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QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Administration intérieure de l'Etat.

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Distinction des intérêts. La coexistence d'intérêts particuliers avec l'intérêt général, est un corollaire de la formation des sociétés civiles, qui résultent de l'agglomération d'unités primordiales; il faut donc une administration générale et une administration locale. Division du travail nécessaire dans l'administration comme dans l'industrie. Principes dirigeants pour arriver à une bonne division du travail administratif.

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MESSIEURS,

La dernière attribution de la puissance exécutive est l'administration de l'État, non plus dans ses rapports avec les nations voisines et étrangères, mais l'administration intérieure. Je prends ici le mot administration dans son sens général, l'exécution de toutes les lois, l'administration de la chose publique dans son ensemble et dans chacune de ses parties. Il est superflu, sans doute, de vous faire remarquer combien est complexe et varié le fait général que nous exprimons par les mots administration de la chose publique. Il n'est pas un de nous qui, en jetant un coup d'œil autour de lui, n'aperçoive à

l'instant même les branches diverses qui viennent se réunir pour former ce grand ensemble de l'administration intérieure de l'État.

Il convient de chercher à démêler quels sont, quels doivent être les principes régulateurs de l'action qui s'applique à un fait si varié et si complexe. Il faut, en d'autres termes, appliquer au fait général dont nous parlons deux principes importants, la distinction des intérêts, et la division du travail.

Je dis d'abord que, pour bien saisir le fait dont nous parlons, pour en bien apprécier toute la portée, il faut y appliquer le principe de la distinction des intérêts. Y a-t-il, en effet, un seul et unique intérêt, ou y a-t-il des intérêts divers? S'il n'y a qu'un seul et unique intérêt, il n'y a pas à distinguer par rapport à ce chef. S'il y a des intérêts divers, sous peine de tout confondre, il faut s'en faire une idée nette, il faut les distinguer les uns des autres.

Y a-t-il des intérêts divers. Nous l'avons souvent dit, souvent répété et nous ne craignons pas de le répéter encore, car c'est à la fois un fait et un principe capital pour le pays, pour la prospérité, la force et l'avenir de la France; la France est une, le principe de l'unité nationale est un principe établi, consacré, fondement de nos institutions. C'est là l'intérêt principal, c'est là l'intérêt dominant, c'est l'intérêt devant lequel tous les autres intérêts doivent fléchir, qui dans ses nécessités et ses exigences ne saurait rencontrer d'autre obstacle

que les règles de la justice; dans les limites du droit et de la justice, dans les limites du bien et du vrai, c'est l'intérêt capital devant lequel tous les autres doivent fléchir.

Mais tout en reconnaissant non-seulement l'existence, mais aussi l'importance et l'utilité de ce principe, est-ce à dire qu'il soit absolument exclusif, est-ce à dire que l'intérêt général, l'intérêt unitaire français doive absorber absolument, d'une manière pleine, complète, tout autre intérêt? L'unité nationale n'est pas une individualité primitive, elle est un résultat, c'est là un fait capital qu'il ne faut pas perdre de vue. Nous ne le développerons pas, car nous l'avons développé dans la première partie de ce cours en vous faisant voir, aussi bien que nous l'avons pu, comment l'unité française s'est formée peu à peu, et comment enfin elle a été définitivement fondée par le fait de la Révolution de 1789. Je ne fais donc que me résumer, et je me résume clairement pour ceux qui ont suivi ce cours, en disant que l'unité française est un résultat, non un fait primordial. Au reste, il en est ainsi de toute unité nationale, parce que les choses se passent ainsi pour la nation elle-même. Le principe générateur de l'unité nationale, c'est l'individu physique, ou peut-être, pour mieux dire, l'élément primordial et générateur, c'est la famille, c'est l'agglomération, et, avec l'agglomération, l'organisation des familles; voilà la société, et avec la société naît l'unité nationale plus ou moins forte, plus ou moins compacte, plus ou moins digne de ce nom, car, comme nous le disions, il y unité nationale au

fond, partout où il y a cette organisation commune. Mais cette organisation se trouve quelquefois si lâche, qu'on peut y voir une absence d'unité nationale, et c'est seulement dans ce sens que nous disions : il y a plus d'unité nationale en Amérique qu'en Suisse, mais il y en a bien plus en France qu'en Amérique.

Avec la société s'est donc formée l'unité nationale et avec l'unité nationale se forme l'intérêt général, l'intérêt dominateur dont nous parlions; cet intérêt, dans les limites du bien et du juste, prime tous les autres, mais il y avait des unités primordiales dont la société est le résultat, donc des intérêts spéciaux, et ces intérêts spéciaux, ces intérêts particuliers ne sont pas étouffés par l'intérêt général, mais ils se subordonnent à l'intérêt général et ne gardent de leur activité propre que la part que l'intérêt général peut leur laisser sans compromettre l'association, sans compromettre l'existence et le développement de la société.

Ainsi la coexistence d'intérêts particuliers avec l'intérêt général est un corollaire de la formation même des sociétés civiles qui résultent de l'agglomération d'unités primordiales, et ces unités primordiales ou ces personnes morales ont nécessairement leurs intérêts particuliers; ces intérêts particuliers entrent dans l'organisation sociale comme l'unité elle-même à laquelle ils se rattachent, mais ils doivent se coordonner avec les autres intérêts particuliers et avec l'intérêt général.

Jusqu'ici ces idées sont, en quelque sorte, élé

mentaires, et si l'on passait toujours d'une manière immédiate de l'élément primordial, la famille, au résultat définitif de la société, il y aurait peu de contradictions, peu de difficultés dans la connaissance des intérêts divers et dans leur coordination. Ainsi, dans un État comme la république de Saint-Marin, on conçoit des familles et la société civile; dans quelques principautés d'Allemagne, on conçoit également des familles et la société civile. Là on n'éprouve pas le besoin d'autres intermédiaires; là la première agglomération est, pour ainsi dire, la dernière, elle peut tenir lieu de tout, et, à coup sûr, si vous étiez demain chargés d'organiser un petit État composé de quatre ou cinq cents familles, vous n'éprouveriez aucun besoin d'intermédiaires entre l'État et les familles. Trois ou quatre cents familles peuvent à la rigueur se connaître entre elles, connaître leurs intérêts communs et faire la part des intérêts de chacun, tout cela est possible à la rigueur. Mais étendez maintenant la sphère de votre opération. Au lieu de trois ou quatre cents familles, ayez-en trois mille, trente mille, trois cent mille, trois millions, et donnez à chacune un territoire, formez un État. Estce que dans ce cas vous trouverez la même facilité pour passer de l'élément primordial, la famille, à l'État. Il vous arrivera ce qui arrive à un constructeur qui voudrait mettre ensemble des choses tout à fait isolées l'une de l'autre sans l'aide du ciment; il vous arriverait ce qui arriverait à celui qui prétendrait faire une grande voûte et retenir tous les matériaux nécessaires par la seule force de la clef; cela

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