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de faire la somme des avantages et des inconvénients de deux systèmes, la solution dépend beaucoup des circonstances du pays; il faut savoir s'il y a assez de courage civil pour qu'on ait les avantages du vote public sans en avoir les inconvénients.

En Angleterre, la Chambre des Communes exprime ses votes à haute voix. L'orateur (président) demande que ceux qui sont d'avis d'accepter l'article ou le projet disent oui, et que ceux qui sont d'avis de le rejeter disent non, et l'on crie oui ou non, selon le cas. Le bureau apprécie la force du bruit que font ces non et ces oui. Mais, comme il est quelquefois assez difficile de mesurer ainsi l'éclat des voix, on peut demander et l'on demande toujours pour les affaires importantes, la division de la Chambre. Ceux qui sont pour une opinion sortent, les autres restent, et les scrutateurs comptent les membres qui se trouvent dans l'une et l'autre pièce. C'est un mode de voter assez bizarre et qui a le grave inconvénient d'interrompre à chaque instant les travaux, et de causer une sorte de tumulte par ces promenades continuelles.

A Rome, dans le Sénat, on avait un. mode assez analogue de recueillir les voix. Les uns allaient d'un côté de la salle, les autres de l'autre; de là les expressions pedibus ire in sententiam, pedibus sententiam referre. C'est une forme un peu plus simple, mais qu'il aurait été difficile de suivre en Angleterre, à cause de la petitesse du local.

Nous avons chez nous les deux formes de vote, le vote public et le vote secret. D'après l'article 32 du

règlement : « Toute proposition ayant une loi pour » objet, est votée par la voie du scrutin secret. A » l'égard des autres propositions, la Chambre vote >> par assis et levé, à moins que vingt membres » n'aient demandé le scrutin secret, ou ne le de» mandent après une première épreuve. » Ainsi toute proposition ayant une loi pour objet est votée au scrutin secret; à l'égard des autres le vote par assis et levé est, en général, suffisant.

L'ensemble des propositions de lois est voté au scrutin, mais pour les diverses dispositions de ces lois qui doivent être successivement discutées et adoptées, avant qu'on arrive au vote sur l'ensemble, on vote ordinairement par assis et levé; le vote au scrutin, dans ce cas, n'a lieu que par exception. Or, il ne faut pas perdre de vue que, dans un projet de loi, il y a toujours quelque disposition fondamentale qui est, pour ainsi dire, l'âme du projet. Ainsi supposez une loi électorale, et supposez qu'il y ait dans cette loi quarante articles. Il y en a un qui dira: « Le cens électoral est de tel ou tel chiffre, » ou bien : « La capacité électorale découle de telle ou telle qualité. Évidemment voilà une disposition qui domine le projet tout entier; la grande bataille s'établira sur cet article. On votera par assis et levé, et, au fond, ce sera voter la loi, puis il y aura scrutin secret sur l'ensemble de la loi. Eh bien, il est possible que le scrutin public (par assis et levé) donne un résultat et que le scrutin secret en donne un autre. Voilà ce qui peut résulter de ce mode de cumuler deux manières de voter. Mais, d'un autre côté, si l'on votait au scru

tin secret chaque article, il faudrait des mois, des années pour voter une loi un peu étendue. Le vote public est donc une nécessité pour peu que l'œuvre législative soit un peu étendue.

Mais quel est le nombre de Députés requis pour qu'une délibération de la Chambre soit efficace? C'est là une question de droit public qui suppose un fait c'est que les mandataires ne déploient pas un zèle extrême dans l'accomplissement de leur mandat. Ainsi on a remarqué, en Angleterre, que, sur 680 membres, on pouvait regarder comme chose établie qu'il en manquait toujours pour le moins un tiers; et je dis dans les cas graves, car dans les séances ordinaires il manquait souvent la moitié ou les deux tiers. Mais cela n'arrive pas seulement dans les monarchies. Ainsi, dans plusieurs des petites républiques suisses, où la loi demandait un nombre de Députés fort élevé, il a été impossible pendant longtemps, d'avoir une séance et de délibérer. Et cependant ce sont des États où, dans les plus vastes, on peut en douze heures, ou tout au plus en vingt-quatre heures, arriver à la frontière, et il a fallu se contenter d'un moindre nombre de votants.

L'expédient, que quelques publicistes ont suggéré, d'une mesure pénale contre les Députés qui ne se rendent pas à leur poste, n'a pas grand résultat. D'abord la Chambre est un tribunal qui n'est pas très-disposé à se montrer sévère dans ces cas-là. Les amendes sont également de peu d'effet. Chez nous, il y a un moyen de police auquel on a quelquefois recours, c'est l'appel nominal et l'insertion au Moniteur

des noms des absents, ce qui n'empêche pas que la Chambre ne soit quelquefois fort dégarnie. Mais, quoi qu'il en soit, il est parfaitement vrai que, si on exigeait que la Chambre fût au complet, il n'y aurait jamais de discussion. Il faut donc toujours compter sur un ensemble composé d'un nombre moindre que le nombre total.

En Angleterre la latitude est immense. Sur une Chambre des Communes de 680 membres, on peut délibérer avec 40 membres seulement, et certains bills même, qu'on appelle trial bills, peuvent être faits par 15 membres, mais il faut au moins 40 membres s'il y a réclamation.

Cette nécessité d'avoir un nombre fixe pour délibérer était comprise même dans les temps anciens. Vous avez vu dans les lettres de Cicéron : numera senatum. Quel était ce nombre? on ne le sait pas trop; on a prétendu qu'il était primitivement de 100 et sous Auguste de 400, mais cela n'est pas cer ain. Ce qui est certain, c'est qu'il fallait un certain nombre de Sénateurs.

De même en Angleterre, vous avez le numera senatum, mais on ne le dit jamais, parce que, si l'affaire est importante, il y a toujours assez de monde, et que, si l'affaire est peu importante, personne ne s'inquiète de savoir si le nombre y est ou non.

L'article 16 de la Charte porte: « Toute loi doit » être discutée et votée librement par la majorité de >> chacune des deux Chambres. » Sur cet article il pouvait s'élever deux questions, la première de savoir si les expressions: par la majorité de chacune des

deux Chambres s'appliquaient également au mot discutée et au mot votée, ou simplement au dernier mot. Ce passage a été interprété par l'article 38 du règlement, comme ne s'appliquant qu'au vote. « La

présence de la majorité des Députés est nécessaire » pour la validité des votes de la Chambre. » La Chambre peut donc discuter, mais ne peut pas voter sans être en majorité.

Quand nous parlerons de la Chambre des Pairs nous vous signalerons une deuxième question, celle de savoir si le mot majorité veut dire majorité des membres de la Chambre, ou majorité des membres présents à la séance; dans la Chambre des Députés, il faut la majorité des Députés.

Supposons maintenant le vote prononcé ou par assis et levé ou par le scrutin secret. Le résultat est proclamé par le président en ces termes : La Chambre a adopté ou la Chambre n'a pas adopté; rien de plus. La Chambre ne motive pas ses délibérations, elle discute, entend les raisons pour et contre, mais elle ne prononce que par vote pur et simple, par affirmation ou par négation. Cela est dit formellement dans la loi du 13 août 1814, titre III, article 3 : « Les >> Chambres ne motivent ni leur acceptation ni leur >> rejet; elles disent seulement : La Chambre a adopté, » ou la Chambre n'a pas adopté. »

Et, en vérité, il n'est pas nécessaire de vous indiquer les motifs de cette disposition. Que les décisions d'un homme ou d'un petit nombre d'hommes puissent être motivées, cela se conçoit, surtout lorsque, comme dans le cas du pouvoir judiciaire, la mission

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