s'avisèrent de demander l'intervention du Roi. Cette espèce de compromis fut adopté, il paraissait faire perdre la cause aux Communes, mais il ne fut pas sans résultat, car alors un statut fut rendu

pour rassurer les geôliers dans un cas semblable. Bref, après d'assez longues contestations, le privilége de l'immunité personnelle des membres de la Chambre des Communes a été reconnu en Angleterre. Il était même énoncé en termes fort larges, car il était dit d'une manière tout à fait générale qu'aucun membre de la Chambre ne pourrait être traduit devant aucune cour sans la permission de la Chambre et il y avait là évidemment un grand abus. Aujourd'hui les choses se passent en Angleterre comme chez nous, c'est seulement au criminel que l'immunité est réclamée.

On comprend que plus les garanties de la liberté individuelles sont faibles et plus il importe aux assemblées délibérantes de réclamer une large immunité; car on peut emprisonner un Député non parce qu'il a fait telle chose qui mérite l'emprisonnement, mais aujourd'hui pour l'empêcher de voter, demain pour l'empêcher de parler. Mais en Amérique, par exemple, il est moins nécessaire que le principe d'immunité soit bien large, car dans un pays où la liberté sous caution est facile, le Député ne serait pas souvent empêché d'exercer ses fonctions.

La Constitution de 1791, que nous avons déjà citée, reconnaissait aussi cette prérogative au titre III, chapitre 1er, section 5, article 8 : « Ils pourront, » pour fait criminel, être saisis en flagrant délit, ou » en vertu d'un mandat d'arrêt; mais il en sera » donné avis, sans délai, au Corps législatif; et la >> poursuite ne pourra être continuée qu'après que le

» Corps législatif aura décidé qu'il y a lieu à accu»sation. >>

Vous trouvez de même à l'article 44 de la Constitution de 1793 : « Ils (les députés) peuvent, pour >> fait criminel, être saisis en flagrant délit : mais le >> mandat d'arrêt, ni le mandat d'amener ne peuvent » être décernés contre eux qu'avec l'autorisation du >> Corps législatif. »

La Charte actuelle distingue la contrainte par corps, c'est-à-dire l'emprisonnement en matière civile et la poursuite en matière criminelle. « Arti»cle 43. Aucune contrainte par corps ne peut être >> exercée contre un membre de la Chambre durant » la session et dans les six semaines qui l'auront » précédée ou suivie. Article 44. Aucun membre » de la Chambre ne peut, pendant la durée de la >> session, être poursuivi, ni arrêté en matière cri» minelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après >> que la Chambre a permis sa poursuite. »

Ainsi défense absolue d'exercer la contrainte par corps pendant la session et six semaines auparavant et six semaine après, ce qui fait trois mois, et si la session dure six ou sept mois cela fait neuf ou dix mois. Ne nous en plaignons pas, désirons seulement que ce privilége soit accordé à tout le monde. Quant à la poursuite en matière criminelle, elle n'est permise pendant les sessions qu'avec l'autorisation de la Chambre; il n'y a d'exception que pour le flagrant délit. Je ne vous dissimulerai pas que la définition du flagrant délit, telle qu'elle se trouve dans le Code d'instruction criminelle, donne une assez grande

marge. Rigoureusement il y a flagrant délit quand l'homme est pris sur le fait, mais il y a ausi flagrant délit quand il est poursuivi immédiatement, et encore lorsque, dans un temps voisin du délit, il est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice; la définition, comme vous voyez, est assez large. Quoiqu'il en soit, il faut nous soumettre à ce que veut la loi. Mais encore une fois en matière de contrainte par corps, il y a défense complète pendant le temps indiqué; en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, la poursuite n'est permise pendant la session que lorsque la Chambre, après information, l'a permise.

Ces dispositions ont été appliquées même tout récemment. En 1835 on a demandé à la Chambre l'autorisation de poursuivre deux de ses membres; la Chambre a donné l'autorisation pour l'un et l'a repoussée pour l'autre. Et de cette jurisprudence il résulte une dernière observation. L'article 44 parle de poursuite et d'arrestation en matière criminelle. J'ai déjà dit que ce privilége de ne pouvoir êtrė poursuivi, ni arrêté, doit s'entendre du correctionnel comme du criminel proprement dit.

Quel est l'effet de l'autorisation donnée par la Chambre. Rien autre que de faire disparaître un obstacle. Quand on se présente devant la Chambre, on lui expose que tel Député est prévenu ou accusé de tel fait. La Chambre peut refuser l'autorisation de poursuivre, elle est dans son droit, elle n'a de compte à rendre à personne à cet égard. Accorde-t-elle la

permission qu'on lui demande, elle ne fait autre chose qu'ôter un obstacle, elle replace le Député exactement dans la position où il serait s'il n'était pas Député. Dès lors il est traduit devant la juridiction devant laquelle il serait traduit s'il n'était pas Député, il est poursuivi dans les mêmes formes, l'intervention de la Chambre ne change rien à l'état de la législation générale sur le droit de poursuite et d'arrestation. Seulement il y avait un obstacle résultant de la qualité de Député combinée avec l'actualité de la session. Cet obstacle écarté, on agit comme s'il n'avait pas existé.

Voilà quelle est la mission du Député, quels sont ses rapports légaux avec ses commettants, les priviléges dont il est investi afin qu'il puisse exercer ses fonctions législatives avec fermeté et indépendance. Quelles sont maintenant les obligations imposées au Député? Nous en dirons quelques mots au commencement de la prochaine séance.

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