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et suffisants. Il n'y a pas ordinairement de discussion à cet égard parce que la Chambre connaît d'avance les motifs de la démission. Mais si un doute s'élevait, si on pouvait penser qu'une démission a été obtenue par des suggestions, ou n'est pas fondée sur des motifs suffisants, la Chambre pourrait refuser de la recevoir.

J'ai dit en second lieu que la démission peut être implicite. Nous en avons déjà vu un exemple dans le Député qui ne prête pas serment. Il y a un autre moyen qu'il faut bien connaître, je veux parler de l'acceptation de fonctions publiques salariées, je veux parler de la loi du 12 septembre 1830. C'est une conquête du système représentatif en France. « Tout >> Député qui acceptera des fonctions publiques sala»riées, sera considéré comme donnant, par ce seul » fait, sa démission de membre de la Chambre des » Députés. >> Voilà le principe et ce que j'appelle une conquête de 1830.

En Angleterre, l'établissement de ce principe a été l'occasion de longues luttes. Là aussi les fonctionnaires publics, et en particulier les sinécuristes, dont l'Angleterre abondait plus qu'aucun autre pays, envahissaient la Chambre des Communes. Tous les efforts faits pour obvier aux inconvénients de ce système avaient été inutiles lorsque dans l'acte de settlement, d'établissement de la couronne dans la maison de Hanovre en 1702, on prit un parti, en quelque sorte désespéré: on établit que tous les fonctionnaires publics en masse seraient exclus de la Chambre des Communes. C'était une mesure violente, une

mesure de réaction amenée par l'inutilité des efforts qu'on avait faits même après la révolution de 1688, même sous Guillaume III, pour améliorer cet état de choses. Après cette réaction arriva enfin une mesure d'un autre ordre. En 1706 fut établi le principe que ceux qui seraient nommés à des fonctions publiques après leur nomination à la Chambre des Communes, devraient se soumettre à la réélection. Voilà le principe de la réélection établi en Angleterre en 1706. Et cependant, comme le système de corruption au moyen des emplois et des sinécures n'avait pas cessé, car vous savez qu'il y a vers le milieu du XVIIIe siècle le règne de Walpole, on revint à un nouveau bill portant que ceux qui occuperaient tels ou tels emplois publics ne pourraient pas être Députés.

En France, la question s'était aussi présentée. Une tentative fut faite entre autres pour établir le même principe en 1828 et il y eut alors une brillante discussion que je signale à ceux qui aimeraient approfondir ce point spécial de droit constitutionnel. Entre autres faits cités à la Chambre des pairs on établit que sur 1,500 Députés qui avaient siégé en France dans les différentes Chambres, on en comptait plus de 1,200 qui avaient été fonctionnaires publics. Cependant la mesure ne fut pas adoptée.

Dans la Charte de 1830, à l'article 69, il était dit : « Il sera pourvu successivement par des lois sépa» rées, et dans le plus court délai possible aux >> objets qui suivent: 3° la réélection des Députés » promus à des fonctions publiques salariées. » La loi du 12 septembre 1830 que je viens de citer

n'était que l'accomplissement de cette promesse de la Charte. Et certes, je crois qu'il serait superflu d'insister sur les motifs de cette disposition; la démission forcée du Député qui est promu à des fonctions publiques salariées, en d'autres termes, l'obligation de se soumettre à la réélection tient à des motifs trop manifestes. C'est le seul moyen de garantir la sincérité des candidatures et des élections. Je dis de garantir la sincérité des candidatures, et j'entends par là de s'assurer que l'homme qui aspire aux fonctions de Député, quand même il serait mu par des motifs d'ambition, d'intérêt personnel si vous voulez, n'a pas conçu le projet d'arriver à la députation uniquement, exclusivement pour faire dans la Chambre ses propres affaires et ne prendre aucun soin des affaires du pays. Et alors les élections comme les candidatures gagnent en sincérité et en patriotisme. Non-seulement alors le gouvernement gagne en dignité, mais il trouve dans la loi une protection contre lui-même et contre le dévergondage des sollicitations. Il peut dire en effet aux Députés solliciteurs : « Si vous êtes nommé à cette place, vous ne serez plus Député. » Et ce qui importe encore plus, c'est que la Chambre augmente par là son autorité morale. Si elle a dans son sein des fonctionnaires publics, ce sont des fonctionnaires que les électeurs connaissaient quand ils les ont nommés ou renommés; ce ne sont point des fonctionnaires qui ont demandé les fonctions de Député uniquement pour avoir des places. L'autorité de la Chambre y gagne donc.

Lors de la discussion de 1828 on disait : « C'est là une loi injurieuse, vous supposez donc des intentions basses, coupables. » Mais c'est là, Messieurs le système représentatif, c'est là tout le système de garanties. Croyez-vous que toutes les garanties du monde ne sont pas exigées par le motif qu'on se méfie de quelque chose? Est-ce que la publicité des tribunaux n'a pas quelque inconvénient, est-ce qu'elle est à l'abri de tout reproche? Qui voudrait cependant y renoncer? Pourquoi tout le monde la veut-il? Et pourquoi telles conditions d'éligibilité, pourquoi telles conditions imposées aux fonctionnaires publics euxmêmes? Il n'y a pas un article de la Charte qui ne soit motivé sur des raisons de méfiance. Ainsi, soumettre à la réélection le Député promu à des fonctions publiques salariées, c'est lui montrer de la méfiance, mais c'est une sûreté qu'on demande alors comme toujours.

De même et je termine par cette observation, c'était un raisonnement faux que celui qu'on faisait en 1828 lorsqu'on disait : « Mais vous renvoyez le même citoyen devant ses électeurs, donc vous reconnaissez que le corps électoral est un corps en quelque sorte permanent, que le Député à un compte à rendre à ses électeurs, vous marchez au mandat impératif. » Mais non, Messieurs, la loi dit que celui qui accepte une fonction publique salariée est censé démissionnaire. Quand il y a démission, on couvoque le collége électoral de l'arrondissement qui n'est plus représenté, le fonctionnaire se présente comme tout autre citoyen, il n'est plus que cela. Supposez qu'il y ait

plusieurs vacances à la fois, le fonctionnaire peut se présenter devant un autre collége que celui qui l'avait nommé, ce n'est pas là une même affaire jugée par les mêmes juges. Vous avez été nommé dans telle ou telle position, tels étaient vos rapports avec le pouvoir. Aujourd'hui, par votre choix, ces rapports sont différents, votre position a changé par votre fait, par votre volonté. Eh bien, l'élu doit être avant tout un honnête homme.

Nous disions, dans la précédente séance, que si, après avoir montré à ses électeurs telles et telles opinions politiques, il lui arrivait de bonne foi de changer d'avis, d'adopter d'autres opinions, il doit obéir sans doute à sa conscience, mais il doit en même temps donner sa démission et se représenter devant ses électeurs; le législateur a appliqué cette même règle à la nomination à des fonctions publiques salariées; et c'est une disposition qui rend hommage à la morale, comme elle garantit la pureté des fonctions de Député.

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