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ciation à des royaumes, sur le testament du plus puissant de nos rois,

Si à cette action civile on ajoute son action criminelle, puis le pouvoir sur la presse politique et sur l'administration; si, dans l'incertitude de votre juridiction, la magistrature continue à être investie, comme on le reconnaît, de la juridiction sur tous les crimes relatifs à la sûreté de l'Etat, et même à la famille royale; si elle exerce sur les ministres même l'action qu'elle a pour les délits qui ne sont ni trahison ni concussion, on pourrait regretter un jour de vous avoir laissés inutiles ou impuissants. Cependant la Charte a voulu placer ces grands intérêts publics sous votre sauvegarde, en vous confiant un grand pouvoir judiciaire.

En continuant à chercher les rapports des pouvoirs politiques avec d'autres grands corps de I'Etat, il en dériverait d'utiles conséquences en faveur de votre juridiction. Celui de tous qui doit avoir la plus profonde influence par la religion tient à l'Etat, à la couronne, par beaucoup de liens temporels, politiques ou civils. Cependant tout ce qui concerne ces liens vous est étranger, et c'est peut-être parce qu'ils ne se rattachent pas assez aux grandes branches de la constitution que le clergé est exposé à perdre quelque chose de sa religieuse influence, tantôt par le péril d'une espèce de domination, tantôt par la variation des règles d'une administration èssentiellement mobile.

Je sais bien que de vénérables prélats, que de respectables magistrats édifient ou éclaireni cette Chambre; mais ils ne s'y trouvent que comme individus et non à cause de leur siège. Or, à raison de la nature de la volonté humaine, il peut se faire qu'on ne verrait un jour ni évêques ni magistrats dans cette Chambre alors isolée.

Daignez aussi, Messieurs, vous rappeler l'embarras où vous vous êtes trouvés pour déterminer la juridiction de quelques grands crimes propres à troubler la société entière, quand vous vous êtes occupés du Code militaire, et vous croirez peut-être remplir un devoir envers le roi en le suppliant de consolider la pairie par la fixation invariable de votre compétence.

La commission à qui je vous propose de confier à votre égard l'initiative des moyens saura, bien mieux que moi, développer les hautes considérations que je ne fais qu'indiquer. Déjà les commissions vous en avaient retracé de bien puissantes.

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«La Charte n'a pas placé la Chambre des pairs « dans le titre de l'ordre judiciaire, disait M. le « marquis de Pastoret; elle place ailleurs les « racines de son existence. Les jugements qu'on «la charge de rendre sont plutôt une consé«quence nécessaire de la puissance qu'elle exerce « sous d'autres rapports que l'effet d'une attri«bution extraordinaire donnée à un tribunal « nouveau. »

« Vous ne vous servez aujourd'hui du droit « que la Charte vous donne, avait dit M. le « comte Molé, que pour vous constituer en quel« que sorte davantage et vous rendre plus forts

« pour conserver le précieux dépôt que vous êtes « chargés de défendre : car, disent nos anciennes «lois, les pairs furent créés pour conseiller et défendre le roi, ad consulendum, ad defendendum " regem. »

Ces trois orateurs parlaient au nom de diverses commissions qui, nominées à de longs intervalles, se sont si bien accordées sur les dispositions principales au sujet de votre compétence, qu'en confrontant leurs projets divers, vous serez frappés de l'identité de la pensée et presque de la lettre.

Cependant une opinion s'est accréditée. Laissez, dit-on, faire au temps et aux précédents. Voyez l'Angleterre; voyez nous-mêmes : les crimes énoncés dans l'article 33 de la Charte ne sont pas définis, et nous avons beaucoup jugé; nous avons déjà une procédure; nous commençons à avoir une jurisprudence. Il n'est peut être pas mieux d'écrire les compétences politiques que les constitutions. Je ne dois pas examiner s'il est plus ou moins heureux d'avoir des constitutions écrites; mais je n'en connais pas de verbales. Moïse écrivit la plus ancienne. Celles qui ont pu se former à l'aide du temps sont loutefois écrites dans une suite d'actes qu'on appelle précédents. Ils sont recueillis au moins par l'histoire, apparemment écrite, par l'histoire, dont les pièces justificatives sont les titres du droit public.

Si je passe à des lois plus analogues au sujet qui vous occupe, je vois qu'en des temps où l'on n'écrivait guère, les lois dites aujourd'hui des barbares furent écrites. L'embarras des coutumes non écrites, le danger des enquêtes pour les constater, firent écrire nos vieilles coutumes; et quand leur style eut vieilli, on les écrivit encore en langage plus clair.

Il est souvent nécessaire d'écrire en abrégeant, précisément parce que les actes écrits, trop nombreux, trop incohérents, sont épars en trop de recueils. C'est ce que les Anglais font pour consolider leurs précédents et leurs statuts flottants. C'est ce que nous avons fait par le Code civil, pour coordonner les lois civiles, les jurisprudences diverses, avec les nouveaux rapports politiques, et des règles déjà écrites, mais moins générales. Il est telle constitution récemment écrite qui n'est que le résumé des droits antérieurement reconnus. Il est tel législateur qui fut aussi le ministre de la Providence. C'est, a-t-on dit, l'œuvre du génie de réduire en peu de pages l'ouvrage de plusieurs siècles.

Je conçois qu'à la rigueur on puisse se dispenser d'écrire la compétence, quand il y a dans le passé des actes ou des exemples que la Chambre puisse s'approprier. Il y a sans doute des actes et des exemples: car notre société n'est pas formée d'hier; elle n'est pas constituée seulement depuis la Charte. Il y a eu des crimes de haute trahison, des attentats contre la sûreté de l'Etat commis par de grands personnages; il y a eu des forfaits contre la famille royale; ils ont été jugés et quelquefois punis par les arrêts des parlements, et le plus souvent par le parlement de Paris. Eh bien! d'après les Codes qui spécifient ces crimes et les peines dont ils sont passibles, ces crimes et les hommes qui en sont prévenus sont justiciables des cours royales, qui ont en cela succédé aux parlements.

La Charte dit pourtant que la Chambre des pairs, corps plus politique que les parlements, jugera les grands crimes qui, par leur nature et la haute condition des accusés, compromettent

la société politique. Mais, comme elle n'a pas défini de nouveau les crimes, que le Code pénal avait déjà spécifiés avec détail, on dit, on juge que la juridiction sur tous les crimes, sur tous les accusés, est restée aux cours royales, et que la Chambre des pairs ne doit juger que par occasion et seulement dans les cas qu'une volonté subite détermine.

Quoique cette doctrine semble extraordinaire, elle est pourtant légitime. D'où cela vient-il?

En considérant la Charte, qui, article 33, vous a déféré la connaissance des attentats à la sûreté de l'Etat, et le Code pénal, qui les a définis, on est disposé à dire que la cour des pairs doit juger tous les crimes qualifiés tels.

Mais on recule bien vite à la vue des conséquences d'une telle opinion: il en résulterait que la Chambre des pairs serait appelée à juger tous les crimes et les délits qui portent atteinte à la sûreté de l'Etat, quels que soient leur caractére et la qualité des personnes prévenues. Alors la Chambre deviendrait un tribunal permanent; elle usurperait la justice ordinaire; un corps politique jugerait des délits qui n'ont rien de politique. On pourrait finir par interpréter les mots sûreté de l'Etat comme ailleurs on a interprété les mots de lèse-majesté, et la Chambre pourrait être un corps tyrannique, un instrument de tyrannie.

C'est à cause de ces conséquences que vos commissions, reconnaissant la justice des arrêts qui ont dit que votre compétence sur ces sortes de crimes n'était pas exclusive, vous ont proposé de faire dire à la loi que, à raison de la matière seule, la Chambre n'était compétente que pour les attentats commis sur des membres de la famille royale, et que sa compétence ne devait s'exercer, pour les crimes relatifs à la sûreté de l'Etat, qu'en raison combinée de la matière et de la qualité des personnes.

Les organes de la Chambre ont toujours dit : la compétence générale appartient aux tribunaux ordinaires; la cour des pairs n'a que la juridiction qui dérive de sa constitution politique; il y aurait désordre si on l'étendait plus loin. Mais il y aura désordre aussi si les tribunaux ordinaires, qui ne sont pas corps politiques, ont le jugement de ces causes criminelles, qui ont fait et qui feraient passer, par le temps et par les précédents, le pouvoir politique en leurs mains.

Les tribunaux ont une juridiction explicite qui s'étend à tous les crimes, à tous les prévenus; la Charte a donné à la Chambre une compétence évidente, mais implicite. Il faut donc qu'une loi particulière l'explique; car on ne peut attendre des précédents ni des exemples une explication satisfaisante.

Il y a pourtant une chose en quoi les précédents, les exemples et le temps peuvent servir à la Chambre; c'est pour l'exercice et non pour l'établissement de sa juridiction. Aussi beaucoup de difficultés qui ont jusqu'ici souvent embarrassé vos débats ont disparu. Dans les affaires que vous avez eues à juger, la forme de l'instruction ainsi que des jugements, la procédure, en un mot, est à peu près déterminée. Peut-être même pensera-t-on, afin de simplifier le travail, qu'il est inutile de s'en occuper désormais.

Il existe néanmoins à ce sujet deux points dignes d'attention. Quelle sera la quotité du nombre des membres de la Chambre nécessaire pour rendre un jugement? Persistera-t-on à exiger les cinq huitièmes des voix pour la condamnation? Ces

questions ont été très controversées en 1823. Cette controverse influa beaucoup sur l'adoption de l'ajournement, et la promotion faite depuis a donné beaucoup de poids aux opinions qui se fondaient déjà sur le très grand nombre des juges.

Si, comme il est permis de le croire, la commission que je propose de nommer n'est d'avis que de vous représenter les dispositions déjà éprouvées et adoptées sur la compétence, vous ne seriez pas affectés de l'étendue du travail. Ces dispositions se réduisent à cinq ou six articles d'une résolution déjà prise par vous, et deux fois reproduite au nom de savantes commissions.

Il y aurait même une marche plus simple, plus prompte, et bien propre à rallier les esprits; ce serait de se borner à supplier Sa Majesté de faire présenter une loi pour régler définitivement la compétence de la Chambre des pairs lorsqu'elle est constituée en cour suprême de justice. Nest-il pas naturel d'espérer que la couronne, informée de l'accord des opinions sur les points essentiels, les fera convertir en dispositions de loi, ne fût-ce que pour éviter dans les deux Chambres une double discussion sur un sujet déjà tant débattu ?

A ce vœu réitéré se mêle, Messieurs, une autre espérance. Sa Majesté qui a daigné se montrer attentive à la prière récente d'asseoir sur des bases plus fixes les pouvoirs politiques, portera peutètre ses regards plus haut que votre compétence judiciaire. En faisant la revue des lois qu'elle a sanctionnées, et de ses ordonnances, qui en ont à votre égard l'autorité, sa haute prévoyance sondera l'effet politique des modifications opérées dans les deux plus grands corps de l'Etat. Il appartient au successeur immédiat du fondateur de la Chambre des pairs de consolider l'équilibre des pouvoirs, de fixer l'harmonie de leurs rapports avec toutes nos institutions. Nous devons attendre ses décrets avec une respectueuse confiance.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de nommer une commission chargée de recueillir tous les actes faits ou proposés sur sa compétence et de présenter le projet qu'elle croira le plus propre à la faire règler définitivement.

M. le Président, ce développement entendu, déclare qu'aux termes de l'article 28 du règlement, la discussion est ouverte sur la question de savoir si la proposition développée sera prise en considération par la Chambre.

Aucun orateur ne demandant la parole pour combattre la prise en considération, elle est immédiatement mise aux voix et adoptée.

M. le Président ordonne, en conséquence, le renvoi aux bureaux, l'impression et la distribution des développements présentés dans cette séance. La proposition sera examinée dans les bureaux mardi prochain.

L'ordre du jour étant épuisé, la Chambre se sépare avec ajournement à mardi 27 du courant, à une heure.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. ROYER-COLLARD.

Séance du mercredi 21 mai 1828.

La séance est ouverte à deux heures et demie. Après la lecture du procès-verbal, M. Benjamin Constant demande la parole pour une rectification.

M. Benjamin Constant. Je suis fâché d'importuner la Chambre, mais je ne puis vraiment pas accepter une espèce d'absurdité que le procèsverbal met à ma charge. Si j'avais fait la proposition qu'il m'attribue, non seulement j'aurais prouvé mon ignorance complète des usages de la Chambre, mais encore une absence de sens commun dont on ne peut soupçonner personne. (Légère rumeur à droite). Dans ce que dit le procès-verbal, il y a des choses vraies et des choses inexactes; il est parfaitement vrai que le Président a mis aux voix, après que j'ai eu parlé, la question de savoir si la Chambre, qui avait adopté une rédaction nouvelle substituée à la rédaction du gouvernement, délibèrerait sur l'ancienne rédaction, c'est-à-dire si la Chambre prendrait successivement deux décisions contraires; mais je n'avais pas fait une pareille proposition. Ce que j'ai demandé était une chose toute simple et qui a toujours été observée dans cette Chambre. Lorsqu'un amendement, ou la substitution d'une rédaction à une autre sont proposés, on peut adopter cette substitution ou cet amendement par deux motifs; le premier, quand on croit que la nouvelle rédaction constitue une amélioration à un principe jugé bon; le deuxième, quand on croit qu'elle est moins mauvaise que la rédaction primitive dont on désapprouve le principe. Dans ce dernier cas, on vote pour l'amendement comme un moindre mal, mais en se réservant de rejeter même cette rédaction, parce qu'on trouve le principe vicieux.

Un exemple fera mieux comprendre cette distinction: Je prends celui d'un emprunt, car c'est d'un emprunt que nous nous occupons en ce moment. Je suppose qu'on vous propose un emprunt de 100 millions; quelques membres de la Chambre ne veulent pas d'emprunt; un député propose de réduire à 50 millions la demande du gouvernement. Les adversaires de l'emprunt, prévoyant la chance possible que cette mesure soit adoptée, voteront pour la réduction à 50 millions comme un moindre mal; mais ils se réserveront de voter même contre cet emprunt de 50 millions quand viendra la délibération sur l'article. De ce que plusieurs membres aiment mieux qu'on emprunte 50 que 100 millions, si l'on concluait qu'ils veulent voter 50 millions, il est clair que l'on conclurait d'une manière tout à fait inexacte.

tait pas d'une manière absolue et définitive: au lieu de cela, on a conclu que nous l'adoptions, de ce que nous l'avions préférée à l'article du projet. Après nous avoir assuré que le principe était réservé, et qu'après tous les amendements nous pourrions discuter le principe de l'article, c'est-àdire s'il y aurait ou non un emprunt, on nous a empêchés de le discuter. Plusieurs orateurs étaient inscrits....

M. le Président. Personne n'était inscrit.

M. Benjamin Constant... ou du moins avaient demandé la parole. M. Eugène Salverte nommément vient de me dire qu'il avait prié le président de lui donner la parole sur l'article; moi-même je l'avais demandée : l'article n'a pas été discuté, on a été privé de l'examen de la question principale.

Ce n'est pas pour revenir sur cette question que je parle, c'est pour que le procès-verbal constate un abus qui, s'il se continuait, nous enlèverait la possibilité d'aborder une question de front; on nous dirait qu'en votant un amendement qui change l'article, nous avons adopté l'article ainsi changé. Je n'entends inculper personne je le dis parce que depuis quelque temps nous ne pouvons faire une observation sans être obligés de nous répandre en protestations pour assurer que nous n'accusons, que nous ne soupConnons personne. Je crois que tout s'est passé dans l'âme, dans le cœur, dans la tête de M. le Président, le plus loyalement possible; et, je le répète, je me serais cru dispensé de le dire, si de pareilles apologies n'étaient devenues en quelque sorte le prélude obligé de toutes les oppositions. Mais enfin il ne faut pas que la Chambre entre dans une route qui lui ôterait toute possibilité de discuter les lois; je ne crois pas qu'on veuille tendre autour de nous un filet dont nous ne pourrions nous dégager. Pour moi, je déclare que je le briserai, parce que je veux rester dans mon indépendance la plus complète, dans le droit que je possède comme membre de la Chambre.

Je demande que le procès-verbal ne porte pas que j'ai fait l'absurde proposition de revenir sur l'article primitif, ce qui m'aurait mérité d'être envoyé à Charenton. On a mis la chose aux voix, cela ne me regarde pas; je demande qu'on mette que j'ai réclamé pour que la discussion s'ouvrît sur l'article amendé, parce que cette rédaction nouvelle n'était qu'une adoption de préférence, et n'était pas une adoption absolue. Le procèsverbal n'a pas le droit de me prêter des absurdités.

M. le Président. Je n'entrerai point dans une controverse que la Chambre a décidée hier; il n'y a qu'un seul point sur lequel je doive quelques explications, et je suis bien aise que M. Benjamin Constant m'ait offert l'occasion de les donner. Il vous a dit qu'il avait demandé la parole, il a supposé une inscription d'orateurs : il n'y a jamais d'inscription sur les articles. Aux termes du règlement, les orateurs demandent la parole de leur place, l'usage a introduit l'adoption d'une inscription régulière pour les discussions générales, mais pour celles-là seulement. Il est vrai que quelques membres m'avertissent souvent qu'ils demanderont la parole sur un article, et j'ai soin de leur dire de la demander au moment, parce que peut-être je ne m'en souviendrais pas. Je ne sais pas comment le Prési

C'est ce qui est arrivé hier, et je vais vous le prouver. On a proposé une rédaction nouvelle, le gouvernement l'a adoptée: elle a été présentée comme amendement, et je dois le dire ici, parce que je l'ai lu dans le procès-verbal, ce n'est pas un amendement, mais la substitution d'un article à un autre. Que fallait-il faire pour nous remettre sur notre véritable terrain, pour ne pas priver la Chambre de son droit? Mettre la rédaction nouvelle aux voix comme article de loi: jusque-là, elle n'avait été adoptée que comme perfectionnement; on la préférait à l'autre, mais on ne l'adop-dent serait condamné à se rappeler à point

nommé, et à aller chercher sur leur banc tous ceux qui ont pu lui demander la parole. M. Benjamin Constant et M. Eugène Salverte avaient demandé hier la parole, c'était un avertissement; mais ils ne se sont point présentés pour prendre la parole, du moins je ne l'ai pas vu, et aucun membre du bureau ne l'a vu.

Quant au procès-verbal, je voudrais bien savoir quelle est la rectification que demande M. Benjamin Constant?

M. Benjamin Constant. Je demande qu'on rétablisse dans le procès-verbal la proposition que j'ai faite de mettre en discussion l'article amendé. J'insiste d'autant plus sur ce point, qu'un membre qui doit connaître le règlement, puisqu'il a été président pendant sept années, vient de me soutenir qu'il n'y avait pas eu d'amendement. Or, voici ce que porte le procèsverbal : « Un membre... Il produit sous la forme « d'amendement la rédaction nouvelle; cet amen« dement est adopté et devient l'article 1er de «la loi. » Je maintiens que l'amendement adopté étant devenu l'article 1er de la loi, c'était l'article ainsi amendé qu'il fallait mettre en discussion; je répète que si on ne veut pas mettre en discussion les articles après que les amendements....

M. le Président. Vous n'avez pas demandé la parole.

M. Benjamin Constant. Oui, lors même qu'on ne demande pas la parole, l'article doit être remis en délibération; on n'adopte l'amendement que conditionnellement et provisoirement; on l'adopte comme un moindre mal, en se réservant la faculté de rejeter la disposition. Oui, il est essentiel pour la Chambre que le Président, après avoir mis l'amendement aux voix, n'en regarde pas l'adoption comme définitive; il doit dire: L'amendement est adopté je vais mettre aux voix l'article amendé. Je ne concevrais pas comment on pourrait me dire qu'il n'y a pas d'amendement dans une rédaction nouvelle, quand elle a été proposée et adoptée comme amendement. Je me résume; et pour qu'on ne se prévaille pas à l'avenir d'un tel précédent, j'insiste pour la rectification que j'ai demandée.

M. Ravez. Si quelque chose a droit de surprendre, c'est la continuation de la difficulté qui avait été soulevée hier. Que dans un moment de préoccupation on pense avoir raison, je le conçois, cela peut arriver à tout le monde; mais qu'après de longues réflexions on vienne reproduire une difficulté qui n'a pas de base, je ne crains pas de dire que de toutes les chicanes, c'est la plus gratuite, la plus étrange (Violents murmures à gauche), qu'il soit possible de soulever. (Nouveaux murmures.) Je m'adresse aux personnes qui ont quelque raison, et vous-mêmes ne pourrez vous empêcher d'en convenir.

Voix à gauche Vous nous insultez!

M. Ravez. Il n'y a point d'injure dans ce que je dis.

Voix à gauche : C'est une impertinence !

M. Ravez. Je soutiens que j'ai dit la vérité. (Vive rumeur). Ou un amendement laisse quelque chose dans l'article, ou il n'y laisse rien et le remplace; s'il laisse quelque chose de l'article,

il est évident que l'adoption de l'amendement. laisse quelque chose à faire, et il faut mettre aux voix l'article amendé. Mais si l'amendement remplace l'article en entier, tout a été adopté avec l'amendement; il n'y a plus rien à mettre aux voix; et c'est ce qui est arrivé hier.

Un article avait été présenté par le gouvernement; plusieurs membres développèrent des amendements tendant à changer la rédaction de l'article; tel était l'amendement de M. Laffitte ; telle était encore la rédaction nouvelle que vous avez adoptée. Que vient-on nous dire qui était dans le droit de la Chambre, et dont le contraire serait un précédent dangereux? que, malgré l'adoption d'une disposition nouvelle substituée à l'article, vous deviez remettre l'article ed délibération...!

M. Chauvelin. Le nouvel article!

M. le Président. N'interrompez pas, vous aurez la parole.

M. Chauvelin. Je ne la demande pas, ce serait inutile. (On rit.)

M. Ravez. Parlez-vous de l'article présenté par le gouvernement?

M. Chauvelin. Non.

M. Ravez. Permettez-moi de continuer. Je suivrai l'objection dans tous ses points; je n'évite aucune difficulté. Ou vous parlez de l'article présenté par le gouvernement, ou vous parlez de l'article substitué. Si vous parlez de l'article présenté par le gouvernement, vous n'auriez pas raison, car il avait été remplacé par la rédaction nouvelle: si vous parlez de celle-ci, voyez où vous êtes obligés d'aller! La Chambre a adopté cette rédaction, et vous proposez de la mettre une seconde fois aux voix ! La Chambre a-t-elle ou n'a-t-elle pas adopté la rédaction nouvelle ?

Voix à gauche : Oui, comme amendement.

M. Ravez. Je ne comprendrais pas comment on pourrait se méprendre sur des faits qui se sont passés en présence de la Chambre et de tout le public. Le Président a tellement mis aux voix la rédaction nouvelle, qu'avant de la mettre aux voix, il avait annoncé que M. le ministre des finances n'avait pas le droit de la proposer lui-même, parce qu'il n'était point membre de la Chambre des députés. La proposition a été reprise par plusieurs députés; M. le Président en a donné lecture, l'a mise aux voix : elle a été adoptée. Que demandait-on hier au Président? ce n'était pas de remettre en délibération cette rédaction qui venait d'être adoptée; voulait-on remettre en délibération l'article 1er du projet ? c'est contre cette proposition que j'ai parlé à la Chambre. Je ne sais pas si vous avez perdu le souvenir de ce qui s'est passé hier; pour moi, je l'ai très présent; je rappelle le fait tel qu'il est arrivé. C'était l'article 1er qu'on voulait remettre aux voix, et je vous disais : quelle serait la conséquence d'une telle proposition? En délibérant de nouveau, vous auriez le droit d'a dopter ou de rejeter; et si vous adoptiez l'article primitif, que deviendrait la rédaction nouvelle ? Aujourd'hui on dit: c'est l'article lui-même qu'il fallait remettre aux voix. Et depuis quand sommes-nous dans l'habitude de mettre aux voix

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à l'unanimité; mais c'était à eux à saisir l'occasion qui leur était offerte, c'était à eux de voir que dans la nouvelle rédaction était tout l'article, et qu'après son adoption il ne resterait plus rien à dire ils devaient s'emparer de la parole; s'ils ne l'ont pas fait, nous ne saurions en être responsables.

deux fois de suite la même disposition? Quand | quoique l'amendement ait été adopté à peu près
une disposition est adoptée, la Chambre a épuisé
son droit; tout est consommé. Il y a lieu de
délibérer de nouveau sur un article amendé, lors-
que l'amendement n'est qu'une addition ou une
Soustraction, et qu'il n'embrasse pas dans son
entier la disposition principale. Telle n'était pas
hier notre position; telle n'est pas aujourd'hui
notre position. On ne pouvait pas mettre aux
voix l'article remplacé; on ne peut pas mettre
aux voix un article qui a été adopté: il n'y a
donc rien à changer à ce qui a été fait.

M. Dupin ainé. Je n'appellerai pas du nom de chicane, et je n'appliquerai aucune qualification tant soit peu désagréable à ce que je regarde comme l'exercice d'un droit. M. Benjamin Constant a eu le droit de demander bier ce que bon lui semblait, il a le droit de demander aujourd'hui la rectification du procès-verbal s'il le croit nécessaire. C'est précisément parce que je respecte son droit et celui de tous, que j'ai eu le droit d'user du mien, et je désirerais qu'en toute occasion il fût également respecté. Ce n'est pas par désobligeance que j'ai proposé hier la question préalable, c'est parce que les droits de la Chambre étaient mis en question. M. le Président est assez modeste, assez conciencieux pour convenir d'un tort, s'il en avait un; mais sa conduite a été celle qu'il devait tenir. Si on eût rétabli la discussion sur l'article du gouvernement, si on avait voulu le mettre aux voix, à l'instant, moi et beaucoup d'autres, nous nous y serions opposés comme à chose insolite et impossible. Je viens à l'objection que j'ai saisie dans le discours de M. Benjamin Constant. On a adopté, dit-il, l'article par forme d'amendement; restait à mettre aux voix l'article entier. Ici, il est nécessaire de distinguer entre un amendement, qui ne serait que partiel, une simple modification par addition ou par retranchement, et un amendement qui embrasse l'article dans son entier, qui substitue une rédaction à une autre. Si par amendement on n'ajoute à l'article qu'une demiphrase, une épithète, il faut remettre l'article aux voix, parce qu'on n'a pas voté sur la disposition principale; mais si l'amendement est une rédaction nouvelle de l'article, bien qu'on ait employé la forme d'amendement, ce n'est qu'une forme qui n'affecte pas le fond: le vote de l'amendement entraîne le vote de l'article. C'est parce que la Chambre est arrivée à ce point, qu'elle n'est plus réduite à faire dans les lois de simples corrections de style ou de ponctuation, c'est parce qu'elle concourt à faire les lois aussi bonnes que possible, qu'on a pu changer en entier la rédaction de l'article 1er. Par respect pour les formes, ce changement a eu lieu par un amendement; mais au fond un article nouveau aété subtitué à l'article du projet. Hier, on demandait que la proposition du gouvernement fût remise en discussion, et si j'ai bonne mémoire, c'est sous couleur de défendre la prérogative royale qu'on s'est présenté à cette tribune. Or, cette nouvelle délibération ne comportait que le rejet de 'article, sous peine de mettre la Chambre en contradiction avec elle-même; et c'est pour cela que nous nous serions opposés à la proposition, parce qu'on ne doit jamais mettre la 'Chambre dans la position de voter le pour et le contre. C'est aux orateurs qui auraient fait d'excellents discours, qui auraient entraîné le reste de l'Assemblée, que nous en aurions été redevables, car je ne doute pas qu'ils n'eussent fait prévaloir leur opinion,

M. Benjamin Constant usait hier de son droit en faisant sa proposition; j'usais aussi du mien en me mêlant à la discussion; pardon si je m'en suis mêlé encore aujourd'hui, connaissant moins bien le règlement que le préopinant, mais connaissant assez les faits pour en parler.

(M. Benjamin Constant demande la parole pour un fait personnel.)

M. Benjamin Constant. Si quelque chose a droit d'étouner dans cette discussion, c'est qu'une proposition si simple et si claire puisse être traitée de chicane; si quelque chose a droit d'étonner, c'est qu'on ne veuille pas reconnaître que la marche qu'on a suivie conduirait la Chambre à se laisser priver du droit d'examiner le principe des articles, sous prétexte qu'un article amendé est adopté. C'est là-dessus uniquement que je base ma défense, et c'est un fait personnel, parce que, si j'avais demandé, comme on le prétend, la mise en délibération de l'article primitif du gouvernement, j'aurais demandé une absurdité. On a tâché de se fonder sur les paroles d'un orateur, qui a appuyé ma demande. Qu'a-t-il dit? Qu'il fallait, pour la prérogative royale, que l'article du gouvernement fût mis en délibération. Mais quel etait cet article du gouvernement? M. le ministre des finances avait dit qu'il adoptait la nouvelle rédaction; eh bien, c'est ce nouvel article qu'il fallait mettre en délibération. Ceux qui nous combattent ne veulent pas sentir que, souvent, on n'adopte un amendedement que comme moins mauvais que l'article, et provisoirement, sauf à combattre et à repousser l'article lui-même. Il y avait deux rédactions; quelques membres ne voulaient ni de l'une ni de l'autre, parce qu'ils n'admettaient pas le principe de l'emprunt; mais ces membres pouvaient trouver, cependant, que la dernière rédaction valait mieux que la première, et, comme ils ne savaient pas si le principe de l'emprunt serait adopté ou rejeté, ils ont voté provisoirement la nouvelle rédaction, sauf à rejeter l'article quand viendrait la discussion sur l'article. Ce droit qu'ils se réservaient, on le leur a enlevé. Cela me paraît si clair, que je ne pourrais que répéter de mille manières les raisons que j'ai déduites.

Je n'ai pas dit d'absurdité, le procès-verbal m'en prête une; je demande qu'il soit rectifié.

M. le Président. C'est une question de procès-verbal à laquelle il ne faut pas donner plus de gravité qu'elle n'en a. Le procès-verbal porte: L'usage de la Chambre a toujours été de « mettre aux voix l'article du gouvernement après l'adoption d'un amendement. »>

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Au lieu de ces mots : l'article du gouvernement, M. Benjamin Constant demande qu'on substitue ceux-ci : l'article amendé. C'est à la Chambre d'interroger ses souvenirs et de savoir si, en effet, on a demandé que la discussion fût ouverte de nouveau sur l'article que la Chambre venait de voter, ou sur l'article du projet primitif. Interrogez vos souvenirs. Je vais mettre aux Voix la rectification demandée par M. Benjamin Constant.

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