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projet de loi tel qu'il vous est présenté par votre commission.

M. Lepeletier d'Aunay. L'honorable orateur qui a parlé le premier dans cette discussion, s'est plaint du vague qui existe encore dans l'emploi qui sera fait des 80 millions demandés; mais ce vague est une partie importante de la demande qui vous est soumise.

Lorsque les ministres du roi se présentent devant les Chambres pour demander un crédit extraordinaire, ils doivent, si la dépense concerne l'administration intérieure, fournir la justification complète de l'emploi qu'ils se proposent de faire du crédit demandé. Mais si la demande a pour objet les intérêts sur lesquels notre diplomatie est chargée de veiller, ils doivent non pas publier les détails de la dépense qu'ils projettent de faire, mais un exposé des faits, une manifestation de leurs principes, et indiquer le but qu'ils veulent atteindre.

Les faits portés à votre connaissance sont nombreux, nos différends avec Alger ont amené une rupture et le blocus des ports de la régence le traité du 6 juillet dernier a amené les affaires combinées du Levant. Les agressions faites au pavillon français dans des parages lointains ont été l'objet de votre sollicitude dès l'ouverture de la session refuser un crédit pour cette partie du service public, serait refuser une protection spéciale à notre commerce maritime dont la prospérité se lie à celle de notre commerce intérieur et à celle de notre agriculture.

M. le ministre des affaires étrangères vous a dit que le gouvernement, dont la politique s'accorde avec l'humanité, était dans l'intention de soulager la misère des Grecs, et un murmure approbateur a devancé votre vote.

M. le ministre de la guerre vous a fait connaître que le gouvernement se proposait d'appeler dans les cadres de l'armée et de former aux habitudes militaires les jeunes gens qu'il est autorisé à lever. C'est une prévision qui trouve sa justification dans l'appel fait à la force par une puissance européenne pour terminer ses différends avec une puissance du même continent.

Une manifestation de principes de la part du ministère est une conséquence obligée de la demande faite au pays de s'unir de volonté avec son gouvernement. La tâche doit être facile pour tout ministère qui, fidèle défenseur des intérêts de la couronne, veut aussi se montrer protecteur zélé des libertés publiques. Nous concevons la demande qui a été faite à ce sujet; nous nous éton erions qu'elle restât sans réponse: M. le ministre de la marine paraît l'avoir compris. Nous pensons que l'habileté de l'homme d'Etat consiste à faire naître la confiance par ses paroles, par ses actes, et par le choix qu'il fait des hommes appelés à le seconder.

Quant au but que la loi se propose, nous devons le chercher dans la pensée qui domine toute la loi, et qui a été généralement exprimée à cette tribune la nécessité de n'admettre qu'une politique extérieure qui soit en harmonie avec une politique intérieure toute constitutionnelle; qui maintienne l'honneur et l'indépendance de la patrie, comme l'a dit si noblement M. le ministre des affaires étrangères; qui assure la grandeur de la France et l'honneur de la couronne, comme en a exprimé le vœu notre honorable collègue M. Bignon.

Quelle que soit notre divergence d'opinion sur le mode d'exécution, notre unanimité sur le but

à atteindre en dit assez à l'étranger attentif à nos débats. Le nom de guerre n'est pas prononcé, la France accepterait la guerre à regret; mais si jamais on la forçait à la soutenir, ce n'est pas timidement qu'elle l'entreprendrait : elle ne laissera pas compromettre la sûreté de son territoire, la sécurité de ses habitants, les intérêts de son commerce ni ceux de sa gloire. Et alors même que sa seule ambition est de marcher à la téte des nations civilisées, et d'obtenir le plus grand développement possible des forces morales de sa population, elle se tient prête à faire respecter tous ses droits.

Nous aussi nous pensons que l'on peut accorder son suffrage à la loi en discussion, sans cesser de se montrer zélé défenseur des intérêts des contribuables: car l'économie consiste parfois à faire une dépense à propos; souvent même il suffit d'annoncer que l'on est prêt à la faire. (Vive adhésion.)

M. Voyer d'Argenson. Messieurs, ce que j'avais prévu est effectivement arrivé : la discusion porte sur l'opportunité d'accorder le crédit. En effet, si un seul des amendements était adopté. le crédit serait adopté par cela même, et quand nous combattrions l'article, on nous dirait : vous parlez contre un principe admis par la Chambre. Ainsi, dans ce moment, parler contre le crédit, en général, c'est être parfaitement dans la question.

M. le Président. La question est de savoir si, conformément à l'amendement de M. Charles Dupin, le crédit présumé de 80 millions sera réduit à 30 millions.

M. Chauvelin. Il s'agit de savoir si on doit l'accorder.

M. Voyer d'Argenson. Je combats toute disposition d'accorder au ministère un crédit dans des vues encore inconnues, et d'en disposer par ordonnance; je ne m'occupe ni de la quotité du crédit, ni du mode d'emprunt. Si le crédit est accordé, je désire que le ministère ait la faculté illimitée d'aliéner le plus avantageusement possible les valeurs que vous aurez créées. Quant à l'espèce de ces valeurs, je voterais certainement pour la création de celles auxquelles il donnera la préférence. Le choix entre ces diverses valeurs, leur mode d'aliénation sont essentiellement de la compétence du ministère; je ne saurais avoir un seul instant la crainte qu'il compromette les intérêts du Trésor par légèreté ou complaisance; et je reconnais que nul n'est mieux placé pour apprécier ces intérêts que des hommes probes placés à la tête des affaires.

J'irai plus loin et je dirai que s'il s'agissait d'accorder un crédit dont l'emploi serait spécial et appliqué à des dépenses ordinaires, quelle que soit la détresse de toutes les sources de la production, je serais disposé à me laisser convaincre de sa nécessité.

Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit: c'est d'un emploi extraordinaire; et l'exposé des motifs, le rapport et le résumé ne vous permettent pas d'ignorer que ces dépenses extraordinaires ont pour objet des armements, des mouvements de troupes, des mesures propres à appuyer au dehors les combinaisons de la diplomatie.

Messieurs, ce crédit que je crois désastreux n'est pas encore voté; l'article 1er et l'amendement qui Vous occupe l'accordent sans spécialité: il est

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donc temps encore d'ajouter quelques mots à ce qui a été dit dans le cours de la discussion générale pour vous détourner de l'accorder. Toutefois, quoique je n'aie pas l'intention d'occuper longtemps cette tribune, s'il est trop tard, s'il n'est plus permis de traiter autre chose que la question financière, quoique la question financière ait ellemême anticipé de beaucoup sur le moment naturellement indiqué pour son examen, je prie M. le Président ou vous, Messieurs, de m'en avertir, et je suis prêt à me taire.

Messieurs, ces opérations militaires et navales, ces combinaisons de la diplomatie, ces regrets donnés à des possessions lointaines, ces arrièrepensées de ressaisir des limites que l'on appelle naturelles, ou du moins de s'en rapprocher par des compensations; toutes ces vues, auxquelles je ne conteste pas de l'élévation et de la grandeur, sont cependant peu d'accord avec les voeux d'un assez grand nombre d'hommes dont j'estime les intentions et qui s'efforcent d'introduire dans la science sociale cet esprit de perfectionnement qui agit si efficacement en toute autre science, parce qu'il y agit librement. Les opinions de ces hommes sont, je le crois, je l'espère, destinées à s'étendre, à se propager de plus en plus: le simple bon sens suffit pour les saisir; les peuples voient plus distinctement chaque jour qu'elles sont seules conformes à ses vrais intérêts.

Ces hommes s'intéressent vivement à la gloire, à la dignité, à la puissance nationales; mais ces mots n'expriment pas dans leur esprit des idées de prépondérance et d'agrandissement, ni même celle d'équilibre. Agrandissement, prépondérance, équilibre sont des expressions fort exactes, lorsqu'il s'agit d'un maître, propriétaire d'une étendue de territoire et de la population qui l'habite. Alors, sans doute, plus ce maître possèdera d'hommes et de lieues carrées, plus il sera puissant, prépondérant, redoutable au dehors; et, par opposition, plus ses voisins seront intéressés à invoquer le princi e de compensation et d'équilibre. L'Etat prépondérant vient-il à s'affaiblir, įl l'invoquera à son tour, à peu près comme on n'a que trop souvent vu en matière religieuse la tolérance alternativement réclamée et méconnue.

Dans l'esprit des hommes dont je vous parle, les idées de gloire, de puissance, de dignité nationales se lient exclusivement à celles de justice, de morale et de liberté. Ils souhaitent que l'on puisse, dans tout l'Univers, dire à juste titre que ia France est régie par les lois les plus justes, les plus humaines, les plus conformes au principe de la plus parfaite égalité; que ses dépenses publiques sont toutes, sans exception, subordonnées à cette règle invariable de toute association bien ordonnée, savoir que le contingent de chacun des intéressés lui deviendra plus profitable s'il le verse dans la caisse commune, que s'il le garde entre ses propres mains; que les charges imposées aux citoyens n'ont rien d'hostile, ni pour les nations étrangères, ni pour le consommateur indigène, c'est-à-dire que l'esprit de prohibition et de monopole en est soigneusement banni, en sorte que le libre exercice des facultés physiques et intellectuelles appliquées au travail et à l'échange, soit en France le seul moyen de richesse publique ou privée; ils souhaiteat enfin que tous les peuples soient convaincus, par des faits et des actes incontestables, que la France s'intéresse à leur prospérité autant qu'à la sienne, non seulement parce qu'elle y voit un avantage réel, mais bien plus encore parce qu'elle ne fait aucune différence d'application entre les règles de son régime inté

rieur et celles de ses relations extérieures, qui toutes reposent sur le principe de justice et d'égalité.

Sans doute, ces hommes chérissent l'indépendance nationale et veulent la faire respecter; mais comment craindre pour elle, quand l'amour de la patrie et le sentiment du bien-être individuel ne sont plus pour chaque citoyen qu'une seule et même chose? Peut-on douter en pareil cas du concours de tous les habitants pour repousser le brigandage de l'étranger, pour peu qu'il leur soit, je ne dis pas ordonné, mais seulement permis de s'y préparer à l'avenir?

Et que l'on ne dise pas que les complications actuelles de la politique extérieure ne permettent pas d'attendre les résultats imaginaires d'un tel ordre de choses. On a déjà répondu que d'abord ces complications ne menacent pas dès aujourd'hui notre indépendance: on peut ajouter, de plus, que la simple promesse d'entrer franchement et sans réserves dans les voies que je viens d'esquisser, suffirait peut-être pour obtenir bien des actes de dévouement en France. Veuillez m'en croire, Messieurs, il est beaucoup de nos compatriotes, principalement parmi ceux auxquels l'avenir appartient plus qu'à nous, qui, tout en nous blåmant avec raison d'avoir accordé des subsides extraordinaires sur une aussi faible garantie qu'une promesse, accueilleraient avec joie, et au prix des plus grands sacrifices, les espérances prochaines d'un avenir d'affranchissement complet et de vérité. Je dis prochaines, car si je portais mes regards au delà, je ne parlerais plus de promesses ni d'espérances; je dirais que quels que soient les obstacles, cet avenir est certain.

S'il m'est permis de contiauer, Messieurs, j'essaierai de vous dire en quelques mots ce que pensent de ce déploiement de nos forces à l'extérieur ces hommes, ces rêveurs, si l'on veut, dont je vous ai précédemment parlé.

A vrai dire, dans les débats qui s'agitent depuis tant d'années, en diverses contrées de la terre, ils s'attachent de préférence à une considération qui, en effet, domine toutes les autres: celles des progrès de la civilisation. Ces compensations, démembrements, dédommagements, indemnités, qui jouent un si grand rôle dans les almanachs royaux, la diplomatie, la géographie politique, la statistique n'ont pour eux qu'un attrait relatif et subordonné. Toute étude positive a sans doute son prix celles-ci d'ailleurs, et particulièrement la statistique, peuvent se lier à l'étude des intérêts réels de l'humanité; elles ont donc un mérite qu'il faut reconnaître. Mais la civilisation, les intérêts de l'humanité sont bien aussi l'objet d'une étude positive, et elle a, de plus que l'autre, l'avantage de satisfaire nos sympathies, d'être en rapport immédiat avec les lois de la morale et de la justice.

Sous ce point de vue, partout où l'homme est directement ou indirectement, partiellement ou totalement, la propriété d'un autre homme; partout où la classe constituée propriété, assujettie à la législation des choses ou aux exactions du privilège, a cherché à s'affranchir, là se sont portés les regards, les vœux, les sympathies. On à versé, on verse encore des larmes de compassion, de douleur et d'horreur sur le sort des héros de la Grèce mo lerne. Je voudrais tâcher, Messieurs, de n'exciter le mécontentement de personne, je ne parlerai donc ni des cortès d'Espagne, ni des événements de Naples et de Turin, ni des cachots qui renferment encore, en Italie, en Allemagne, je ne sais où, tant de détenus po

litiques. Laissez-moi ajouter seulement que dans la proportion de cent personnes qui s'occupent en France de la balance de l'Europe diplomatique, il y en a es milliers qui se sont attristés, qui s'attristent encore des événements dont je viens de parler.

Les 80 millions que l'on vous demande, Messieurs, concourront-ils à hâter la fin des tortures de la Grèce, seront-ils déposés dans les mains d'un ministère qui ait la volonté ou la force de donner soulagement à ce malaise que ressentent quelques esprits (auxquels on ne peut refuser de bonnes intentions), en songeant au bien qui pourrait se faire à l'intérieur par l'action directe du pouvoir, et au dehors par son influence? S'il en est ainsi, je craindrais, je l'avoue, d'être désapprouvé par beaucoup de gens, en refusant mon vote au crédit demandé, et cependant je croirais encore devoir le refuser, et voici pourquoi.

Par suite de la loi sur le recrutement, la Chambre s'est dépouillée du droit de levées d'hommes; de sorte que voter des fonds, c'est implicitement consentir à l'accroissement de l'armée et à sa disponibiliié au dehors. Messieurs, un pareil consentement ne se donne pas à la légère. Je crois de toute la force de ma conviction aux ressources matérielles et surtout morales de la France pour se défendre dans ses foyers, à l'appel d'un gouvernement fort de l'affection populaire; je crois qu'à l'approche d'une invasion imminente, les pouvoirs de l'Etat ont le droit de la prévenir par des rassemblements armés d'abord, et s'il le faut, par l'aggression; mais tant qu'il ne s'agit que d'appuyer, par des mouvements militaires, des systèmes diplomatiques, des combinaisons habiles, si l'on veut, conçues dans des intentions louables, mais sujets à erreur, je ne saurais m'y associer. Représentez-vous tous, Messieurs, ce qui se passe dans nos campagnes à l'approche d'une conscription. Considérez, je vous en conjure, qu'il n'y a pas un de nous qui n'ait été ou ne soit en état de racheter son fils, au moyen d'un sacrifice imperceptible; comparez cette situation à celle du pauvre qui ne vous a pas élu, et vous comprendrez quels sont nos motifs pour rejeter le crédit destiné à mettre sur pied plusieurs milliers d'hommes de plus, sans que leur destination me soit connue.

M. le comte Roy, ministre des finances. Je ne ferai, Messieurs, que de courtes observations sur l'amendement qui vous est proposé.

Je dirai, d'abord, qu'il est une loi nouvelle, et tellement une loi nouvelle, une loi différente de celle sur laquelle vous délibérez, que si vous l'adoptiez, il n'y aurait plus de projet de loi sur lequel vous puissiez voter: ainsi, en l'adoptant, ce serait une manière de rejeter le projet de loi présenté, au nom du roi, sans lui faire seulement l'honneur de voter sur ce projet.

Il me semble que ses dispositions n'ont pas été suffisamment entendues: c'est un crédit extraordinaire qui vous est demandé, pour des circonstances extraordinaires que vous connaissez, mais qui ne se sont pas encore assez développées pour qu'on puisse savoir comment il sera usé du crédit dans ses détails, et dans les diverses applications qu il pourra recevoir.

Vous remarquerez même qu'il n'est point mis immédiatement à la disposition du ministre de la guerre ou du ministre de la marine; mais que c'est au ministre des finances qu'il est accordé; et que les ministres de la marine et de la guerre

ne pourront en faire usage qu'en vertu d'ordonnances du roi, dans le cas prévu par la loi du 25 mars 1817; lesquelles devront ensuite être présentées aux Chambres et converties en lois. Il est impossible d'avoir pris plus de précautions, et d'avoir, dans la supposition de circonstances extraordinaires, donné plus de garantie aux intérêts publics.

J'ajouterai même qu'il est bien plus conforme aux principes d'ordre dont nous ne devons pas nous écarter, d'accorder le crédit comme crédit extraordinaire, que de le renvoyer en tout ou en partie au budget, parce qu'une dépense extraordinaire a bien moins de conséquence qu'une dépense ordinaire, et que l'emploi d'un crédit extraordinaire est environné de plus de garantie.

Il me reste, Messieurs, à vous soumettre une observation importante. J'avoue que je n'entends pas l'amendement dans sa disposition principale; il porte que « le ministre des finances est autorisé à faire inscrire au grand-livre de la dette publique une quantité de rentes acquises au capital de 30 millions de francs, suivant le mode qui sera jugé le plus avantageux par le ministre. »

Qu'est-ce qu'une rente acquise?

M. Charles Dupin. J'ai voulu dire que vous seriez autorisé à acquérir une rente dont le capital serait de 30 millions.

M. le comte Roy, ministre des finances. J'entends dire, je crois, que le gouvernement acquerra une rente de 30 millions: mais, où ? avec quels fonds? Pourquoi acheter une rente de 30 millions pour la revendre? Quelle ressource pourra résulter, pour le gouvernement, d'un tel revirement, puisqu'il ne retirerait en revendant que ce qu'il aurait dépensé en achetant?

Je supposais qu'on voulait dire que le gouvernement vendrait ou négocierait une partie des 37 millions de rente acquise par la caisse d'amortissement.

Mais une telle disposition serait contraire à la loi du 28 avril 1816; elle serait également contraire à la loi du 1er mai, d'après laquelle les rentes acquises, par la caisse d'amortissement, depuis son établissement jusqu'au 23 juin 1825, ne peuvent être annulées, ni distraites de leur affectation au rachat de la dette publique avant le 22 juin 1830.

D'après ces diverses observations, il ne me paraît pas possible d'admettre l'amendement.

M. Charles Dupin. Mon amendement a pour but de mettre à la disposition de M. le ministre des finances, 30 millions, par une émission de rentes; je n'ai point voulu parler de la caisse d'amortissement.

M. le Président. Ce que j'ai à mettre aux voix, c'est la réduction à 30 millions du capital de 80 millions, demandé par le gouvernement. (Cet amendement est rejeté à l'unanimité.)

M. le Président. Il n'y a plus aucun amendement sur le premier objet de l'article; nous allons passer à la seconde disposition, celle qui est relative à l'emprunt. M. Laffitte a proposé à cet égard un amendement conçu en ces termes : Un crédit de 80 millions est ouvert au ministre des finances. Il en sera fait usage en bons « du Trésor.

"

« Le mode de consolidation de ce crédit en

« rentes sera déterminé par la loi sur les voies « et moyens. »

M. Jacques Laffitte. Messieurs, je ne reviendrai pas, à l'occasion d'un amendement, sur la discussion générale. Cependant, M. le ministre des finances m'ayant fait l'honneur de me contredire sur toutes les questions financières que le projet actuel fait naître, et mon amendement tenant à toutes ces questions, je demande à la Chambre la permission de les énumérer rapidement, et d'essayer de les préciser avec rigueur.

La première question est toute politique. Celle-là me semble présenter peu de doutes. De quelle manière qu'on envisage la situation de l'Europe, cette situation est grave et doit éveiller une sollicitude générale. Une grande puissance ne doit pas se compromettre légèrement. Son rôle est l'attente; mais elle doit rendre cette attente imposante en faisant des préparatifs. Si elle est forte, son avis seul aura autant d'influence qu'en auraient ses armes. N'eût-elle pas à tirer l'épée, la dépense qu'elle aura faite en préparatifs ne serait point perdue, puisqu'elle lui aurait valu cet ascendant qui, en la faisant écouter, l'aurait dispensée de combattre.

Je me défie, avec mes honorables amis, non des intentions du ministère, mais de sa force. Je pense que la sévérité serait un moyen de le tirer de la situation incertaine où il se trouve; mais je crois cette sévérité plus utile dans la discussion du budget et d'ailleurs, je crois que nous assumerions sur nous une grande responsabilité en contrariant le premier effort qu'on ait paru faire depuis quatorze années, pour rendre quelque dignité à la France.

En accordant les 80 millions demandés, comment faut-il les accorder?

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J'accorde, Messieurs, que le 5 0/0 trouve beaucoup d'acheteurs, car il est naturel de préférer 5 à 4 1/2 ou à 4 mais, s'il plaisait à l'Etat de créer un fonds qui rapportât 6 0/0; il serait certainement plus acheté que le 5 lui-même. Je doute cependant qu'il vous convint de créer un fonds aussi recherché. Il faut, sans doute, qu'un fonds convienne au prêteur; mais il faut aussi qu'il convienne à l'Etat. Vous êtes ici pour défendre les intérêts des contribuables, non pour fournir des primes aux capitalistes vous ne devez pas les tenter, par l'appât de ces primes, de retirer leurs capitaux à l'agriculture et à l'industrie, qui déjà les payent assez cher.

Je sais que le titre d'un fonds ne détermine pas son intérêt véritable; que le 5, si on l'émettait à 111 ne serait en réalité que du 4 1/2: dans ce cas, il faudrait même en changer la forme; car on ne pourrait reconnaître 100 au créancier qui aurait donné 111, et qui voudrait recevoir au moins ce qu'il aurait fourni. Ainsi, dans le cas où on

voudrait l'émettre à un prix qui en rendit l'intérêt moins coûteux, il faudrait en changer la forme; et alors il cesserait d'être du 5.

Quant au 4 1/2, M. le ministre des finances le trouve désagréable à l'œil, parce qu'il est fractionné. Pour moi, Messieurs, il ne me produit pas le même effet; mais je le trouve trop modique et trop mal conçu pour avoir de la vie. Un fonds en effet, qui, au lieu de dépendre du pair pour être remboursé, dépend d'une date, est un fonds absurde. Le 4 1/2 en porte la peine.

Le 3 0/0 a une triste origine, j'en conviens. Il présente une augmentation de capital considérable; et l'intérêt qu'il rapporte est trop modique pour que l'acheteur soit beaucoup touché de cette augmentation de capital. Les capitaux destinés à la spéculation ne sont pas en proportion de son importance; la comparaison avec l'intérêt de 80/0 en éloigne le rentier: j'accorde tout cela.

Aussi je ne conseille pas plus le 3 que le 4 1/2 ou le 5; je recommande seulement un principe méconnu par de ridicules préjugés ce principe, c'est de chercher avant tout l'économie d'intérêt, même au prix d'une augmentation de capital. Cette économie est, comme je l'ai dit, un amortissement trouvé, qui couvre l'augmentation de capital et le capital lui-même.

Appliquez ce principe au 3 0/0, et vous jugerez de ses avantages.

Trente millions de rentes en 5 0/0, au capital de 600 millions, ont été convertis en 30/0 à l'époque de la conversion, et n'ont plus coûté à l'Etat, sous leur nouvelle forme, que 24 millions. Il est vrai que l'Etat a reconnu, au lieu d'un capital de 600 millions, un capital de 804 millions. Mais les 6 millions qu'il a économisés par la réduction des intérêts doivent en 36 ans, si les rachats s'opèrent à 5 0/0, ou en 45 ans, s'ils ne s'opèrent qu'à 4 0/0, avoir absorbé non pas seulement les 200 millions d'augmentation, mais les 800 millions du capital total. Croyez-vous, Messieurs, que l'opération soit mauvaise? Les rachats même, rigoureusement calculés, opèrent le remboursement dans 33 et 42 ans, au lieu de 36 et 45.

Néanmoins, je ne recommande pas le 3 0/0, parce qu'il me semble qu'il est possible de trouver un fonds mieux accommodé à l'état de la place, un fonds qui, par exemple, s'appellerait le 4 0/0; qui rapporterait 4 1/2 d'intérêt; qui ne présenterait qu'une élévation de capital de 12 ou de 130/0; qui ne serait pas lourd comme le 5, déconsidéré comme le 3, mort comme le 4 1/2, et qui aurait l'avantage de nous faire entrer dans le système des dettes séparées.

Je pourrais, Messieurs, avant de terminer ce que j'ai à dire sur le choix du fonds à créer, ajouter à l'autorité du principe l'autorité du calcul. Suivons l'instinct le plus vulgaire, et disons-nous : Pour avoir 80 millions, quelle est la manière de nous les procurer qui nous coûterait le moins? En 5 0/0, il en coûtera 4 millions de rentes; mais si nous trouvions, ce qui est probable, à emprunter à des taux inférieurs, n'y aurait-t-il pas économie? Par exemple:

A 4 1/2 au prix de 92 fr. 49 c., il faudrait créer 3,890,000 francs de rentes;

A 4, au prix de 84 fr. 71 c., il faudrait créer 3, 780,000 francs de rentes;

A 3 1/2, au prix de 77 fr. 39 c., il faudrait créer 3,620.000 francs de rentes;

Et à 3, au prix de 69 fr. 42 c., il faudrait créer 3,460,000 francs de rentes.

Il y aurait donc économie, et cette économie serait de :

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Cette épargne dans l'intérêt ne nous fournitelle pas un amortissement considérable, pour eompenser l'augmentation du capital, pour absorber bientôt le capital lui-même?

A ce premier bénéfice obtenu, par la manière de contracter la dette, il faut ajouter un second bénéfice provenant de la manière de la rembourser; mais trop de calculs seraient fatigants à la tribune, et je dois m'arrêter à une simple observation.

Je suppose les rachats de ces différentes dettes au prix commun de : 97 pour les 4 1/2 0/0. 93 pour les 4 0/0.

90 pour les 3 1/2 0/0. Et 85 pour les 3 0/0.

La marge est considérable, puisque j'admets, pour ne citer qu'un seul exemple, que le 3 0/0 du prix actuel de 70 s'élèvera à 100. Mais le 3 0/0 étant monté jusqu'à 100, quel serait le motif de l'inquiétude qu'on a témoigné sur cette élévation trop ra pide? A qui porterait-elle préjudice ? Au Trésor ? Il n'aurait pas payé au delà des 4 millions de rentes que le ministre propose. Aux rentiers? Mais, si le 3 0/0 était à 100, à combien seraient les 4 1/2 et les 5 0/0 ?

Après la question du choix des fonds vient celle de l'amortissement. Ici, Messieurs, j'ai insisté longuement, et je vous demande la permission d'insister encore, parce que c'est la question essentielle de nos finances.

Tout système de crédit, Messieurs, est absurde sans un système de rachat. Vous marchez audacieusement à la banqueroute si vous n'avez pas prévu, organisé d'avance le mode de rembourser votre dette. Nous n'avons point de principes fixes à cet égard: il faut nous en faire si nous voulons ne pas marcher en aveugles et nous engager dans une voie sans issue.

L'amortissement, Messieurs, est devenu l'objet de ridicules objections depuis la conduite récente des Anglais. Les objections adressées au système d'amortissement mal observé, on les a dirigées contre le système d'amortissement bien observé. Parce que les Anglais créaient tous les ans des bons de l'échiquier pour payer l'amortissement, et ne faisaient ainsi qu'emprunter d'une main pour payer de l'autre, on a conclu que l'amortissemnt était illusoire. Sans doute, s'il en était ainsi, l'amortissement serait une indigne jonglerie. L'amortissement réel est celui qui consiste dans un excédant réel de recettes, quand toutes les dépenses essentielles sont payées. Il n'y en a pas d'autre, et on ne peut en concevoir d'autre; car c'est avec la partie de son revenu qu'il a économisée, que l'Etat, comme un particulier, peut payer ses dettes. Si jamais vous payez vos 40 millions d'amortissement avec des bons royaux, vous n'avez point d'amortissement véritable. On peut bien agir ainsi temporairement, et dans des circonstances urgentes, pour ne pas augmenter les impôts ou pour ne pas manquer d'accomplir les services; mais d'une manière durable, ce serait impossible et absurde.

L'excédant des recettes sur toutes les dépenses nécessaires est donc le seul amortissement possible. Le but de l'emprunt étant de diviser la charge, de la répartir sur un grand nombre d'années, le rachat doit être successif, c'est-àdire qu'il faut payer par petites portions la

somme empruntée en masse; l'amortissement n'est que ce rachat successif. On a de plus imaginé le rachat à intérêt composé, non parce qu'il à quelque chose de merveilleux, non parce qu'il rachète 100 avec 36, ce qui n'est pas vrai, car l'intérêt composé est un calcul positif et non une merveille; on a imaginé le rachat à intérêt composé parce qu'il fait en 36 ans ou en 45 ans ce que le rachat simple ne fait qu'en 100 ans. Ainsi, si vous avez à racheter un capital de 100 millions, et que vous ayez un million d'amortissement par an, il vous faudrait 100 ans, en opérant à intérêt simple, annulant ainsi, au profit de l'Etat, les portions d'intérêt rachetées; sí, au contraire, vous donnez à l'amortissement ces portions d'intérêt rachetées, l'accumulation successive produit en 36 ans ce qui ne l'eût été qu'en 100 ans.

De cette manière, Messieurs, il n'est pas sorti une obole de moins des caisses de l'Etat; mais Vous avez fait en 36 ans ce que vous n'auriez fait qu'en 100 ans. De manière ou d'autre, c'est la somme de 100 millions que vous avez payée; mais vous l'avez payée beaucoup plus tôt, et c'est là le point essentiel qu'un Etat doit se proposer toujours.

C'est, Messieurs, cette grande nécessité de håter le rachat qui m'a fait insister sur la modicité de l'amortissement à 1 0/0. Dans le cas de l'intérêt à 5, il libère en 36 années; dans le cas de l'intérêt à 4, il libère en 45 ans. L'histoire à la main, je vous ai prouvé, Messieurs, qu'il n'y avait pas de paix de 36 années, et que par conséquent tout amortissement qui ne s'élève pas à plus de 1 0/0 ne garantit point de la banqueroute.

Je sais bien, Messieurs, que ces choses sont importunes à entendre; mais il faut qu'il y ait sur certains sujets des voix importunes pour les gouvernements. Il n'y a rien de plus importun que de dire aux hommes de payer leurs dettes; il le faut cependant, le temps nous rend chaque jour plus scrupuleux à cet égard, parce qu'on a compris que la banqueroute, qu'on regardait comme un soulagement, est le plus insupportable des impôts. Le temps a reniu partout la banqueroute odieuse; il rendra aussi l'amortissement sacré il nous conduira certainement à vouloir et à pratiquer un rachat, non pas illusoire, mais sérieux; et le rachat à 1 0/0, je le répète, est illusoire.

M. le ministre des finances vous a dit, Messieurs, que si on consacrait plus de 1 0/0 à l'amortissement, le rachat se ferait en douze ou quinze années, et qu'alors les rentes se changeraient en annuités remboursables par douzièmes ou quinzièmes. Je suis étonné d'une pareille objection de la part d'un esprit aussi juste et aussi éclairé que celui de M. le ministre des finances. Quelle différence y a-t-il à rembourser en trente-six ans ? C'est que les rentes sont des annuités remboursables par trente-sixièmes. Tout se réduit donc à choisir entre de longues et courtes annuités; mais parlons sérieusement: toute somme rachetable successivement ne devient-elle pas une annuité? ne remboursât-on qu'en cent ans, ne serait-ce pas une annuité remboursable par centièmes?

On insiste sur les conséquences de l'objection, et on dit: Les fonds montent trop rapidement; la caisse d'amortissement est alors obligée de racheter plus cher. Cette objection, Messieurs, ne mérite qu'une seule réponse: elle est absurde. A ce titre, toute prospérité du crédit serait donc un malheur? Il faudrait s'en affliger, parce que

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