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CHAPITRE III.

Que l'effet moral des mythologies prouve la distinction que nous voulons établir.

Ce n'est pas seulement pour comprendre la marche générale de la religion qu'il faut distinguer le sentiment religieux d'avec ses formes, il faut aussi reconnaître cette distinction pour résoudre des questions de détail qui ont présenté jusqu'à ce jour d'insurmontables difficultés.

Des nations puissantes et policées ont adoré des dieux qui leur donnaient l'exemple de tous les vices. Qui n'eût pensé que ce scandaleux exemple devait corrompre les adorateurs? Au contraire, ces nations, aussi long-temps qu'elles sont restées fidèles à ce culte, ont offert le spectacle des plus hautes vertus.

Ce n'est pas tout. Ces mêmes nations se sont détachées de leur croyance, et c'est alors'

qu'elles se sont plongées dans tous les abîmes de la corruption. Les Romains, chastes, austères, désintéressés, quand ils encensaient Mars l'impitoyable, Jupiter l'adultère, Vénus l'impudique, ou Mercure le protecteur de la fraude, se sont montrés dépravés dans leurs moeurs, insatiables dans leur avidité, barbares dans leur égoïsme, lorsqu'ils ont délaissé les autels de ces divinités féroces ou licencieuses.

D'où vient ce phénomène bizarre? Les hommes s'amélioreraient-ils en adorant le vice? Se pervertiraient-ils en cessant de l'adorer?

Non, sans doute; mais aussi long-temps que le sentiment religieux domine la forme, il exerce sur elle sa force réparatrice. La raison en est simple : le sentiment religieux est une émotion du même genre que toutes nos émotions naturelles; il est, en conséquence, toujours d'accord avec elles. Il est toujours d'accord avec la sympathie, la pitié, la justice, en un mot, avec toutes les vertus (1). Il s'en

(1) Un écrivain, qui ne manque ni d'habileté ni de talent, a tenté d'obscurcir cette vérité. Il a frappé d'anathème le sentiment religieux. Il l'a peint d'abord comme

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suit qu'aussi long-temps.qu'il reste uni avec une forme religieuse, les fables de cette reli

n'existant pas, ensuite comme précipitant Fhomme dans les excès les plus déplorables. Nous avons senti qu'une discussion prolongée romprait tout le fil de nos idées ; et ne voulant pas néanmoins laisser sans réponse des assertions qui, présentées avec un certain art, pourraient produire quelque impression, nous consacrerons cette note à l'examen un peu détaillé du système de M. de la Mennais. Il nous a beaucoup facilité notre tâche; car on verra que ses contradictions nous fourniront, à elles seules, la plupart des réponses dont nous avons besoin pour le réfuter.

L'auteur de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, demande ce qu'est le sentiment religieu.r. : « Aucun dogme, dit-il, n'est écrit dans notre cœur; et Dieu n'existait pas pour nous avant qu'on nous l'eût nommé « (tom. II, pag. 194). »

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Il pense de la sorte dans son second volume. Voici quelle était sa pensée, lors de la publication du premier : « La religion, disait-il, est si naturelle à l'homme, que peut-être il n'est pas en lui de sentiment plus indes«tructible. Même lorsque son esprit la repousse, il y a « encore dans son cœur quelque chose qui la lui rappelle : « et cet instinct religieux qui se retrouve dans tous les hommes est aussi le même dans tous les hommes. En«tièrement à l'abri des écarts de l'opinion, rien ne le « dénature, rien ne l'altère. Le pauvre sauvage, qui « adore le grand esprit, dans les solitudes du nouveau monde, n'a pas sans doute une notion aussi nette et

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gion peuvent étre scandaleuses, ses dieux peuvent être corrompus, et cette forme néanmoins avoir un effet heureux pour la morale.

« aussi étendue de la divinité que Bossuet: mais il en a le « mème sentiment (tom. I, pag. 85). ›

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Le sentiment, poursuit-il toutefois, est passif de sa « nature: il ne nie rien, il n'affirme rien (tom. II, pag. 183) », et par conséquent ne nous enseigne rien. Mais il cite ensuite avec admiration et assentiment ces mots de Tertullion : « Les témoignages de l'ame sont d'autant plus vrais qu'ils sont plus simples.... d'autant plus com« muns qu'ils sont plus naturels, d'autant plus naturels qu'ils sont plus divins. Le maître, c'est la nature; l'ame « est le disciple. » (De Testim. animæ, lib. adv. gentes. cap. 5 et 6, tom. II, pag. 266.) Qu'est-ce done que cette nature, si ce n'est celle qui porte l'homme au sentiment religieux? Qu'est-ce que cette ame, dont les témoignages sont si éclatants, si ce n'est l'ame que le sentiment religieux domine?

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M. de la Mennais prétend « que le sentiment du vrai « et dù faux, du bien et du mal, est changeant et varia«ble (tom. II, pag. 200). Que l'homme fait quelquefois « le mal avec complaisance (ibid. pag. 201), et que ceux qui admettent le sentiment comme autorité, ne sauraient distinguer ce qu'est la vertu de ce qu'est le crime ( ib. « pag. 201, 202). » Que pouvons-nous faire de mieux que de nous en remettre à son talent, pour confondre ses sophismes? Il nous apprendra « que, le sentiment de la divinité, celui du juste et de l'injuste, celui du bien et

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Les fables sont l'objet d'une crédulité qui n'exige ni ne provoque la réflexion. On dirait

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« du mal, se retrouvent chez tous les peuples (tom. II, pag. 119); que partout, dans tous les temps, l'homme « a recommu la distinction essentielle du bien et du mal, du juste et de l'injuste; que jamais aucune nation « ne confondit les notions opposées du crime et dè la « vertu (tom. I, pag. 172, 173). » Il nous apprendra « que lorsqu'on dit à l'homme qu'il n'existe ni juste ni injuste, ni crime ni vertu, que rien n'est bon ni mal en soi, que nourrir son vieux père ou l'égorger sont des actions indifférentes, tout l'homme se soulève à cette seule idée, et que la conscience pousse un cri d'horreur (ib. pag. 87). » Il nous apprendra, enfin, « que l'homme « ne peut violer les lois du juste ou de l'injuste, qu'en « violant sa raison, sa conscience, sa nature toute entière, « cu renonçant à la paix et au bonheur (ib. pag. 366,

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367), et que si nous considérons le monde entier durant « tous les siècles, nous verrons un effroyable déborde«ment de vices et de crimes divers, multipliés à l'infini, « une continuelle violation des devoirs les plus saints, et en même temps, l'immuable distinction du bien et du mal, perpétuellement reconnue et proclamée par la « conscience universelle (tom. III, pag. 487). »

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« Sentez-vous, demande-t-il, qu'à cette vie en succède « une autre qui ne finira pas? Non, répondez-vous (tom, II, pag. 202). » L'auteur se trompe. Nous répondons si peu négativement que nous lui dirons, en empruntant encore ses paroles : « Le genre humain, défendu par une

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