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duit de cette perception être employé à subvenir à l'insuffisance des ressources actuellement affectées aux travaux des routes et chemins départementaux ;

2° Que la perception de cette imposition extraordinaire cessera du moment où les lois de finances à intervenir augmenteraient, soit en principal, soit en centimes additionnels, les contributions directes de manière à ce que cette augmentation jointe à l'imposition fût égale ou supérieure au dégrèvement accordé sur les contributions directes de 1826 et 1827.

Votre commission a pensé qu'il aurait peutêtre fallu consacrer dans la loi les termes de ce vote; mais, le mot conformément y renvoyant, Vos Seigneuries trouveront sans doute suffisante celte consécration. En conséquence, elle vous propose d'adopter, conformément au vote du conseil général du Cantal, le projet de loi qui vous est soumis.

Charente.

Dans le département de la Charente, le tableau des routes départementales est divisé en deux parties, en routes classées et en routes non classées. Les routes classées sont au nombre de six; leur longueur est de 131,001 mètres; leur dépense s'élèvera à 957,075 francs 13 centimes; ce qui fait 7 fraucs 31 centimes le mètre, ou 29,240 francs la lieue.

Les routes proposées sont au nombre de deux; leur loogueur est de 76,994 mètres, et leur dépense évaluée à 684,500 francs; ce qui établit le mètre à 8 francs 90 centimes, et la lieue à 32,360 francs. Enfin le total de la longueur de toutes ces routes est de 207,995 mètres, et leur dépense, de la somme de 1,641,178 francs 13 centimes; terme moyen, 31,536 francs la lieue. Votre commission n'a chargé, nobles pairs, d'entrer dans ces détails pour prouver qu'il n'y a pas d'erreur, ainsi que l'énormité du chiffre a paru le faire croire à la commission de la Chambre des députés; et que, laissant de côté les routes non classées, celles qui le sont (et c'est sans doute celles-là que le conseil général entend faire confectionner les premières, car son vote n'est pas explicatif) ne présentent qu'une dépeuse de 957,075 francs 13 centimes. La commission pense que c'est pour faire face à cette dépense que le conseil général demande à s'imposer, pendant cinq ans, quatre centimes additionnels au priocipal des quatre contributions directes.

Votre commission, dans la ferme persuasion où elle est que l'administration locale et l'administration supérieure sentiront la nécessité d'examiner avec beaucoup de soin et d'exactitude des projets qui peuvent avoir été rédigés avec peu de réflexion ou même avec negligence, afin de pouvoir trouver les moyens propres à rapprocher la dépense qu'ils entraîneraient des ressources du département, vous propose néanmoins d'approuver le projet de loi qui vous est presenté.

Charente-Inférieure.

Le département de la Charente-loférieure est à peu près dans la même position que celui de la Charente. D'après le rapport très détaillé de l'ingenieur en chef, il aurait à faire ou à achever environ cinquante-cinq lieues de routes, qui en

traîneraient une dépense de 1,022,325 francs 38 centimes. Mais, le conseil général ayant décidé, dans ses sessions de 1822 et 1826, qu'à l'avenir les fonds seraient portés sur six routes principales dont les noms sont désignés dans le rapport, comme les travaux qu'elles exigeut ne s'élèvent qu'à la somme de 482,153 francs 28 centimes, il est à présumer, d'après le vote très court et peu explicatif du conseil général, que c'est à ces routes que doit s'appliquer la somme que produira l'impôt extraordinaire demandé, qui est de trois centimes, pendant quatre années, à partir de 1829; et c'est par ces motifs que votre commission vous propose d'approuver le projet de loi qui vous a été présenté par M. le ministre de l'intérieur, en faisant les mêmes observations que pour le département de la Charente.

Indre.

Votre commission, nobles pairs, après avoir pris connaissance de la délibération très détaillée et très étendue du conseil général de l'Indre, et des motifs qui l'ont déterminé à demander à s'imposer extraordinairement, pendant cinq ans, la somme de cinq centimes additionnels au principal des contributions foncière, personnelle et mobilière, à partir de 1828, s'est convaincue de l'importance que présente, pour un département agricole et manufacturier, le prompt achèvement des routes dont la confection et l'entretien sont entièrement à sa charge, et qui sont au nombre de six. La dépense présumée est de 912,684 francs. Ce département n'a pour y faire face chaque année, que la somme de 40,000 francs; encore faut-il prélever les frais d'entretien. Il ne lui reste donc qu'une somme très modique pour les constructions neuves. En conséquence, votre commission vous propose, nobles pairs, de donner votre approbation au projet de loi qui vous a été présenté.

Isère.

Le département de l'Isère a depuis longtemps treize routes en construction, pour la confection desquelles une somme de 600,000 francs paraissait indispensable. Ayant le sort commun à beaucoup d'autres départements, celui de l'Isère ne peut affecter que des sommes très modiques à l'achèvement de ces communications importantes, après avoir assuré aux differentes branches de service les allocations qu'elles réclament. Ne pouvant donc atteindre à un résultat satisfaisant et définitif que par le moyen d'un emprunt, une délibération très longue du conseil général en consacre la nécessité et en arrête les principales conditions.

Dans le rapport de l'ingénieur en chef, ainsi que dans la lettre de M. le préfet au directeur général des ponts et chaussées, on trouve les motifs du retranchement de la route no 1, dite de la Croix-Haute, qui est destinée à faire cesser l'interruption de la ligne directe de Marseille à Besançon et Strasbourg. Comme cette route traverse la partie la moins peuplée du département de l'Isère, et qu'elle n'est pas pour lui d'une importance aussi directe que les douze autres routes, elle a paru au conseil général d'une importance assez remarquable dans l'intérêt général de l'État pour être classée au nombre des routes royales. Il a donc demandé ce classement, et ce n'est que

dans le cas où il ne pourrait pas l'obtenir qu'il se déciderait à compléter les sacrifices qu'il s'était jusqu'alors imposés, et à voter une somme de 300,000 francs pour son achèvement.

Votre commission, très convaincue de l'utilité de cette importante communication par les renseignements qu'elle a puisés dans les pièces instructives et détaillées qu'elle a eues sous les yeux, n'a dû, tout en regrettant de voir s'éloigner l'époque de son achèvement, s'arrêter qu'à la demande faite par le gouvernement d'autoriser l'imposition d'un centime additionnel aux quatre contributions directes pendant dix ans, afin que le produit de ce centime, joint à la somme de 38,000 francs qui sera réservée sur celui des 5 centimes facultatifs, puisse former une caisse d'amortissement suffisante pour effectuer le remboursement de l'emprunt des 300,000 francs demandés et le service des intérêts de cette somme. Elle me charge donc, nobles pairs, de vous proposer de donner votre assentiment au projet de loi qui vous est présenté.

Landes.

Le département des Landes a entrepris l'ouverture, la confection et l'entretien de neuf routes. Leur longueur est d'environ soixante-quatre lieues trois de ces routes seulement sont entièrement ouvertes; une quatrième ne l'est que sur une partie de sa longueur; les cinq autres ne le sont que sur de très petites distances. La somme nécessaire à leur achèvement, d'après le tableau fourni par M. l'ingénieur en chef, s'élève à 988,868 francs. Dans aucun département peut-être l'établissement de communications faciles n'est plus désirable; son nom seul indique le besoin des améliorations, et pour vivifier l'industrie agricole et manufacturière, il ne leur faut que des débouchés faciles.

Malgré les efforts du conseil général pour se suffire avec ses seules ressources ordinaires, l'impossibilité absolue de produire des résultats satisfaisants lui a été démontrée. Par une délibération basée sur des motifs sages et bien déduits, il a voté un impôt extraordinaire de 5 centimes additionnels au principal de ses quatre contributions directes. Le produit de cette contribution doit s'élever, d'après le rapport de M. le préfet, à la somme de 49,644 francs 30 cent., qui, jointe à celle de 40,000 francs dont le conseil général peut disposer et aux sacrifices qu'il est en droit d'attendre de communes intéressées à l'ouverture de ces routes, suffira pour établir de bonnes communications.

J'ai donc l'honneur de vous proposer, au nom de votre noble commission, l'adoption du projet de loi qui vous a été soumis.

Loire.

Le département de la Loire a offert à votre commission l'exemple et la preuve de ce que peut produire l'émulation et l'élan que prennent en général les départements pour arriver à une amé lioration dans le système de la bonne viabilité, Le rapport complet, satisfaisant, et fondé sur des bases d'économie, que présente M. l'ingénieur en chef, a été remarqué par votre commission comme par celle de la Chambre des députés. Ce fonctionnaire a trouvé dans de sages combinaisons les moyens de placer la dépense au niveau

des ressources. Je ne répéterai pas les expressions de ce rapport; elles sont consignées avec juste raison dans le rapport de la commission de la Chambre élective: mais la vôtre, nobles pairs, s'unira à elle pour engager ses collègues à imiter son exemple.

Je reviens au département. Cinq routes sont déjà classées comme départementales; mais onze chemins vicinaux, tous fort importants, sont proposés pour être élevés au même rang. Malgré l'économie que M. l'ingénieur en chef se propose d'apporter à la confection de toutes ces routes, la somme de 1,071,700 francs est indispensable à leur entier achèvement.

Le conseil général a donc sagement résolu, dans sa séance du 24 août 1827, de voter une imposition extraordinaire de 3 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes pour le produit en être appliqué à ces routes avec les autres sommes dont l'emploi ne sera pas exigé pour les besoins des services ordinaires.

C'est ce vote, converti en projet de loi, que votre commission vous propose d'adopter.

Loiret,

Le conseil général du Loiret, ne voulant rien laisser incomplet dans ce riche département, sous le rapport de la viabilité, favorisé d'ailleurs par plusieurs routes royales qui ne sont pas dispendieuses pour lui, a demandé qu'on classe comme routes départementales trois chemins vicinaux, savoir ceux d'Orléans au Mans, d'Orléans à Joigny, et de Pithiviers à Étampes. En conséquence de ce désir, il a voté dans sa dernière session une imposition extraordinaire de 3 centimes additionnels au principal de ses contributions foncière, personnelle et mobilière, pendant trois ans, à partir de 1828. C'est l'expression de ce vote que le gouvernement vous propose, ainsi que voire commission, de convertir en loi.

Marne.

Dans le département de la Marne, neuf routes départementales sont en construction, et on demande le classement de trois autres communications dans la même catégorie. Les neuf routes entreprises présentent des dépenses plus ou moins fortes; elles parcourent, d'après le rapport de M. l'ingénieur en chef, une longueur de soixantetreize lieues et demie, sur lesquelles environ quarante-quatre sont encore à construire. Le même ingénieur observe que ces routes ne sont pas les seules qui soient nécessaires; il dit que les besoins du département ne seront complètement satisfaits que quand le nombre des routes départementales sera porté à vingt. Pour les dépenses qui restent à faire sur les routes classées, il faudrait une somme de 790,000 francs, et c'est pour effectuer cette dépense que le conseil général, à la suite de ses délibérations en date des 21, 25 et 26 août 1827, a voté une imposition extraordinaire, pendant cinq années, de 3 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes,

Votre commission, ayant reconnu l'utilité des routes ci-dessus indiquées, vous propose d'adopter le projet de loi qui vous est présenté.

Haute-Marne.

D'après le tableau annexé au rapport de M. l'ingénieur en chef du département de la HauteMarne, cinquante lieues de routes parcourent le département. A l'exception de deux lieues et demie qui restent à ouvrir, tout le reste est ouvert et construit, Mais il y a des dépenses considérables à faire, tant pour les réparations que pour les travaux d'art. C'est pour amener ces communications au simple état d'entretien que le conseil général, reconnaissant qu'il ne pouvait faire face à ces dépenses avec ses ressources ordinaires, a voté, dans la séance du 22 août 1827, une imposition extraordinaire montant à 3 centimes par franc sur le principal des quatre contributions directes du département, pendant trois ans, à partir de 1829, pour être exclusivement employée à porter à l'état d'entretien simple les routes départementales. Les mêmes motifs ont engagé votre commission à vous proposer d'adopter le projet de loi que vous a soumis M. le ministre de l'intérieur.

Oise.

Les routes départementales de l'Oise exigent des dépenses qui paraissent à votre commission bien au-dessus de la situation financière de ce département. D'après le rapport de M. l'ingénieur en chef, une somme de 1,400,833 francs paraît nécessaire pour parer à une partie de ces dépenses, le préfet avait proposé au conseil général une surimposition de 5 centimes. Le conseil, se trouvant partagé sur cette proposition en deux avis égaux par le nombre de ses votants, n'a pas cru pouvoir imposer cette charge aux contribuables. Cependant, revenant, dans sa séance du 23 août dernier, sur la décision de la veille, il n'a pas voulu laisser sans secours une branche aussi importante d'utilité publique; en conséquence, il a voté une imposition extraordinaire de 2 centimes additionnels aux quatre contributions directes pendant trois ans. Cette imposition, qui ne s'élèvera qu'à un total de 180,000 francs, ne peut donc être contestée, puisqu'il n'y a que son insuffisance, en raison des dépenses å effectuer, qui puisse surprendre. Votre commission, tout en s'étonnant de la modicité d'un vote si peu en rapport avec l'énormité de la somme qui paraît nécessaire à la confection des routes du département, adopte cependant ce vote d'après Ja confiance que méritent et qu'inspirent les conseils généraux pour les besoins et les ressources de leur département, et ne balance point à vous proposer d'adopter le projet de loi présenté.

Tarn.

Ce département offre, par le nombre extrêmement élevé de ses routes départementales (le classement les fixe dans ce moment à vingt-cinq) la preuve que son conseil général est désireux de faire jouir ses concitoyens d'un bienfait inappréciable, celui d'une bonne viabilité. Mais malheureusement les ressourees dont il peut disposer ne sont pas en harmonie avec les bonnes intentions qui l'animent. En effet, ces vingt-cinq routes présentent, d'après le tableau dressé par M. l'ingénieur en chef, un développement de 495,362 mètres ou environ 224 lieues, pour lesquelles une somme de 1,851,879 francs serait nécessaire. Les ressources que le département peut employer annuellement à ces travaux ne sont pas expliquées,

et la délibération du conseil général est très courte ; mais votre commission s'est convaincue, par d'autres pièces, de l'importance des causes qui l'ont engagée à adopter une charge aussi forte. Elle a pensé qu'il serait peut-être possible de la réduire au moyen d'économies sages et bien entendues; mais, quelque réduction qu'on puisse espérer sur la surímposition demandée, qui est de 5 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes pendant cinq ans, à partir de 1829, elle sera bien loin d'atteindre la somme nécessaire pour l'achèvement de ces routes. En effet, les 5 centimes pendant cinq ans produiront la somme de 815,000 francs, et la somme nécessaire étant de 1,851,879 francs, il faudra encore un million pour terminer ces travaux.

Votre commission vous propose d'adopter le projet de la loi qui vous est soumis,

Vosges.

Le conseil général des Vosges, avant de faire classer comme routes départementales plusieurs grands chemins dont l'importance était généra-lement sentie, et qui, sous ce rapport, sortaient de la ligne des chemins vicinaux ordinaires, a pris la sage précaution, secondé en cela par l'ingénieur ou le conducteur local que M. le préfet avait chargé de surveiller les travaux, non comme agent des ponts et chaussées, mais comme homme de l'art, de donner à la confection de ces chemins les directions et les dimensions suivies pour les grandes routes. Votre commission a remarqué que des considérations bien entendues, et cependant bien simples, d'économie financière et administrative avaient produit de si bons résultats, qu'elle les regarde comme dignes de fixer l'attention du ministre de l'intérieur, sous le rapport du moyen le plus sûr d'obtenir de bonnes routes avec le moins de dépenses possible.

Les routes projetées dans le département des Vosges sont évaluées à une somme de 396,802 francs. Le conseil général demande à s'imposer extraordinairement 5 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes. Cette surimposition produira la somme de 328,360 fr.; il ne restera donc plus qu'un déficit de 68,442 fr., que le conseil général a l'espoir de couvrir facilement avec les secours du budget des centimes facultatifs.

Votre commission, nobles pairs, a l'honneur de vous proposer d'adopter une demande basée sur l'intérêt bien entendu du département, et de convertir en loi le projet qui vous est présenté, afin de compléter le nombre des quinze projets qui vous avaient été soumis par M. le ministre de l'intérieur.

(La Chambre ordonne l'impression du rapport qui vient d'être entendu. Elle ajourne à samedi prochain l'ouverture de la discussion sur les projets de loi rapportés.)

L'ordre du jour appelle, en second lieu, le développement des motifs de la proposition faite par un pair dans la séance du 7 de ce mois et vigables et non flottables. relative à la propriété du lit des rivières non na

M. le baron Boissel de Monville, auteur de cette proposition, ayant obtenu la parole, s'exprime en ces termes:

Messieurs, en développant les motifs de la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, et que, sur l'exposé sommaire que vous en avez entendu, vous avez bien voulu juger digne de vous occuper, je dois d'abord établir la nécessité

de convertir cette proposition en résolution par vos suffrages; puis j'indiquerai ce que cette résolution me paraît devoir contenir.

J'ai l'honneur de vous faire observer que, si les motifs que je vais développer obtiennent votre assentiment, il sera nommé une commission pour Vous faire un rapport qui sera certainement un travail supérieur au mien, et qui pourra rendre meilleures les dispositions que je vais avoir l'honneur de vous proposer.

1° De la nécessité d'une résolution.

Lorsque des actes patents, nombreux, universels dans le royaume, égaux peut-être en bonne foi, sont en contradiction les uns contre les autres; lorsque toutes les dispositions d'une nature dé propriétés sont faites, de la part des propriétaires, dans la supposition que la loi doit être entendue d'une certaine manière, et que les dispositions de l'autorité administrative sont faites dans le sens d'une interprétation opposée, il y a nécessité de fixer un point de législation sur lequel on est si loin de s'entendre; et ce point est important, car il s'agit de la propriété même.

Les propriétaires riverains des cours d'eau non navigables ni flottables se croient propriétaires du lit des eaux, chacun devant soi; l'administration croit que ce fonds est du domaine public, et en dispose comme s'il était celui d'une rivière navigable ou flottable.

De là les actes qui se contredisent. Les propriétaires riverains vendent avec le terrain adjacent le lit de la rivière, ou seulement la moitié, selon qu'ils sont propriétaires des deux rives ou d'une seule, et la contribution foncière s'y assied. Si la rivière, dans son cours sur une propriété, a assez de pente pour y trouver une chute d'eau capable de faire mouvoir une usine, cette circonstance augmente la valeur vénale du fonds riverain, selon que les localités font rechercher ce genre d'utilité. Il n'est venu à l'esprit d'aucun vendeur ni d'aucun acquéreur d'imaginer qu'ils traitaient d'un fonds qui n'était pas dans le commerce; et dans les innombrables contestations qui s'élèvent entre les propriétaires, devant les tribunaux, sur cette nature de propriété, il n'est venu à l'esprit d'aucun membre du ministère public qu'il fût de son devoir de revendiquer ce fonds comme non susceptible de propriéte privée. Les propriétaires riverains ont donc acte public de la propriété de la rivière devant les tribunaux, et consentement de la partie publique.

Pendant que les propriétaires et la magistrature en agissent ainsi, l'administration, qui d'abord n'intervenait que comme chargée de maintenir l'ordre public dans le régime des eaux, a constitué le domaine propriétaire du fonds même: 1° en intitulant concession la règle qu'elle vous impose dans l'usage des eaux; or, concession signifie droit que vous n'aviez pas et qu'on vous accorde, comme pour opérer le desséchement d'un marais, ou pour fouiller une mine sous l'étendue de propriétés étrangères; 2° en ne vous faisant cette concession qu'à la charge de nonindemnité dans le cas où le gouvernement jugerait convenable d'appliquer la rivière au service public; 3° en s'emparant de l'ancien lit de la rivière en le vendant à son compte, si elle juge à propos d'en détourner les eaux; ce qui a eu lieu notamment sur l'Armançon, rivière non flottable ni navigable. Je tiens ce fait de notre noble collègue, M. le marquis de Louvois, qui a été dans l'obligation,

pour sa convenauce, de racheter son fonds de rivière qu'on lui enlevait.

De sorte que, comme le Code civil, article 545, et la Charte, article 10, portent que l'Etat ne peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'intérêt public qu'avec une indemnité préalable, la clause de non-indemnité imposée par l'administration signifie clairement que les riverains qui ont construit sur une rivière qui n'est ni flottable ni navigable n'ont pas construit sur leur propriété.

Les partisans du système administratif argumentent de ce qu'il n'y a pas eu de réclamation de la part des propriétaires contre cette clause de non-indemnité. Mais à qui s'adresseraient-ils ? A l'administration, puisque la matière est devenue administrative. Est-on bien sûr qu'il n'y en ait eu aucune dans aucun de ses nombreux bureaux ? J'en ai imprimé une en 1817. La non-réclamation de la partie publique aux audiences publiques est beaucoup plus certaine, et fournit au système propriétaire et judiciaire un bien plus sûr argu

ment.

Il y a donc nécessité de faire cesser cette contradiction manifeste entre l'administratif et le judiciaire.

Cette nécessité est devenue plus urgente par le sort qu'a éprouvé l'amendement proposé par la commission de la Chambre sur l'article 3 du projet de loi sur la pêche fluviale. Cet amendement portait que, dans le cas où le gouvernement priverait les propriétaires riverains du droit qui leur appartient dans ces cours d'eau, ceux-ci pourraient demander une indemnité proportionuée à leur perte. Sur l'observation d'un des commissaires de Sa Majesté, que c'était préjuger la question de la propriété du fonds, dans une loi qui n'avait pour objet que la pêche, la Chambre a réduit l'indemnité à la perte de la pêche seulement.

Il résulte de cet événement que l'administration a acquis à son système une argumentation de plus. On pourra dire que le droit de pêche n'est point une accession en raison de la propriété du fonds des rivières, puisqu'il est attribué par une disposition spéciale de loi, qui a omis exprès de parler du fonds; que si telle eût été l'intention de la loi, c'est de la propriété du fonds qu'elle eût disposé, parce que le droit de pêche en devenait une accession naturelle. Donc, dira-t-on, la Chambre des pairs, en donnant la pêche et l'indemnité pour la perte de la pêche aux riverains, a entendu réserver à l'Etat le fonds même de la rivière. Telle n'a pas été certainement l'intention de Vos Seigneuries, qui n'a cédé qu'à une raison de forme, et c'est votre véritable intention qu'il était urgent de vous voir exprimer: c'est pourquoi j'ai eu l'honneur de vous en faire la proposition.

2o De la législation sur la matière.

L'article 538 du Code civil attribue au domaine public les fleuves et rivières navigables et flottables. Cet article, conforme à l'ancienne législation française, nous dispense de plus hautes recherches.

Mais cet article fait partie du titre de la Distinction des biens : il en résulte que les biensqui, dans ce titre du Code, ne sont pas distingués par la qualité de domaine public, restent confondus dans la masse des proprietés privées. Ainsi les rivières non navigables ni flottables sont des propriétés particulières.

Le système administratif raisonne autrement : il dit que, si c'est une propriété privée, elle n'est pas de la même nature que les autres, qui sont, en vertu de l'article 544, caractérisées par la faculté de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les règlements et les lois. Or, l'article 644 prohibe la disposition absolue des eaux, et la restreint à une simple faculté, par ces expressions: peut s'en servir (de l'eau) à son passage, peut même en user dans l'intervalle qu'elle parcourt. D'où l'on conclut que ce n'est pas une propriété absolue.

J'observe que l'article 644, qui restreint l'usage des eaux, est au titre : des Servitudes qui dérivent de la situation des lieux, et qu'un lieu riverain étant dans une situation telle qu'il ne doit pas nuire aux autres riverainetés, qui sont propriétés au même titre et au même usage, cet article est un règlement entre riverains, comme l'usage de la vue est un règlement entre les propriétaires de maisons, et ne peut faire du fonds des rivières des dépendances du domaine public.

Que signifie donc l'article suivant (645), qui porte que, dans les contestations qui s'élèveront entre les propriétaires à qui ces eaux peuvent être utiles, les tribunaux doivent concilier l'intérêt de l'agriculture avec le respect dû à la propriété? De quelle propriété parle-t-on ? Est-ce de la propriété des eaux, qui coulent, et qui doivent être rendues par le riverain aux riverains inférieurs telles qu'il les reçoit? est-ce de la propriété du fonds, qui ne coule pas ? et que signifie les tribunaux si le fonds n'est pas une propriété privée ?

Cet article 644, qui règle l'usage des eaux courantes, est dans la même série et sous le même titre que l'article 640, qui règle la servitude des eaux pluviales en raison de la situation des lieux: pour les eaux pluviales qui sont une rivière momentanée et dommageable, les fonds de terre inférieurs sont soumis à en supporter l'écoulement; pour les eaux d'une rivière constante, qui sont un avantage, les fonds de terre supérieurs sont soumis à n'en pas priver les fonds inférieurs. De raisonnement en raisonnement, l'administration arriverait ainsi à déclarer domaine public tous les fonds de terre, parce que l'article 640 règle l'écoulement des eaux de ces fonds, comme l'article 644 règle l'écoulement des rivières.

Au titre de la Distinction des biens, l'article 519 porte Les moulins à vent et à eau, fixes sur piliers et faisant partie du bâtiment, sont immeubles par leur nature. Ou y succède comme aux autres immeubles; on en dispose et on les hypothèque comme les autres immeubles. Je demande ce que devient l'hypothèque sur un moulin à eau, si le gouvernement le détruit sans indemnité, et si jamais la loi, ni personne, a pensé que ce fut une hypothèque si mal assise? Mais si un moulin à eau est une propriété fon cière comme une autre, par toutes les dispositions directes et indirectes de la loi, il faut lui appliquer l'article 552, qui porte: La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, et dire que le droit de pêche dérivait du même principe. Ce n'est donc pas de cet article 519 que la prétention administrative peut exciper.

Mais comme il lui en faut un, voici celui qu'elle invoque, c'est l'article 563; il est ainsi conçu Si un fleuve ou une rivière navigable, "flottable ou non, se forme un nouveau cours en abandonnant son ancien lit, les propriéa taires des fonds nouvellement occupés pren

«nent, à titre d'indemnité, l'ancien lit aban« donné, chacun à proportion du terrain qui lui « a été enlevé. »

Donc, nous dit-on, le fonds de la rivière non flottable ni navigable n'appartient pas aux riverains, puisque la loi en dispose en faveur des tiers.

Cet article ne peut être applicable au droit de propriété utile, mais au droit de servitude onéreuse. Nulle rivière n'est une riveraineté indiffé rente. Les unes sont utiles, et la riveraineté en est recherchée, c'est à qui en aura les autres, comme les torrents, dévastent leurs rives, et c'est à qui n'en aura pas. L'indemnité accordée signifie certainement qu'elle est applicable lorsque l'invasion des eaux est un dommage pour ceux qui les reçoivent; et le refus fait aux anciens riverains de prendre part au partage de l'ancien lit signifie qu'ils n'ont rien perdu et même qu'ils ont gagné à être débarrassés d'un tel fléau. Cette autre expression, terrain enlevé par le nouveau lit, signifie une perte et non pas une acquisition. Les fleaux ne sont pas une propriété qu'on se dispute: ce sont des dangers dont on se trouve trop heureux d'être délivré.

Supposez une rivière précieuse aux riverains, supposez une inondation qui en change le cours, et le porte sur d'autres fonds en y creusant un nouveau lit cela arrive fort souvent. A-t-on jamais vu les riverains de ce nouveau lit s'en dire propriétaires en vertu de l'article 563, et prendre, en sus, l'ancien lit pour indemnité ? Le pouvoir judiciaire ou administratif a-t-il jamais refusé aux propriétaires de l'ancien cours de remettre à leurs trais les choses dans leur premier état? Cela se fait généralement, et même sans contestation, parce que c'est le bon sens qui le

veut.

Si l'on pouvait appliquer aux rivières utiles l'article 563, lors des grosses eaux (et quelle rivière n'en subit pas ?), en quelques minutes de travail de nuit à crever une chaussée ou une berge, les gens de mauvaise foi mettraient le lit de la rivière sur eux pour la garder. Ils pourraient même faire grâce de l'indemnité, tant l'opération serait bonne.

Non, cet article n'a de rapport qu'aux rivières dévastatrices, aux dommages qu'elles portent par une force majeure que la puissance humaine ne peut vaincre; et sa disposition est le contraire des dispositions applicables aux rivières utiles, parce que la nuisance est le contraire de l'utilité.

3o Ce qu'il paraît convenable que la loi contienne. Il faut prendre garde de blesser les droits acquis sous la protection de la bonne foi; et pour cela je dois la considérer dans l'état où l'administration a nis les choses.

Si je n'ai cité à Vos Seigneuries aucune décision de principes émauce des conseils d'État, c'est qu'elles ne peuvent prévaloir, en principe, sur l'ensemble d'une loi, telle surtout que le Code civil. Mais comme elles prévalent dans l'application administrative, il est bon de savoir comment est survenue l'usurpation de ce pouvoir sur la loi.

Le Code civil est du 5 mars 1803. Cinq ans après, en 1808, le même gouvernement fit dresser un projet de code rural. Ce fut sans doute le conseil d État qui en fut chargé, et sa rédaction définitive fut faite sur l'avis des tribunaux et des préfets. On y lit, articles 132 et 133: « Le lit • des ruisseaux et des petites rivières est considéré comme une dépendance de chaque pro

"

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