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du Roi ; et il est évident que cela ne convient nullement, et que ce serait même une absurdité choquante.

Sous quel rapport en effet la puissance législative considérerait-elle le Roi si elle parlait en son nom? Si elle le considérait comme faisant partie d'ellemême, elle reconnaîtrait par cela seul que sa volonté est au-dessus de la volonté des deux chambres, ce qui serait contraire à la constitution. Si elle le considérait comme investi du pouvoir exécutif, ce se❤ rait encore pire; puisqu'elle reconnaîtrait implicitement que la puissance qui veut, ne doit exprimer que la volonté du pouvoir qui exécute.

Toutes les fois que dans le dispositif d'une loi, il est dit nous voulons, nous ordonnons, nous accor dons, etc., on doit donc entendre que la loi veut, que la loi ordonne, que la loi accorde ; et s'il est nécessaire de désigner une des trois branches de l'autorité législative, on doit la désigner nominativement, où l'indiquer de manière qu'on ne puisse jamais la con-fondre avec les deux autres. Pour mieux sentir la nécessité de cette distinction, supposons que le Roi, conservant la part qu'il a dans la puissance législative, n'eût pas été investi du pouvoir exécutif, et que le pouvoir exécutif n'eût eu aucune part dans la formation des lois ; il est clair que, par ces expres ́sions, nous nous réservons, insérées dans une loi, on ́aurait entendu, la puissance législative se réserve; et que jamais on aurait osé prétendre que la réserve était faite en faveur de l'une des trois branches de

l'autorité législative, ou en faveur du pouvoir exé: cutif.

Les réclamations faites contre la rédaction dulprojet de loi étaient donc bien fondées; et l'on s'en convaincra encore mieux, si l'on examine les objections de ceux qui les ont combattues, M. le chancelier a observé que l'article 3 du titre 4 du réglement du 13 août le vait la difficulté, puisqu'il déterminait les formes dont le projet de loi devait être revêtu avant sa promulgation; et que ces réclamations ne tendaient à rien moins qu'à contester au Roi le droit d'intituler en son nom les lois de l'Etat.

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La première de ces objections n'a aucun fondement; car l'article 3 du titre 4 du réglement est étranger à la discussion. Il porte: « Le Roi sanc» tionne la loi qu'il a proposée, en faisant inscrire » sur la minute, que ladite loi, discutée, délibérée » et adoptée par les deux chambres, sera publiée et >> enregistrée pour être exécutée comme loi de l'E>>tat. » Cet article détermine sans doute la forme dans laquelle le Roi donnerà sa sanction; mais détermine-t-il la manière dont les dispositions de la loi seront rédigées ? Déclare-t-il que lorsque dans une loi il sera dit: nous voulons, nous ordonnons, nous nous réservons, il faudra entendre, que le Roi veut, que le Roi ordonne, que le Roi se réserve?

La seconde objection de M. le chancelier est encore plus mal fondée que la première; car de ce que la loi ne doit parler ni au nom de l'une des trois branches de l'autorité législative, ni au nom du pon

voir exécutif, on ne peut certainement pas en conclure que le pouvoir exécutif n'aura pas le droit d'y apposer son mandement et de les intituler en sou nom. Ces notions sont aujourd'hui si simples et si communes en France, qu'il faut être arrivé on ne sait d'où pour ne pas les connaître.

L'article 2 du titre 3 du réglement, invoqué par un de MM. les secrétaires, est tout aussi étranger à la question que l'article invoqué par M. le chancelier: « La loi proposée, dit-il, est rédigée en » forme de loi, signée par le Roi, contre-signée » par un ministre, et adressée à la chambre à qui » le Roi l'envoie. » Oui, la loi proposée est rédigée en forme de loi; et c'est précisément pour cela qu'elle doit être rédigée de manière qu'elle ne paraisse pas l'ouvrage exclusif du pouvoir exécutif, ou de l'une des trois branches de l'autorité législative.

Un membre a fait une objection si singulière, qu'elle mérite d'être rapportée : « Suivant la charte, » a-t-il dit, le Roi est le chef suprême de l'Etat ; c'est » en son nom que la justice se rend et que la loi » parle, » Jusqu'ici nous avions cru que nos Rois devaient parler au nom de la loi pour être obéis ; mais désormais ce sera au nom du Roi que la loi parlera. Le pouvoir exécutif nous paraissait destiné à faire exécuter les lois; mais à l'avenir ce seront au contraire les lois qui feront exécuter les volontés du pouvoir exécutif, et qui parleront en son nom. Cela s'accor dera merveilleusement avec l'an dix-neuvième de notre règne, avec la loi qui rétablit la censure pour

nous faire jouir de la liberté de la presse, etc., etc. On ajoute que la justice se rend au nom du Roi ; et de-là on conclut que quand la loi dit, nous nous réservons, c'est le Roi qui se réserve; mais il faut donc soutenir que lorsqu'un tribuual dit : un tel sera tenu de comparaître devant nous, l'individu désigné devra comparaître devant le Roi; et si quelqu'un s'avise de soutenir que cette interprétation est absurde ou ridicule, on lui répondra, avec M. le chancelier qu'on ne peut pas soutenir le contraire sans contester au Roi le droit d'intituler en son nom les jugemens des tribunaux.

Qu'on ne s'imagine pas, au reste, qu'il ne s'agit ici que d'une dispute de mots; car il est bien évident pour tout homme qui suit la marche du ministère, qu'en faisant parler les lois au nom du Roi, on veut nous habituer à reconnaître que la volonté royale doit être l'unique loi de l'Etat, et que les deux chambres sont uniquement destinées à les enregistrer. La loi, dit-on, doit parler au nom du Roi; et le Roi, au nom de qui parlera-t-il ? En vertu de quel acte pourra-t-il prétendre que nous lui devons obéissance?

Il importait donc beaucoup que la chambre des pairs corrigeât la rédaction vicieuse du projet de loi; mais le parti ministériel a si bien trouvé l'art d'embrouiller la question qu'on a fini par la perdre de vue. La chambre des députés pourrait en demander la correction; mais comme les juges et procureurs royaux qui s'y trouvent n'ont pas encore obtenu de

M. le chancelier leur brevet de nomination, on sent bien qu'ils auront grand soin de ne pas se mettre en opposition avec son Excellence.

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DES CONFÉRENCES DE M. FRAYSSINOUS,

ET DE L'ESPRIT DU CLERGÉ DE FRANCE.

Le public n'a jamais bien connu le véritable motif pour lequel le dernier Gouvernement avait cru devoir imposer silence à M. Frayssinous, et lui défendre de continuer des conférences qui, loin de nuire à son autorité, semblaient, au contraire, devoir lui être utiles, puisqu'elles avaient pour objet de détruire des doctrines peu favorables aux mauvais Gouvernemens, et particulièrement cette moderne idéologie qui lui faisait tant de peur. Beaucoup de personnes ont dit que l'orateur avait provoqué cette mesure par l'honorable persévérance avec laquelle il avait refusé de payer au tyran l'humiliant tribut d'éloges qu'il exigeait, comme on sait, de tous les hommes de talent. D'autres ont cru qu'un tort plus grave de M. Frayssinous avait été de ne pas vouloir prostituer son ministère à la défense d'une loi de sang, à l'apologie de la conscription, et se servir de l'ascendant que lui donnait son éloquence pour

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