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les plus grandes nécessités, des cadres susceptibles de recevoir promptement un grand nombre de jeunes soldats, des corps dont l'instruction et la discipline ne laissent rien à désirer et qui rivaliseraient, dans l'occasion, d'énergie et de dévouement, présentent de tels éléments de force, que la France n'aura jamais rien à envier sous ce rapport à ses voisins, dans quelque lutte qu'elle puisse être amenée un jour à prendre part par le cours des événements et les chances de la politique.

(La Chambre ordonne l'impression du discours prononcé par le ministre.)

L'heure étant avancée, la Chambre ajourne la suite de la discussion à demain jeudi, 12 du courant, à une heure.

La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. ROYER-COLLARD.

Séance du mercredi 11 juin 1828.

La séance est ouverte à une heure et demie. La rédaction du procès-verbal est adoptée.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur le projet de loi concernant la presse périodique.

L'article 5 du projet est ainsi conçu:

«Les gérants responsables, ou l'un ou deux « d'entre eux, surveilleront et dirigeront par « eux-mêmes la rédaction du journal ou écrit ◄ périodique.

«Chacun des gérants responsables devra avoir « les qualités requises par l'article 80 du code civil, « être propriétaire au moins d'une part ou action

dans l'entreprise, et posséder, en son propre « et privé nom, un quart au moins du caution"nement. »

M. le Président. Dans le premier paragraphe de cet article, la commission propose par amendement de substituer les mots: dirigeront et surveilleront aux mots, surveilleront et dirigeront. (On rit.)

Cet amendement est mis aux voix; très peu de membres se lèvent pour et contre: l'amendement est rejeté. (On rit.)

M. le Président. Dans le deuxième paragraphe la commission propose d'ajouter ces mots: être âgé de 25 ans. (Rumeurs à gauche. Plusieurs députés demandent la parole en même temps.)

M. le baron Pelet. Le second paragraphe de l'article 5 a pour objet de déterminer les conditions auxquelles seront assujettis les gérants responsables: relativement à celles indiquées par l'article 980 du code civil, comme déjà elles sont exigées par l'article 1er pour tout propriétaire de journal et que le gérant doit être aussi propriétaire, il était inutile de les rappeler; mais enfin ce qui abonde ne nuit pas, et tel n'est pas l'objet pour lequel je suis monté à la tribune. Voici ce qui m'y fait monter.

La commission exige que le gérant soit âgé de

25 ans; c'est une contradiction avec l'article 1°r. Assez de difficultés entourent les gérants, sans qu'on y ajoute inutilement ceile-ci : je dis inutilement; et, en effet, on a comparé un journal à un établissement de commerce, et, d'après le droit commun, il suffit d'être majeur, de jouir de tous ses droits civils, pour qu'on puisse prendre part à une entreprise commerciale; pourquoi donc exigeriez-vous plus que la majorité pour être gérant d'un journal? Voilà, comme je l'annonçais, une contradiction. En voici une autre plus remarquable encore. La loi a prévu le cas où il n'y aurait qu'un seul propriétaire, et veut qu'alors il soit gérant. On peut être propriétaire à 21 ans d'après le projet; d'après la commission, on ne pourrait être gérant qu'à 25 ans: ce sont évidemment deux conditions contradictoires. Je n'ajoute qu'un mot: le gouvernement a voulu fonder la confiance de la société sur la confiance que les propriétaires d'un journal accorderaient à leur gérant. Pourquoi donc le gouvernement retirerait-il sa confiance lorsque les propriétaires auraient accordé la leur à un homme de 21 ans ? Je ne verrais, dans une pareille disposition, que le désir de prolonger l'enfance des citoyens, de les empêcher d'exercer leurs droits civils à un âge où la loi leur en accorde la jouissance. Je vote contre l'amendement de la commission.

M. de Cambon. L'amendement de la commission est en contradiction manifeste avec l'article 1er. L'article 1er, en effet, dit que tout Français majeur peut fonder un journal, et l'amendement vient ensuite exiger que le gérant soit âgé de 25 ans, quoique vous exigiez qu'il soit un des propriétaires. Non seulement je vote contre cette proposition, mais je demande qu'elle ne soit pas mise aux voix.

M. Séguy, rapporteur. C'est moins pour défendre l'amendement dans son principe, que pour justifier la commission du reproche d'inconséquence que j'ai demandé la parole. Si j'avais eu à vous parler du précédent amendement, proscrit par Vous avec hilarité, j'aurais pu aussi vous prouver qu'il n'était pas dénué de raison. La commission avait pensé qu'il était convenable d'admettre la direction avant la surveillance, parce qu'il est naturel de dire que la bouche sera ouverte avant qu'on ne parle. Mais il ne s'agit point de cela ; il s'agit de notre second amendement. Le grand argument est qu'il y a contradiction avec l'article 1er : si le préopinant avait refléchi sur les dispositions des deux articles, il n'aurait pas relevé cette contradiction. L'article 1er est seulement applicable à ceux qui veulent faire l'entreprise d'un journal; l'article 5 se rapporte au gérant. Si maintenant il fallait justifier la disposition additionnelle, nous dirions que le gérant est la personne sur qui la loi fait porter toute la responsabilité de l'entreprise, ce qui suppose de sa part une grande force de raison et de prudence, qu'il est plus naturel de supposer dans un homme de vingt-cinq ans que dans un homme qui vient d'atteindre sa majorité. Je sais bien qu'on peut nous opposer des exemples, une raison précoce, on peut citer Louis XIV; mais quand on fait des lois, il faut avoir en vue, non des exceptions, mais les cas ordinaires.

M. Dupin aîné. Certainement, la substitution de 25 ans à 21 tient plus qu'on ne pense à un système; je l'ai déjà remarqué plusieurs fois dans les projets présentés par le gouvernement, où se

trouvait l'âge de 21 ans. On repousse cette majorité, cette majorité précoce, par amour pour l'ancienne majorité de 25 ans; on veut retenir les citoyens quatre ans de plus dans l'enfance, et c'est ainsi qu'à l'occasion d'une loi discutée l'année dernière, on exigea 25 ans au lieu de 21 ans pour la haute capacité de garde forestier. Eh bien! M. le rapporteur aurait dû se rendre pleinement aux raisons de M. le baron Pelet; il n'a pas vu que dans le cas où il n'y aurait qu'un seul propriétaire, la loi pouvait être en contradiction avec elle-même. De l'article 1er résulte le droit de fonder un journal à 21 ans; d'un autre côté, le propriétaire unique ne peut se donner un gérant, car le gérant doit avoir une part dans l'entreprise; et cependant il ne pourra gérer lui-même puisqu'il n'a pas 25 ans; la contradiction est palpable, c'est véritablement la haine de l'âge de 21 ans. (Rires à gauche.)

(L'amendement de la commission est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président. M. Marchal a proposé à l'article 5 une disposition additionnelle ainsi conçue:

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Néanmoins, la totalité du cautionnement « pourra être affectée par second privilège, au << profit du tiers qui en aura prêté le montant au « titulaire. »

M. Marchal. Messieurs, vous avez voulu que le gérant jouît de la confiance de ses coassociés ; vous avez exigé qu'il eût la signature sociale. Maintenant qu'il se présente avec cette garantie morale, qui seule suffirait aux besoins de l'ordre public, lui rendrez-vous si difficile, impossible fort souvent, l'accomplissement des autres conditions dans lesquelles le projet de loi place la garantie matérielle de ce gérant? Il faut l'aider un peu si vous voulez qu'il y ait vérité dans tous les faits, qu'il y ait franchise dans ses déclarations, si vous voulez que l'exécution de cette loi ne soit pas ruineuse pour lui.

Voyons quelle est sa position:

Le gérant devra être associé; il devra faire le travail de la société; il devra avoir la signature sociale. Il sera donc nécessairement honnête, instruit, prudent, laborieux les propriétaires de l'entreprise n'en peuvent vouloir d'autre. La réunion de ces qualités sera de toute nécessité pour l'établissement qui se livre à sa merci.

Il faut, de plus, à l'égard de l'autorité, qu'il ait l'argent nécessaire pour payer sa part dans l'entreprise et son quart du cautionnement; sans quoi l'administration ne l'acceptera pas.

Ainsi, celui qui pourrait réunir les qualités morales propres à commander la confiance des propriétaires du journal, fort souvent n'aura pas la fortune exigée pour les garanties matérielles qu'il doit présenter; comme il arrivera que celui qui aura la fortune n'y joindra pas les qualités morales et intellectuelles qu'exigeront les propriétaires de l'entreprise.

Et celui qui réunira toutes les conditions, fort souvent, ne voudra pas devenir gérant responsable, parce qu'il n'échappera pas aux séductions d'une vie tranquille dans laquelle il pourra allier à son indépendance la conservation de sa fortune et la sûreté de sa personue.

De cela, je conclus que les qualités morales étant de rigueur, puisque sans elles les propriétaires du journal ne voudraient pas du gérant, il

faut donner à celui qui réunira ces qualités le moyen d'emprunter l'argent qui fort souvent lui manquera.

Mais, direz-vous, il ne lui est pas interdit de faire des dettes; non, sans doute. Mais s'il est dans la nécessité d'emprunter, il faut lui en donner la possibilité en lui laissant le moyen d'offrir au capitaliste ce privilège du second ordre qui lui facilitera l'emprunt d'une somme indispensable; ce privilège sans lequel l'emprunt ne serait peut-être pas impossible, mais ne pourrait se réaliser qu'à des conditions ruineuses.

Si vous repoussez mon amendement, vous aggravez la position du gérant sans aucune utilité. Je dis sans aucune utilité: D'abord, sous le rapport de ce privilège du second ordre dont je veux lui ménager la disposition, puisque le créancier qui en jouira ne pourra l'exercer qu'après l'entier payement des amendes et des dommages-intérêts auquel le cautionnement est affecté en premier ordre.

Ensuite, et sous le rapport de l'emprunt en luimême, je dis que le rejet de mon amendement n'est d'aucun avantage aux yeux de ceux qui désirent que le gérant se présente avec la plus grande garantie possible, parce que le gérant empruntera toujours, s'il est réduit cette nécessité; et ce sera le cas le plus ordinaire. Seulement, s'il ne peut offrir le privilège du second ordre, il arrivera que le gérant fera l'emprunt à des conditions usuraires; et c'est ce que je veux prévenir par mon amendement. Cet amendement est donc moral sous ce rapport; et, d'un autre côté, il ne fait que laisser le gérant responsable dans le droit commun des titulaires de cautionnement.

Il ne faut pas d'ailleurs confondre ce privilège du second ordre, dont je réclame la faculté pour le gérant responsable, avec les hypothèques sur l'immeuble qui, dans certains cas, suppléera à la propriété du quart du cautionnement, parce que ces hypothèques assurent des droits qui primeraient ceux du fisc pour les amendes, ce qui rendrait la sûreté immobilière illusoire; tandis que le privilège du second ordre ne peut s'exercer que lorsque les amendes et les dommages-intérêts sont payés.

Messieurs, si je vous ai clairement expliqué ma pensée, vous aurez compris que la plupart du temps le gérant sera forcé de faire un emprunt pour payer son quart de cautionnement; que s'il n'a pas la faculté de donner au prêteur le privilège du second ordre, il fera cet emprunt à des conditions usuraires; car plus on offre de sûreté aux prêteurs, moins les conditions de l'emprunt sont onéreuses. Ainsi, l'intérêt du gérant, d'accord avec celui de la morale, commandent l'adoption de mon amendement.

Si vous le repoussez, il faut être franc, et exprimer toute sa pensée; il faut écrire dans la loi que le gérant n'empruntera pas pour fournir sa part de cautionnement: c'est alors ce que vous voudrez, car je ne puis supposer que votre intention soit de favoriser les emprunts usuraires. Ainsi, il faudra, dans ce cas, que la commission, enchérissant sur ce qu'elle a fait, propose un amendement qui mette le gérant hors du droit commun en leur interdisant d'emprunter. C'est sans doute ce que vous ne voudrez pas. Je persiste dans mon amendement.

M. de Vatimesnil, ministre de l'instruction publique. Je viens soumettre à la Chambre des

réflexions qui tendent à combattre l'amendement qu'on vient de vous présenter. L'article qui est en discussion porte que le gérant doit posséder, en son propre et privé nom, un quart au moins du cautionnement: la loi a entendu que le gérant serait sérieux propriétaire; car s'il y avait simulation, si le cautionnement était fourni par un tiers, vous resteriez dans la fiction des éditeurs responsablés, il n'y aurait plus aucune différence entre le système actuel et le système précédent. Vous voulez bannir toute espèce de fraude, vous voulez que le gérant offre toutes les garanties qu'on peut trouver dans la propriété; vous devez donc écarter de la loi ce qui pourrait permettre la simulation. Tel serait le résultat de l'amendement. Et, en effet, un gérant n'aurait point le moyen de fournir un cautionnement, il n'aurait aucune fortune, aucune solvabilité, il ne présenterait, en un mot, aucune des garanties pécuniaires que vous voulez obtenir; ce gérant s'adresserait à un tiers qui lui fournirait le cautionnement, le verserait à la caisse des dépôts et consignations et remplirait les formalités déterminées par la loi, en faveur de ceux qui prêtent un cautionnement aux receveurs et autres comptables des deniers publics, c'est-à-dire qu'il s'assurerait le privilège du second ordre. Qu'est-ce que le privilège du second ordre? C'est le droit d'être préféré à toute personne, excepté à ceux au profit desquels le cautionnement est affecté pour répondre des condamnations qui peuvent être prononcées. Eh bien! dans cette position on serait absolument dans le même état que si le cautionnement appartenait nominalement à un tiers. Ce cautionnement répondrait sans doute des fautes et des délits, mais il n'assurerait po nt cette garantie de fortune que vous voulez trouver dans un gérant. Adopter l'amendement, c'est implicitement admettre le cautionnement fourni par un tiers, c'est consacrer une disposition contraire à l'esprit de la loi.

Mais on nous dit: Vous défendez donc au gérant d'emprunter? Non, on ne lui défend pas d'emprunter aux conditions ordinaires, de contracter des engagements, mais on lui refuse le moyen de faire fournir le cautionnement par un tiers. Vous êtes plus rigoureux à sun egård, ajoute-t-on, qu'envers les comptables du Trésor, auxquels on permet d'emprunter un privilège du second ordre. Sans doute, parce que tout ce que le gouvernement demande des comptables, c'est une garantie matérielle; qu'elle soit fournie par un tiers ou par le comptable loi-même, peu importe, la somme est là, elle répond des peines et des prévarications. Dans un gérant, au contraire, vous exigez quelque chose de plus; vous voulez une garantie de sa solvabilité, de sa situation sociale, et vous la trouvez dans la possession réelle du cautionnement.

M. Mauguin. Je voudrais souinettre à la Chambre quelques observations sur les dangers que le pouvoir accordé sur le gérant va présentér à la chose publique et même à la liberté de la presse. Votre loi à deux principes: l'un, c'est que la presse périodique est libre: l'autre, c'est qu'elle doit être soumise à des garanties. Il y a bien encore dans votre loi un troisième principe, c'est que la liberté qu'on accorde doit être enchaînée, et ce principe vous le verrez successivement se développer à mesure que les articles suivants vont se presenter à la discussion. Mars peu importe du reste pour la liberté de la presse; elle a pénétré dans nos mœurs, et partout où elle pénètre elle

se fait jour et brise ses entraves: vous pouvez la paralyser en quelques points et pour quelques jours; elle n'en restera pas moins libre.

Ce qui m'étonne dans votre loi, c'est que le principe du pouvoir que vous donnez au gérant se trouve contraire au but que vous avez voulu atteindre par le cautionnement. En effet, quel est le résultat du cautionnement? C'est d'intéresser les speculateurs à la conservation de leur entreprise. Chacun pouvant être atteint dans sa propriété, on se réunit, on délibère, on se concerte, et si la rédaction du journal est de nature à compromettre l'entreprise, on change le rédacteur, ou bien on l'oblige à modifier son esprit. Or, vous demandez des gérants qui seront les tyrans du journal, qui surveilleront la rédaction, seront responsables de toutes les peines, et qui, par suite, auront le droit de dire aux propriétaires nous ne vous écoutons pas, c'est nous qui donnons le bon à tirer, nous dirons ce qui nous plaira. Ainsi, toute la garantie repose sur les gérants celle des spéculateurs n'existe plus: le pouvoir des gérants l'a annulée. Dans cette position, à moins que vous ne veuilliez perdre tout l'effet que vous attendez de la sagesse des propriétaires, il faut changer quelque chose aux conditions de gérant.

Pour justifier l'article 5, on a dit le gérant sera plus timide quand il sera compromis luimême, il sera plus accessible aux influences. Le gérant sera plus timide! mais vous aviez la même ressource contre toute espèce d'éditeur responsable: un rédacteur en chef pouvant être poursuivi comme complice en devait être d'autant plus timide. Il sera plus accessible à certaines influences! On a pensé sans doute aux influences ministérielles; mais les entreprises qui ne voudront pas être ministérielles choisiront leur gérant en conséquence. Il existe d'ailleurs d'autres influences; elles se manifestent en ce moment par des associations. Chacune de ces associations s'emparera d'un gérant qui la représente; il ne leur sera pas difficile de s'entendre sur certains points, et on pourra former encore des coalitions contre les ministres, comme on a vu, il y a un an, se former une coalition non des gérants, mais des rédacteurs principaux: la loi actuelle doit nécessairement conduire aux mêmes effets.

Maintenant, je vois que la manière de corriger ces effets, c'est de donner plus de facilité dans le choix des gérants. Par exemple, vous trouverez desormais dans toutes les associations cette clause: que le gérant sera révocable, car elles ne voudront point abandonner leur fortune à un individu. Vous devez donc faire en sorte qu'un grand nombre de personnes puissent être gérants. Si un individu n'a point par lui-même assez de fortune pour être gérant, il faut lui permettre d'emprunter, et par conséquent admettre l'amendement de M. Marchal. Mais, a dit M. le ministre de l'instruction publique, s'il emprunte, s'il présente le privilège du second ordre, le but de la loi est manqué. Au contraire, Messieurs, il est atteint : les speculateurs sont là, ils surveillent la rédaction; et si le gérant les compromet, ils le changent. Du reste, croyez-vous empecher la simulation? Vous vous ab seriez singulièrement on empruntera en secret au lieu d'empruuter à découvert; vous aurez créé seulement une situation douteuse. Il vaut mieux mettre les gérants à leur aise et les dispenser d'un mensonge.

Avec les conditions que vous exigez d'un gérant, qui pourrait aspirer à l'être? Nous avons en ce moment dans la littérature des notabilités qui occu

[Chambre des Députés.]

pent la France. Certes MM. Villemain, Guizot et Cousin offrent, par leurs lumières, par leurs talents, par leur moralité, toute espèce de garanties; et cependant, d'après le projet de loi, aucun d'eux ne pourrait être gérant d'un journal: dans cette Chambre même, il n'est peut-être pas la moitié d'entre nous qui pussent aspirer à la gérance d'un journal. Repousserez-vous done toujours cette jeunesse studieuse qui s'élève dabs nos écoles, qui doit un jour nous remplacer, et à laquelle il faudrait permettre de s'exercer aux discussions de la politique?

(L'amendement de M. Marchal est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président. M. Terrier de Santans a proposé un amendement ainsi conçu:

«Les députés et les pairs de France ne pourront, sous aucun prétexte, être propriétaires, gérants responsables, ou collaborateurs d'un journal ou écrit périodique. »

M. de Puymaurin a proposé un amendement analogue; il porte :

Aucun membre des deux Chambres, s'il est propriétaire associé d'un journal ou de tout autre écrit périodique, ne pourra être associé gérant responsable:

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La rédaction de M. Terrier de Santans est beaucoup plus compréhensive que celle de M. de Puymaurin. (On rit...-M. de Puymaurin demande la parole: Mouvement prolongé). Je répète que la rédaction de M. Terrier de Santans est beaucoup plus compréhensive. (Ah! ah!) Je l'ai dit, elle est beaucoup plus compréhensive que celle de M. de Puymaurin. M. de Puymaurin n'interdit que la qualité de gérant, M. Terrier de Santans interdit la propriété et la collaboration: M. Terrier de Santans a la parole.

M. de Puymaurin. Je la demande après.

M. Terrier de Santans. Messieurs, la Chambre de 1828 a buvert sa session par un acte mémorable de désintéressement; remplis du senitiment de votre dignité, vous avez proclamé que votre premier titre était celui de député, votre premier devoir celui d'en remplir le mandat, et dès votre début vous vous êtes placés assez haut dans l'esprit des peuples pour que la calomnie ne puisse vous y atteindre, ni les audacieuses satires des journaux vous blesser. En effet, appelés à donner des lois à la France, votre première pensée dut être de mériter son estime parce que, si le législateur est méprisable, son ouvrage le devient bientôt; s'il est seulement discrédité dans l'opinion, la foi en naissant est sans force, elle végète et heurt sans laisser ni traces, ni regrets. Mais cependant, Messieurs, malgré l'élévation sur laquelle vous vous présentez à la considération générale, vous risqueriez dans peu d'en descendre si les preuves de désintéressement général que vous avez données n'étaient pas soutenues par celles du désintéressement particulier, si, en renonçant à toutes places lucratives données par le roi, on en acceptait d'autres moins honorables, si enfin la Chambre étalait des principes qui fussent démentis par ia conduite de ses membres.

Telles sont les considérations qui m'ont engagé à vous présenter un paragraphe additionnel à l'article que vous discutez; il n'est que l'expression répétée des sentiments généreux que vous avez manifestés: facilement vous sentirez que, d'après la loi que vous discutez, loi du reste utile, indis

pensable même, l'état de journaliste ni même
celui d'écrivain de journaux, ne conviennent ni
à un député, ni à un pair. Pour vous en con-
vaincre, j'en appelerai à ces sentiments d'hon-
neur français qui vous ont fait accueillir avec
enthousiasme la proposition de M. de Conny; et
plus heureux alors que presque tous les orateurs
qui se présentent devant vous, j'y paraîtrai sou-
tenu par les précédents de la Chambre les plus
honorables, et avec l'assurance par conséquent
d'ajouter une garantie de plus à la considération
que commanderont vos actes.

D'abord, Messieurs, vous admettrez sans doute avec moi ce principe que j'ai déjà indiqué : que les corps n'obtiennent le respect des peuples qu'autant que les individus qui les composent, par leur conduite méritent leur estime; qu'en général ces corps ne sont honorés que lorsque leurs membres sont honorables, et qu'enfin, pour que ces membres soient honorables; il faut que leurs actions le soient aussi. Inutilement, en effet, la calomnie s'acharne sur une vie irréprochable; à la longue, il ne restera aucunes traces de souvenir, comme aussi inutilement vous chercheriez à parer ces coups sur un point, si sur tous les autres vous n'étiez invulnérables.

C'est appuyé sur ces vérités que j'examin si l'état de journaliste est honorable pour u député, parce que s'il ne l'est pas, il serà prouvé dès lors qu'il ne l'est pas davantage pour la Chambre.

Dans les articles de la loi que vous discutez, je vois que les propriétaires ou les gérants responsables d'un journal sont soumis à un cautionnement; qu'ils répondent à la société de ce que contient leur journal, et que, par conséquent, ils seront cités devant les tribunaux et punis pour leur contenu s'il y a lieu; que cette punition sera une amende et même l'emprisonnement en cas de délit. J'approuve ces sages précautions, elles sont commandées par la licence qui menace la société. Mais un député qui court de pareilles chances qui s'expose à un pareil scandale, qui peut être emprisonné aujourd'hui pour avoir violé une loi qu'il a votée hier! c'est ce que vous ne pouvez souffrir sans compromettre votre dignité; et cela seul suffirail pour appuyer ma proposition. Mais je trouve une preuve de plus de la nécessité de l'adopter dans l'objection qu'on me fera que mon hypothèse est impossible, puisqu'un député, pendant une partie de l'année, n'est pas justiciable des tribunaux; car, à l'abri de ce privilège, qui est réel, si un député ou un pair s'établissait propriétaire ou gérant du journal, à quoi servirait la loi que vous faites, à quoi serviraient les garanties que votre sagesse vient d'exiger? vous auriez un journal non seulement sans garant responsable, mais appuyé d'un gérant responsable, mais appuyé d'un gérant inviolable; par conséquent, un journal inviolable lui-même : or, je ne pense pas que vous ayez l'intention d'en créer de pareils.

Mais si un député, me dira-t-on, ne peut être gérant d'un journal, il peut au moins en être un des collaborateurs; pas davantage, Messieurs, s'il vous respecte et se respecte lui-même. En effet : ou le collaborateur d'un journal est payé par les propriétaires du journal, ou il ne l'est pas; ou il signe ses articles, ou its restent sous la responsabilité du gérant. Eh bien! s'il est payé, je vous le demande, Messieurs, concevez-vous un député aux appointements d'un journaliste, un député dont l'indépendance est le plus noble titre, sous la

dépendance d'un chef d'entreprise lucrative, celuí qui ne voudrait pas recevoir de l'Etat une indemnité, acceptant un salaire d'un simple particulier! Cette position répugne évidemment à votre délicatesse. Mais si, ce qu'il est plus honorable de penser, le député n'est pas payé, sa position est tout aussi inconvenante. D'abord, si son article est signé, il devient passible des mêmes peines que le gérant, et j'ai démontré le vice de cette position, ou l'inutilité de la peine contre un député; s'il ne signe pas, il écrit donc sous l'anonyme, ou bien il écrit sous la responsabilité d'un autre qui peut être emprisonné pour un délit dont il sera l'auteur.

Or, est-ce là, Messieurs, le mode d'exprimer sa pensée qui convient à un de vos membres ? Admettons la supposition la plus favorable. Il signe ces actes, et ils sont toujours rédigés dans les principes les plus estimables. Je le veux ; mais d'abord vous conviendrez au moins que son ouvrage sera souvent en très mauvaise compagnie tantôt il se trouvera accolé à un article coupable, reconnu, jugé et puni comme tel; tantôt il le sera à des sarcasmes de mauvais ton, à des allégations de mauvaise foi, à des particularités hasardées, dont il fuirait l'inconvenance et le venin dans un salon. Ensuite ne sera-t-il pas toujours exposé au dénigrement, et je dirai même aux injures dont les journalistes s'accablent réciproquement? Nécessairement en butte aux qualifications du moment, il sera déclaré ministériel, jésuite, villèliste, vendu, ou au moins imbécile, par la moitié des journaux, ou dénoncé comme révolutionnaire, ennemi du roi et de la monarchie par l'autre moitié. Chacun selon sa couleur le présentera souvent comme incapable, mais toujours comme indigne de faire partie de la Chambre et de répondre aux vœux de ses commettants: sans doute, ces rivaux auront tort; mais le député n'en sera pas moins dans une fausse et humiliante position.

Et encore, Messieurs, voyez combien elle peut le devenir davantage si le député fait un article sur la loi qu'on doit discuter ou qui est en délibération. Dira-t-il son avis dans une feuille périodique? fera-t-il de sa gazette une tribune à son usage, où il blâmera, approuvera, réfutera les propositions royales? ce serait pour un député un mode de délibérer peu légal. S'il était juge, s'il était administrateur, risquera-t-il de dire son avis sur le procès pendant, ou sur l'évènement qui est aujourd'hui loin de lui, mais qui peut demain venir à son tribunal ou à sa décision? ce serait une inconvenance coupable, et vos sentiments de délicatesse et d'honneur me sont un sûr garant que vous le sentez comme moi. Hâtons nous seulement de répondre à l'objection qu'on va me faire. Le premier article de la loi, dira-t-on, permet à tous Français, sans autorisation préalable, de publier un journal; pourquoi un député seul serait-il privé de cette faculté légale? Pourquoi, Messieurs: parce que le député à la tribune pour publier ses pensées; parce que c'est là seulement qu'il est à sa place; parce que, enfin, la Chambre ne pourrait voir, sans en être blessée, celui qui aujourd'hui aura discuté noblement les premiers intérêts de la société devant elle, s'abaisser demain à discuter les mêmes sujets devant un public payant et sur un théâtre où ce public a acquis le droit de siffler les acteurs.

C'est bien dans ce cas, Messieurs, que vos commettants pourraient vous dire: Ea vous nommant j'ai donné ma voix à l'homme que je

croyais le plus digne d'être député, et point à un journaliste; j'ai voulu un homme indépendant, et point un homme sous l'influence de l'esprit ou de la vogue d'un journal; j'ai voulu un homme uniquement occupé des affaires publiques, et point un homme dont une partie du temps appartient à un entrepreneur exigeant et avide; j'ai voulu un homme qui sentit l'élévation de sa position et sût s'en contenter; j'ai voulu enfin un législateur qui fût calme au milieu des passions, dévoué au roi tous les jours, fidèle aux lois de l'Etat et à ses devoirs à tous les instants, et rien de plus. Ce raisonnement, Messieurs, présenté avec tout le talent de M. de Conny et du rapporteur de sa proposition, vous a particulièrement décidés à l'adopter; j'espère qu'il aura la même influence sur celle que j'ai l'bonneur de vous présenter.

Vous avez sans doute senti, Messieurs, que tous les motifs qui doivent empêcher un député d'être gérant ou collaborateur d'un journal, sont à plus forte raison applicables à un pair de France. Je me garderai donc de vous ennuyer de répétitions superflues, et ces nobles dignitaires de la couronne sauront apprécier mieux que moi ce que leur haute dignité exige d'eux à cet égard; eux qui ont déjà renoncé si honorablement aux fonctions salariées les plus relevées de la société n'admettront pas parmi eux l'état de journaliste. Je persiste dans mon amendement.

M. Dupin, aîné. Je repousse cet amendement, je le repousse de toutes mes forces comme contraire au droit privé, au droit public, et comme spécialement dirigé contre la presse et contre la juste protection dont elle a besoin. Maintenant que les bases de la loi sont posées, et qu'il ne s'agit plus que des dispositions secondaires, deux genres d'efforts sont tentés dans cette Chambre, soit de la part de ceux qui veulent alléger les conditions imposées par le projet de loi, soit de la part de ceux qui voudront les aggraver pour nous; il nous reste à empêcher que, par les détails, les dispositions principales ne soient empirées. Les uns, plus touchés des inconvénients de la presse que de ses avantages, n'entrevoient que la licence, et cèdent trop volontiers à d'injustes préventions, qui dégénèrent en une véritable antipathie contre la presse. Les autres, par un sentiment contraire, porté peut-être à l'extrême, ferment trop facilement les yeux sur des abus possibles, et ne sont point assez touchés des garanties que la société est en droit d'exiger. D'autres enfin, tenant un juste milieu, s'efforcent d'affranchir la liberté de la presse de toutes les entraves superflues. C'est ce dernier rôle que je tâcherai de remplir. (Profond silence).

Oui, je le déclare, il est désormais de notre devoir de travailler à améliorer la loi, et je ne cesserai d'y travailler, dût le succès ne pas couronner mes efforts; mais j'espère que, dans cette circonstance, ils ne seront pas infructueux contre l'amendement que je combats.

Je dis d'abord que cet amendement est contraire au droit privé, car il affecte la propriété des pairs et des députés, les empêche de disposer de leur fortune comme ils l'entendent, et suivant le droit commun, en devenant, si bon leur semble, co-propriétaires de journaux. Cet amendement est contraire au droit public, en ce qu'il leur interdit toute collaboration dans ces journaux. En effet, tout Français a le droit de publier librement ses opinions, de les exprimer daus un journal aussi bien que de toute autre

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