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gion doit leur payer en services ce qu'ils lui concèdent en croyance.

Cette manière étroite et incomplète de l'envisager a plus d'un inconvénient.

Comme en cherchant dans toutes les beautés de la nature un usage immédiat, une application directe à la vie commune, on flétrit tout le charme de son magnifique ensemble, de même en ne perdant jamais de vue que la religion doit être utile, on dégrade la religion; en second lieu, l'utilité pratique n'impliquant nullement la vérité de la théorie, l'homme n'en est pas plus religieux parce qu'on lui dit que la religion est utile, car on ne croit pas dans un but; enfin, l'utilité de la religion sert de prétexte à ceux qui gouvernent pour faire violence aux consciences de ceux qui sont gouvernés, de sorte que d'un trait de plume on donne à des peuples incrédules des maîtres persécuteurs.

Ce besoin d'utilité immédiate et pour ainsi dire matérielle est au reste le vice inhérent à notre esprit national (1). Il a ses avantages

(1) M. de Châteaubriand lui-même, dont le talent n'est

sans doute. Il donne plus de régularité, plus de suite à l'enchaînement des idées. L'on marche plus directement au but, en ne le perdant pas de vue. Mais aussi, lorsqu'on n'examine toutes les questions que dans un but, on court grand risque de ne pas apercevoir tous les côtés des questions. On repousse tous les sentiments, toutes les impressions, toutes les émotions involontaires; qui sont quelquefois plus propres que les raisonnements rigoureux à jeter un jour nouveau sur les objets des méditations humaines, et qui contiennent peut-être le mot de la plupart des énigmes que nous demandons à la logique scule de nous expliquer.

Trois écrivains pourtant se sont élevés par fois au-dessus de cette vue étroite et mesquine. L'un, et nous en avons déja parlé, c'est

pas contestable, et qui est certainement le premier de nos écrivains, lorsqu'il peint la partie rèveuse et mélancolique du sentiment religieux, a cédé d'une manière plus bizarre que personne à cette manie d'utilité. Il fait valoir celle du christianisme pour la poésie, comme si un peuple cherchait dans sa croyance de quoi procurer une mythologic à ses versificateurs.

Fénélon mais on a vu qu'il fut arrêté dès

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ses premiers pas par l'autorité de l'église romaine, qui, chose bizarre, lui fit un crime d'avoir cru que l'homme pouvait aimer Dieu sans retour sur lui-même, sans vues égoïstes et sans calculs personnels. Le second c'est J. J. Rousseau. Quelques-unes de ses phrases sont empreintes d'un sentiment religieux, pur, désintéressé, sans alliage de motifs terrestres. Mais Rousseau, s'agitant au milieu de mille pensées contraires, a rassemblé sur la religion, non moins que sur la politique, de discordantes et confuses hypothèses. Le plus affirmatif des hommes et le plus impatient de l'affirmation des autres, il a tout ébranlé, non qu'il voulût, comme on l'a dit, tout détruire, mais parce que rien ne lui semblait à sa place. Il a, dans sa force prodigieuse, arraché de leurs fondements antiques les colonnes sur lesquelles reposait, tant bien que mal, l'existence humaine; mais architecte aveugle, il n'a pu, de ces matériaux épars, construire un nouvel édifice. Il n'est résulté de ses efforts que des destructions, de ces destructions qu'un chaos où il a laissé sa puissante empreinte.

M. de Montesquieu, enfin, aurait, par son esprit plus encore que par son ame, pu répandre sur ce qui tient à la religion des lumières nouvelles. Il ne pouvait approcher d'aucun objet sans entrevoir beaucoup de vérités, et comme toutes les vérités se tiennent, remontant des faits qu'il démêlait avec une sagacité admirable à la cause commune de ces effets nombreux, il eût peut-être aperçu le principe général à travers des modifications infiniment variées. Mais outre que le génic même ne devance son siècle que jusqu'à une certaine distance, M. de Montesquieu dans l'Esprit des Lois n'avait à examiner la religion qu'accidentellement : il n'en a dit que ce qu'il était forcé d'en dire. En lisant ce chef-d'œuvre du XVIIIe siècle, on croit voir l'auteur écartant les idées qui se pressent à lui jusqu'à l'importunité, comme Énée repoussait les ombres avec son épée pour se faire jour à travers la foule.

La révolution française, produite parce que nous avions trop de lumières pour vivre sous l'arbitraire, a dévié de sa route parce que nous n'avions pas assez de lumières pour profiter de la liberté. Elle a déchaîné une mul

titude qu'aucune méditation n'avait préparée à cet affranchissement subit. Elle n'a pas tardé à se transformer en une force matérielle, sans frein comme sans règle, dirigée contre coutes les institutions dont les imperfections l'avaient provoquée. La religion a été en butte à la persécution la plus exécrable. Il s'en est suivi ce qu'il devait s'ensuivre; la réaction a été d'autant plus forte que l'action avait été plus injuste et plus violente. Parmi les écrivains actuels de la France, plusieurs de ceux qui s'intitulent les défenseurs de la religion, hommes non moins ignorants de l'histoire que les démagogues leurs prédécesseurs, et non moins aveuglés sur les conséquences de toutes les mesures tyranniques, proposent, comme une découverte en faveur de la religion, de vieux attentats qui ont échoué sous François Ier, sous Philippe II, sous Marie d'Angleterre et sous Louis XIV. Misérables sophistes, non moins perfides envers les gouvernements qu'envers les peuples!

Ainsi la religion a été traitée en France d'une manière toujours partiale et souvent superficielle. Elle a tour à tour été défendue avec une pédanterie virulente et hostile, atta

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