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priété riveraine ; le milieu du courant de l'eau est la ligne naturelle de séparation entre les " héritages riverains: si les eaux n'avaient pas << un cours continuel, le fonds de leur lit pourra " être borné comme les propriétés ordinaires. » Cela est clair en 1808 il y avait unanimité de principes entre les pouvoirs judiciaire et administratif sur la propriété du fonds des rivières, qui était regardée comme une dépendance de la propriété riveraine.

:

Comment se fait-il donc que, dans l'exécution, en février 1807, j'aie reçu, moi, sous le nom de concession, une autorisation administrative de construire un moulin sur une rivière qui m'appartient des deux bords, dans une distance beaucoup plus grande qu'il ne fallait pour que son effet put jamais atteindre aucun autre riverain ; concession qu'on m'a forcé administrativement de demander, et qui porte cette clause inattendue: «Le sieur..... et ceux qui le représenteront, ne pourront, dans aucun temps, ni sous aucun prétexte, réclamer aucun dédommagement ni « aucune indemnité pour cause de chômage ou par suite des dispositions que le gouvernement jugerait convenable de faire pour l'avantage de la navigation, de l'industrie ou du com«merce, au cours d'eau sur lequel l'usine à « construire sera placée.

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Je ne sais pas si c'est par moi que l'usurpation administrative sur la propriété des rivières a commencé; mais je sais très bien qu'elle a continué depuis. J'en pourrais lire à la Chambre une de 1819.

Ce n'est pas la bonne foi ou la science de ceux des administrateurs d'alors qui ont pris cette détermination qu'il faut défendre; mais leurs successeurs ont trouvé la chose établie et n'ont plus eu à chercher si elle était légale. Au surplus, ce n'est pas de la bonne foi du pouvoir qu'il s'agit, mais de la bonne foi de ceux qui, forcés de recourir à ses actes, se sont crus en droit de les exécuter, lorsqu'ils leur accordaient des droits trop étendus sur les autres riverains.

Il a pu arriver maintes fois, et j'en connais un exemple, que l'administration, qui s'est arrogé le droit de concéder la faculté de construire des usines sur les petites rivières et de régler la hauteur de chute d'eau qui y sera employée, leur ait attribué des hauteurs envahies sur d'autres riverains, qui jusque-là n'en avaient pas fait usage.

Le concessionnaire a titre et bonne foi il a titre, puisqu'il est forcé de le recevoir de l'administration; il a bonne foi, puisqu'il exécute la teneur de son titre. Si la loi à obtenir déclare que le fonds des petites rivières n'a pas cessé d'être une dépendance de la propriété riveraine, il en pourrait résulter que beaucoup d'établissements faits de bonne foi déchoiraient d'importance ou même seraient ruinés: il s'élèverait une foule de contestations très difficiles à juger, parce que, l'état des lieux étant changé par le fait de la construction opérée, la reconnaissance de leur ancien état est très difficile à faire. Il faut donc parer à ces graves inconvénients.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de prendre une résolution ainsi conçue :

« Le roi sera supplié de proposer une loi qui « contienne les dispositions suivantes;

« 1o Le lit des rivières non navigables ni flottables n'a pas cessé, depuis l'abolition de la «féodalité, d'être une dépendance de la propriété riveraine, sauf titres contraires non féodaux.

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"En conséquence, l'administration publique

⚫ n'a pu intervenir dans l'usage de ces eaux que ⚫ comme réglementaire, et la clause de non-in«demnité stipulée dans les actes administratifs « indûment qualifiés concessions est nulle.

«2° Les autres dispositions de ces réglements <administratifs sont définitives entre les riverains, s'il n'y a pas eu d'opposition de leur part dans l'année, à courir de l'achèvement des « travaux exécutés en raison de ces règlements: «les contestations seront portées devant les tri« bunaux, >

Je dois justifier à Vos Seigneuries de la justice de ces dispositions.

La première, qui est déclarative de propriété, est imitée du projet du code rural, qui avait été élaboré avec le plus grand soin.

Celle relative aux titres réguliers est imitée de la disposition que vous avez adoptée sur la pêche fluviale.

Celle qui réduit à un an le droit d'opposition est empruntée de l'article 559 du Code, qui, s'appliquant aux alluvions, est celui qui a le plus de rapport à la matière qui nous occupe.

Celle qui reconnait la compétence judiciaire n'est que la répétition de l'article 645 du Code civil mais comme la compétence administrative a prévalu dans beaucoup de cas, il est bon de rendre à cet article du Code toute sa valeur.

Reste à prendre un parti sur la vente que le gouvernement a faite à son profit de l'ancien lit des petites rivières qu'il a détournées, comme l'Armançon, pour les canalisations qu'il a entreprises. Il faudrait avoir les pièces, il faudrait entendre à ce sujet M. le directeur général des ponts et chaussées, avant d'avoir une opinion: il n'y a que votre commission qui puisse se procurer ces renseignements. Il faut bien faire attention à la complication des cas possibles, car si la privation de l'ancien lit de la rivière est, pour un propriétaire, une perte, la nouvelle direction donnée aux eaux peut être pour lui un plus grand avantage.

Si j'ai l'honneur de mettre sous les yeux de Vos Seigneuries cette question, c'est que j'ai dù Vous exposer toutes celles que la matière fait naître.

M. le Président, ce développement entendu, déclare que la discussion est ouverte sur la question de savoir si la proposition développée sera prise en considération,

M. le vicomte Lainé, sans examiner encore le but et la légalité des dispositions soumises à la Chambre, croit devoir appuyer le principe de la proposition, qui tend à fortifier des maximes incontestables sur la propriété même.Au premier coup d'œil, la question de savoir à qui appartient le lit d'un cours d'eau est au nombre de ces questions curieuses de l'école qu'on n'a pas grand intérêt à discuter lorsque la propriété des rives et l'usage de l'eau ne sont pas contestés aux propriétaires riverains; mais, dans les sociétés modernes, elle est très importante. Chez les anciens l'eau appartenait à peu près à tous pour la navigation, pour la pêche; mais, loin de contester aux propriétaires riverains la propriété du sol, les lois leur attribuaient les alluvions et les îles, à la charge des servitudes nécessaires à l'usage commun. L'eau coule sur le sol du propriétaire comme l'air circule au-dessus. Les an ciens, qui n'avaient ni moulins, ni usines, n'avaient pas intérêt à tous ces litiges si multipliés parmi nous, et les eaux, réglées pour les seules

irrigations ne changeaient presque rien aux principes généraux de la propriété.

Après les longues prétentions de la grande féodalité, la couronne était parvenue à faire reconnaître comme maxime de droit public que les rivières navigables et leurs fles étaient du domaine public; les attérissements sur les rives ont fini par se régler selon les principes du droit romain. Mais la féodalité continua à s'exercer sur les cours d'eau non navigables. Malgré la variété désordonnée des coutumes, il faut reconnaître que dans la plupart des lieux le domaine des eaux et de leur lit était censé appartenir au seigneur haut-justicier. La chose était pourtant fort controversée, et par les seigneurs inférieurs, et par les propriétaires riverains, dans les contrées où la maxime nulle terre sans seigneur n'était pas établie. L'Assemblée constituante ayant supprimé la directe des seigneurs sur les cours d'eau, le domaine sur les eaux, sur leur lit, sur les îles, sur les rives, est passé ou plutôt est resté entre les mains des riverains, selon les règles du droit ancien, et le Code civil a de nouveau confirmé ce droit. Dans les rivières navigables et flottables, le domaine des eaux, des lles qui s'y forment, et par conséquent du lit, appartient à l'Etat; dans les rivières non navigables ni flottables, ce droit demeure aux riverains. Quand on recherche comment des doutes se sont élevés sur un point aussi clair, on en trouve la cause moins dans la disposition exceptionnelle et presque inapplicable de l'article 563 du Code civil que dans les besoins et les droits plus ou moins légitimes de l'administration publique. L'avantage des cours d'eau est si grand que chacun s'en dispute l'usage: il est tel que les merveilles même de la vapeur ne peuvent lutter contre leurs profitables effets. De là, des prises d'eau à l'infini pour les arrosements, des chutes d'eau préparées pour multiplier les usines. L'intérêt général, la salubrité publique, le devoir de maintenir la liberté de maintenir le cours de l'eau, tout a obligé l'autorité publique à intervenir, autant pour prévenir des contestations et des discordes que pour les réprimer ou les juger. A la juridiction spéciale qui avait été autrefois établie sans que sa compétence ait jamais pu être bien déterminée, ont succédé les tribunaux ordinaires ou l'administration, selon qu'il s'agit soit de propriété privée, soit de l'intérêt de l'ordre ou du domaine public. L'incertitude, plus grande aujourd'hui qu'autrefois, sur la juridiction, s'est glissée jusque dans les dispositions législatives, et la loi du 14 floréal an X sur la pêche a fourni des ar guments à cette incertitude. Quelques auteurs ont cru que cette loi était attributive du droit de pêche aux riverains sur les rivières non navigables, tandis qu'elle n'était que déclarative; et ils ont tiré de cette fausse interprétation des conséquences fâcheuses, non seulement au sujet du lit des cours d'eau, mais encore à l'égard de leurs rives. Toutefois il est juste de reconnaître que l'administration a le plus souvent reconnu le droit de la propriété privée, et que presque toujours, quand ce droit était en question, elle a renvoyé la décision à l'autorité judiciaire. Il n'en est pas moins vrai que divers actes ont répandu des doutes sur le droit des riverains, et que ces doutes, quoique non confirmés par la Chambre, ont été exprimés sans être résolus par elle dans la discussion sur le projet de loi relatif à la pêche fluviale. C'est un motif légitime de consolider la législation, et, sous ce rapport, la proposition faite à la Chambre mérite d'être prise en

grande considération. Elle donnera lieu peut-être aussi à fixer entre les juridictions des limites d'autant plus désirables que les contestations à propos des cours d'eau se multiplient à l'infini, et sont souvent jugées alternativement par l'administration et par les tribunaux, au grand dommage du public et des parties. Le noble pair ne peut s'empêcher de faire quelques remarques sur le texte des dispositions rédigées par l'auteur de la proposition. Il lui semble qu'elles auraient l'inconvénient de faire juger par la loi des contestations existantes ou même déjà résolues, et d'anéantir des transactions définitives. L'autorité publique, à qui l'on ne conteste pas le droit de rendre des cours d'eau navigables, sauf indemnité, qui, à la même condition, peut les détourner pour des canaux, l'autorité enfin, à qui l'ordre public oblige de s'adresser pour obtenir la permission de construire des usines, a bien le droit de stipuler que, selon les événements, l'indemnité sera réglée de telle manière, selon la navigabilité ou la canalisation future. A l'abri de ces remarques, le noble pair appuie la proposition soumise à la Chambre.

M. le Président, aucun autre arateur ne récla mant la parole, consulte l'Assemblée, aux termes de l'article 28 du règlement, sur la question de savoir si la proposition développée sera prise en considération.

La Chambre adopte l'affirmative.

M. le Président ordonne, en conséquence, le renvoi aux bureaux, l'impression et la distribution des développements présentés.

M. le vicomte Lainé obtient la parole pour faire une nouvelle proposition à la Chambre, conformément à l'article 22 du règlement.

Cette proposition, dont il expose sommairement les motifs, et qu'il dépose ensuite signée de lui sur le bureau, à pour objet de supplier Sa Majesté de faire présenter une loi qui règle, tant à raison de la matière qu'à raison des personnes, la compétence de la Cour des pairs, et les formes de la procédure à suivre pour l'instruction et le jugement des affaires dont la connaissance lui appartient.

M. le Président consulte la Chambre, aux termes du règlement, sur la question de savoir si elle veut s'occuper de la proposition.

La Chambre décide qu'elle s'en occupera.. L'auteur annonce, en conséquence, qu'il en développera les motifs dans les délais fixés par le règlement.

L'ordre du jour appelait, en dernier lieu, divers rapports du comité des pétitions,

M. le baron de Barante, au nom de ce comité, obtient d'abord la parole et rend compte à l'Assemblée de la pétition suivante :

Le sieur Frédéric Saly, de Riquewir, près Colmar, demande qu'une loi ôte aux juges de paix le droit que la législation actuelle leur confère de prononcer en dernier ressort sur les contestations dont l'objet n'excède pas 50 francs.

Le rapporteur propose, et la Chambre adopte, l'ordre du jour.

M. le baron Mounier, second rapporteur du comité, obtient également la parole, et entretient l'Assemblée de trois pétitions présentées par plu

sieurs anciens colons de Saint-Domingue, et que le comité a cru devoir réunir dans un seul rapport, comme relatives au même objet. Le noble pair s'exprime en ces termes :

Messieurs, lorsqu'en 1825 le roi régla les rapports de la France et de l'île de Saint-Domingue, Sa Majesté, animée d'une juste sollicitude pour les anciens colons réfugiés sur le sol de la mèrepatrie, stipula en leur faveur le payement d'une indemnité de 150 millions. Cette indemnité, dont la répartition a fait l'objet d'une loi que vous avez discutée dans votre avant-dernière session, devait être payée en cinq termes égaux. Le premier seul l'a été. Les échéances des deux autres ont passé sans qu'Haïti ait rempli ses engage

ments.

Les anciens colons se voient ainsi privés d'un secours que leur confiance dans la protection royale ne leur permettait pas de croire incertain.

Ils ne sauraient supposer que l'autorité royale abandonne son ouvrage. Cependant, représentés par un grand nombre d'entre eux qui ont signé les trois pétitions dont j'ai l'honneur de vous rendre compte, les anciens propriétaires de SaintDomingue ont voulu faire entendre leurs plaintes dans cette enceinte. Plusieurs fois, en réveillant de trop pénibles souvenirs, elles y ont excité un douloureux intérêt.

Les pétitionnaires pensent que la situation des finances de la jeune république laisse peu d'espoir qu'elle soit en état de se conformer littéralement aux clauses des engagements qu'elle a contractés; mais ils ne mettent point eu question sa bonne foi, et ils se hâtent d'ajouter qu'Haïti, reconnaissant la dette qui lui est imposée, ne refusera pas de payer annuellement une somme proportionnée à ses ressources, de manière à couvrir les intérêts du capital et à en assurer l'amortissement.

Les pétitionnaires font observer que, dans cet état de choses, il ne serait pas impossible de concerter des arrangements tels que, sans augmenter les charges du Trésor public, les anciens colous ne fussent pas privés plus longtemps de de la faible portion de leurs biens que la main secourable du monarque a arrachée de l'abîme où tous étaient engloutis.

Il s'agit, Messieurs, du sort d'un grand nombre de familles. Quinze cents réclamations ont été enregistrees à la commission de liquidation de l'indemnité.

Le gouvernement ne négligera rien sans doute pour assurer l'exécution de lacte dont les stipulations sout invoquées. Toutefois, votre comité a été d'avis que ces pétitious étaient dignes d'une attention particulière. Elles renferment des vues qui pourraient être utiles, et il vous propose, en conséqueuce, de les renvoyer à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le comte Molé demande s'il ne serait pas convenable de renvoyer en même temps la petition au ministre des finances, dans les attributious duquel elle semble rentrer aussi, puisque c'est sous sa direction que la liquidation s'opère? Si ce ministre et celui des affaires étrangères étaient presents à la seance, le noble pair aurait provoque de leur part quelques explications, et sur état actuel de la liquidation, et sur l'exécution des engagements pris dans le traité par la republique d'Haiti; mais, en leur absence, il se boue à insister pour que la pétition leur soit renvoyce.

M. le vicomte Lainé obtient la parole. Il croit pénétrer le motif qui a déterminé la commission à proposer le renvoi de la pétition au ministre des affaires étrangères seulement. C'est que les sacrifices qu'on prévoit ne pourront être du ressort du ministre des finances que lorsqu'on aura réglé définitivement la quotité et le mode de payement des sommes que doit donner Haïti. Jusqu'à présent, on sait mieux ce que cette ile ne fait pas que ce qu'elle peut faire. Trois cinquièmes de la somme de 150 millions sont échus et elle n'a payé que le premier; encore c'est à l'aide d'un emprunt, qui donnera lieu dans un instant à quelques observations. Le gouvernement d'Haïti pourrait-il payer les 150 millions dans les cinq années stipulées? les paierait-il dans un temps plus long par annuités avec ou sans intérêt? il est permis d'en douter. Lui est-il possible de payer par chaque année l'intérêt du capital avec un fonds pour l'amortissement? bien des capitalistes qui connaissent ses facultés le présument. Dans cette espérance il y a de nouvelles conventions à faire, et peut-être à ce sujet des négociations sont-elles entamées. On pesera sans doute les obligations que ce gouvernement naissant peut tenir en lui laissant plus d'aisance dans la perception de ses droits, en lui facilitant des économies, en le portant à améliorer son état social. Mais quand on combinerait avec certitude les éléments nécessaires de son crédit, il y aurait encore bien des disticultés. Ce crédit serait nouveau et ne lui permettrait de faire des emprunts, même en rentes, qu'à des conditions onéreuses, qui laisseraient le débiteur et le créancier dans le même embarras. S'il était une fois reconnu qu'Haïti peut payer annuellement les intérêts et un fonds d'amortissement, la France s'exposerait-elle beaucoup à garantir le payement des rentes? Le taux de l'emprunt, au moyen de cette garrntie, serait fort avantageux. Ce ne serait pas un sacrifice sensible, ce ne serait qu'une chance de charges éventuelles au détriment des contribuables de France. Placé entre les contribuables, qui, dans plusieurs départements, sont en souffrance, et les colons, bien plus malheureux, le noble pair éprouve une grande anxiété; mais la générosité, la justice de la couronne et de la France le portent à espérer qu'on ne se refusera pas à souscrire à une éventualité de sacrifices. Le noble pair ne saurait se résoudre à examiner s'il y a au nom de l'Etat un engagement formel: ce serait rouvrir des discussions épineuses sur de graves questions que, fort heureusement, la loi n'a pas eu le besoin de résoudre. Mais on ne lui disputera pas que, par l'effet de tous les actes analysés dans le rapport du comité, et par les conséquences de la loi du 30 avril 1826, il s'est formé un quasi-contrat entre une grande infortune et la couronne, entre toute la France et la portion la plus malheureuse des sujets français. Quel serait le résultat de tant d'espérances données, si les colons ne recevaient que le cinquième de l'indemnité, déjà réduite au dixième de la perte? Au bruit des promesses faites, les colons épars sur le globe, ou leurs enfants, ont remercié la générosité étrangère pour revenir en France recevoir quelques débris. Tous ont exploré leurs titres de famille, et la discorde sur leurs droits s'est mêlée à leurs espérances; une foule de créanciers ont été évoqués, et mille procès font passer en d'autres mains et au Trésor une part de l'indemnité. L'aspect de si tristes conséquences, sur lesquelles on doit se garder de s'appesantir, ferait donner au quasi-contrat, par nécessité, toute la puissance d'un engagement formel. Le noble pair croit devoir ajouter quelques

observations sur l'emprunt qui a servi à payer le premier cinquième. S'il était vrai que les préteurs ne fussent pas dans une condition meilleure que les colons, ce serait pour les uns et les autres une raison de s'entr'aider, afin de voir régler dans un intérêt commun les conditions à faire avec Haïti; dussent-ils les uns et les autres, sans examiner la différence des titres et des droits, profiter de la garantie qui semble inévitable pour consommer cette grande transaction. C'est dans cette espérance que l'opinant appuie le renvoi proposé. Aussi bien, renvoyer au ministre des affaires étrangères, c'est renvoyer à tout le ministère, car c'est une affaire que le gouvernement doit mûrir avant de prendre une résolution que le malbeur croit avoir le droit d'espérer comme assez prochaine. Puisque le noble pair qui a provoqué ces réflexions a demandé des renseignements sur les travaux de la commission, l'orateur est heureux d'être en situation de lui en fournir. Ils se résument ainsi : quinze mille réclamations directes ont été présentées; dix mille créanciers ont demandé à exercer les actions de leurs débiteurs pour le cas où ceux-ci n'auraient pas réclamé. Plus de vingt mille oppositions existent à la Caisse des dépôts et consignations. Le nombre des dossiers examinés et préparés pour la liquidation est au-dessus de cinq mille. Plusieurs centaines d'enquêtes préparatoires ont été ordonnées. La commission composée de douze membres, divisés en trois sections, a liquidé pour une valeur, en capital, de près de 500 millions, dont le dixième serait de 50 millions. Cinquante employés composent les bureaux de la commission: tous les frais s'élèvent à environ 300,000 francs. On a rarement confié à une commission des travaux plus pénibles; il ne s'agit de rien moins, pour ainsi dire, que de faire après quarante ans le cadastre d'un pays ravagé, à deux mille lieues, sans avoir de carte complète; d'établir la transmission des droits de succession ou de donation, souvent à plusieurs générations, dans dix mille familles, en les distribuant par fractions; de combiner ces droits selon des législatious qui ont varié plusieurs fois; de démêler la vérité dans les débris de titres, parmi les prétentions de la richesse déchue, au milieu des exagérations que le malheur se croit permises ou à travers l'incertitude et l'affection des témoignages. Le sentiment du devoir et la consolation d'alléger de longues infortunes soutiennent les membres de la commission et leurs collaborateurs contre l'injustice de quelques déclamations. Ce serait pour eux tous une sorte de revers s'ils n'étaient chargés que de répartir le cinquantième d'une valeur présumée, ou la seule somme de 30 millions versée jusqu'à ce jour à la Caisse des dépôts et consignatious.

(On demande et la Chambre ordonne l'impression tant du discours qui vient d'être prononcé que du rapport.) (1).

M. le comte de Noé appuie le double renvoi. C'est dans l'intérêt général du commerce français qu'était surtout nécessaire la transaction par laquelle les colons ont été définitivement expropriés c'est donc un devoir pour l'Etat de leur accorder intérêt et protection, et toute mesure qui

(1) Le discours de M. le vicomte Lainé n'a été imprimé que par extrait du procès-verbal, l'auteur n'ayant pas donné de manuscrit."

tend à leur faire rendre justice doit être adoptée avec empressement par la Chambre.

M. le baron Mounier, rapporteur, demande à être entendu. Il n'a rien à ajouter à ce qui vient d'être dit sur l'état actuel de la liquidation; mais il est de son devoir d'exposer à la Chambre les motifs qui ont déterminé le comité à croire que le renvoi au ministre des finances serait en ce moment prématuré. Lorsqu'en 1825 une indemnité fut promise par la république d'Haïti, la loi rendue pour en régler la répartition disposa que les fonds seraient versés non au Trésor, mais à la Caisse des consignations, afin d'écarter l'idée d'un engagement pris ou d'une garantie promise par la France. Si le traité eût reçu son exécution, la Chambre n'aurait plus à s'occuper de cet objet : mais il en a été autrement. Un seul cinquième a été payé, et encore les fonds n'ont-ils pas été fournis par Haïti. Des négociations ont été entamées pour arriver à l'exécution des engagements pris; mais leur peu de résultat ne permet pas d'espérer que cette exécution puisse être iminédiate. On peut croire cependant que les ressources d'Haïti lui permettront d'acquitter chaque année une partie plus ou moins forte de sa dette; et s'il est démontré au gouvernement qu'il peut compter sur cet acquittement successif, si des mesures sont concertées pour assurer l'accomplissement des nouvelles conventions qui seraient stipulées, alors des considérations d'équité pourraient porter le gouvernement à s'interposer entre Haïti et les anciens colons, pour assurer à ceuxci un payement plus prompt: mais renvoyer en ce moment au ministre des finances, ce serait en quelque sorte préjuger la question. C'est par ce motif que le comité s'est borné à proposer le renvoi au ministre des affaires étrangères, à qui il appartient de traiter des arrangements nouveaux qui paraissent nécessaires et qui seuls pourraient servir de base aux mesures ultérieures qui seraient réclamées dans l'intérêt des colons. Le rapporteur n'ajoutera qu'un mot sur ce qui a été dit des souscripteurs de l'emprunt d'Haïti. Il lui semble que dans aucun cas ils ne sauraient être assimilés aux colons. Ce n'est pas sous la garantie de la France, ni dans son intérêt, qu'ils ont traité. C'est une affaire particulière; une spéculation qui pouvait avoir un heureux ou un fâcheux succès. Les titres des colons sont d'une autre nature ils reposent sur des malheurs dignes de tout l'intérêt du gouvernement.

M. le comte de Saint-Roman estime qu'il n'est pas exact de dire que l'Etat n'ait contracté aucune obligation envers les colons. Le premier devoir de tout gouvernement est de garantir à chaque citoyen la sûreté de sa personne et la conservation de sa propriété. Celle des colons était, à la vérité, presque perdue; mais il leur restait encore l'espérance, et quelque faible qu'elle fût, l'Etat ne pouvait en disposer sans leur consentement. La question de Saint-Domingue était à la fois une question politique et une question de propriété. La question politique appartenait tout entière au gouvernement; mais il ne pouvait renoncer, pour les colons, à leur droit de propriété, sans une juste indemnité. Cette indemnité a été faible, il est vrai; mais les colons out paru la trouver juste eu égard aux circonstances, et en se présentant pour la réclamer ils ont adhéré à la transaction; le traité leur est donc devenu commun. Mais leur adhésion nécessaire n'ayant eu lieu qu'en vue et sous la condi

tion de l'accomplissement des engagements pris, l'Etat qui a conclu le traité se trouve obligé à en garantir l'exécution vis-à-vis d'eux, puisque, par son fait, il s'est mis dans l'impossibilité de les remplacer, en cas d'inexécution, dans l'état où ils se trouvaient auparavant. On a dit à la vérité que si ce traité n'était pas exécuté, la France rentrait dans ses droits; mais il n'en est pas ainsi, et l'émancipation a détruit pour jamais les espérances des colons: ce qui était difficile est devenu impossible, et rien ne peut plus empêpêcher ceux qui détiennent aujourd'hui les propriétés des colons de s'en croire légitimes propriétaires. C'est l'Etat qui a consommé l'expropriation, et si le prix n'est pas payé, il en doit la garantie. Les colons ont donc à lui demander, non seulement son appui pour obtenir l'exécution du traité, mais encore, si cette exécution est impossible, une indemnité pécuniaire pour la perte qu'ils éprouvent, et c'est par ce motif que le noble pair appuie le double renvoi.

M. le comte de Pontécoulant observe que la doctrine du préopinant irait plus loin que les demandes des pétitionnaires eux-mêmes; mais cette doctrine ne saurait être admise. L'acte de 1825 est un acte de pleine souveraineté, et qui rentre exclusivement dans le domaine de la prérogative royale. Les Chambres n'ont été appelées ni à le sanctionner ni à l'approuver; et il a été bien établi, lors de la discussion qui a eu lieu à ce sujet, que si les conséquences du traité leurs avaient été soumises, c'etait seulement pour qu'elles autorisassent, dans la répartition, quelques dérogations au droit commun, sans lesquelles l'indemnité serait devenue en quelque sorte illusoire pour les colons. C'est ainsi que des dispositions législatives étaient nécessaires pour autoriser l'Etat à renoncer à son droit d'indemnité à raison des propriétés qui lui appartenaient, pour affranchir du droit d'enregistrement certains actes nécessaires pour la liquidation, et pour restreindre en certains points les droits des créanciers. Mais, hors de là, rien n'était soumis aux Chambres, et elles ne peuvent ni ne doivent, sous aucun rapport, en prendre la responsabilité. C'est un acte de gouvernement dont les ministres qui l'ont conseillé doivent seuls répondre. Ce que l'on demande aujourd'hui est encore un acte de gouvernement. S'il existait un président du conseil des ministres, ce serait donc à lui que la pétition devrait être renvoyée, et c'est parce qu'il n'en existe pas, que le comité propose et que le noble pair appuie le renvoie au ministre des affaires étrangères.

(Ce renvoi est mis aux voix et prononcé par la Chambre.)

M. le comte Molé, qui avait proposé le renvoi au ministre des finances, déclare qu'il n'insiste pas sur sa proposition.

En conséquence, cette proposition n'est pas mise aux voix.

L'ordre du jour étant épuisé, la Chambre s'ajourne au samedi 17 de ce mois, à une heure. La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. ROYER-COLLARD.

Séance du mardi 13 mai 1828.

La séance est ouverte à une heure trois quarts. La rédaction du procès-verbal est adoptée. MM. les ministres des affaires étrangères, de la justice, des finances, de la guerre, de la marine et du commerce sont présents.

L'ordre du jour est l'ouverture de la discussion générale sur le projet de loi relatif à l'inscription de quatre millions de rente au grand-livre de la detle publique.

M. Charles Dupin a la parole.

M. Charles Dupin. Messieurs, si je pouvais un seul instant croire compromise la dignité, la sûreté, l'indépendance du pays et du trône, je déclarerais à cette tribune que 80 millions sont trop peu pour aider, selon notre zèle, à la défense d'aussi précieux intérêts: nos fortunes et nos personnes appartiennent à la patrie; elle pourra redemander son bien à ses enfants par la voix du monarque, et jamais, au moment du besoin, nous ne reculerons devant le sacrifice.

Mais il s'agit de simples mesures de précautions relatives à des événements qui vont s'accomplir sur un théâtre très éloigné de nous. Tout est obscur à nos yeux dans le rôle qu'on désire faire jouer à la France, dans les services qu'on lui fera rendre, nous ignorons à quelle cause. Tout doit exciter le doute en nos esprits, appeler l'examen et réclamer les explications les plus convaincantes. Permettez-moi de rappeler, en peu de mots, la position des affaires telle qué nous l'a présentée le ministère. Dès votre seconde séance, M. le ministre des affaires étrangères vous expose avec franchise l'état des affaires dans la partie de l'Europe qui maintenant excite des alarmes; il a reçu le 19 février le manifeste de la Porte-Ottomane, qui, nous dit-il au 7 mars, paraît écarter tout espoir de conciliation.

Le 12 mars, on vous présente pour 1829, et sur le pied de paix, le budget de la marine et le budget de la guerre. Le premier se bornant à la même dépense qu'en 1828, et le second à 2 millions de moins. Par conséquent, au 12 mars, d'après les prévisions du ministère, plus d'espoir de conciliation entre la Porte et la Russie. Néanmoins, en France, état de paix, non seulement pour 1828, mais pour 1829; ce matin même, le Moniteur nous apprend une levée de soixante mille hommes, contingent de 1827, levée qu'a déjà précédée le rappel de l'arriéré du contingent pour les années 1825 et 1826.

Pourquoi cette mutation dans les plans du ministère? Le manifeste de la Russie, publié dans la journée d'hier, ne nous révèle rien que ce ministère n'ait dû prévoir, n'ait prévu, n'ait annoncé; cependant il accumule tout à coup des levees, dont le total va s'élever à quatre-vingt mille hommes, en n'admettant que dix mille hommes rappelés sur 1826 et dix mille sur 1825.

Cet armement est-il durable ou transitoire? S'est-il effectué d'après un système aussi dispendieux, aussi rempli d'abus, de dépenses superflues, de prodigalités, que le service général et l'ancien système organique de notre administration militaire?

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