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mins de fer, qui transportent ces marchandises dans l'interieur du pays; les messagers qui les font arriver jusque dans les moindres villages, n'ajoutent rien, comme façon, aux produits qu'ils voiturent. Ils n'en sont pas moins producteurs ils amènent d'un lieu où il y a surabondance dans d'autres où il y a disette des marchandises qui, sans ce déplacement, resteraient non-valeurs. En effet, la production, dans le sens économique du mot, n'est pas une création de matière; c'est une création d'utilité et tout ce qui ajoute de l'utilité à la matière, soit en la façonnant, soit en la livrant, soit en la déplaçant, est véritablement productif.

Si le voiturier qui fait le transport des produits peut et doit être dit légitimement producteur, le commerçant qui les emmagasine, à ses risques et périls, et les tient à la disposition du consommateur, l'est également. Il est impossible d'abord que chaque particulier aille s'approv.sionner à la source de tout ce qu'il consomme. Dans les cas mêmes où cette impossibilité n'existe pas, il en résulterait pour lui des voyages et pertes de temps d'une importance bien supérieure au bénéfice dont il fait jouir le marchand. S'il est des industries où l'ouvrier peut traiter directement avec le consommateur, et vice versa, comme la menuiserie, l'ébénisterie, la cordonnerie, le charronnage, le nombre en est très-restreint. Et encore faut-il que les marchés dé ce genre portent sur une valeur d'une certaine importance: le cloutier, par exemple, qui serait obligé de quitter sa forge pour aller vendre sur des marchés éloignés quelques kilogrammes de clous, eût-il pour lui le bénéfice du quincailtier, ne trouverait certainement pas au bout de la journée ce qu'il gagne à son enclume quand il ne se dérange pas.

Ainsi, non-seulement le travailleur produit, non-seulement l'industriel qui engage son activité et sa fortune dans une entreprise où il fait travailler d'autres ouvriers produit, mais le capitaliste, qui fournit un fonds de roulement et des instruments à cette entreprise, et rend possible la nouvelle façon donnée à la matière par les travailleurs, contribue à la production; le banquier, en contrôlant la solvabilité des commerçants et des fabricants et en donnant, par sa signa

ture, la circulation à des billets qui sans lui resteraient en portefeuille, produit encore.

Main-d'œuvre, transports, commerce, entreprises, prêts ou commandites, opérations de change et d'escompte, sont autant de formes diverses du même fait économique, la

PRODUCTION.

4° Au-dessus du Travail, du Capital, du Commerce ou de l'Échange et de leurs innombrables variétés, il y a encore la Spéculation.

La Spéculation n'est autre chose que la conception intellectuelle des différents procédés par lesquels le travail, le crédit, le transport, l'échange, peuvent intervenir dans la production. C'est elle qui recherche et découvre pour ainsi dire les gisements de la richesse, qui invente les moyens les plus économiques de se la procurer, qui la multiplie soit par des façons nouvelles, soit par des combinaisons de crédit, de transport, de circulation, d'échange; soit par la création de nouveaux besoins, soit même par la dissémination et le déplacement incessant des fortunes.

Par sa nature, la spéculation est donc essentiellement aléatoire, comme toutes les choses qui, n'ayant d'existence que dans l'entendement, attendent la sanction de l'expérience.

Un capitaliste trouve que ses fonds placés sur hypothèque ne lui rendent pas assez. Il passe, avec un ou plusieurs armateurs, un contrat par lequel il leur prête, sur le corps des bâtiments et sur leurs cargaisons, une somme considérable, en convenant que, si ces objets périssent, le capital prêté sera perdu pour lui; si, au contraire, ils arrivent à bon port, il aura une part de 50 0/0 dans le bénéfice de la vente. C'est ce que le Code de commerce nomme Contrat à la grosse, une vraie spéculation.

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Une réunion de capitalistes se forme en société anonyme, avec approbation et sous la surveillance de l'État, dans le but d'assurer, moyennant une prime de 2 pour 1000, les propriétaires contre les risques d'incendie. Ils ont calculé, d'après la moyenne plus ou moins exacte des sinistres annuels, qu'à ce faible taux, insignifiant pour les assurés, les

fonds de la compagnie, sans cesser de fonctionner dans d'autres entreprises comme capital, pouvaient, comme enjeu d'une opération aléatoire, rendre 50, 100 et 150 0/0 de bénéfice net annuel. Spéculation.

On connaît l'histoire de ce fabricant de chapeaux de paille d'Italie, qui offrit 10,000 fr. à une femme de chambre de l'impératrice Joséphine, si elle parvenait à faire porter par sa maitresse un de ses chapeaux. La mode en effet ne tarda pas à s'en répandre parmi toutes les dames de la capitale, et fit la fortune de l'industriel. - Spéculation.

Un ingénieur se dit que s'il trouvait le moyen de réduire de 4 kilogrammes à 1, par heure et force de cheval, la dépense du combustible dans les machines à vapeur, ce serait comme s'il avait découvert une mine de houille dont la richesse exploitable serait égale à la quantité de charbon qui se fùt consomméc, en plus de 1 kilogramme par heure et force de cheval, dans toutes les machines à vapeur. Il dépense un million en études et essais : réussira-t-il? ne réussira-t-il pas? Si oui, sa fortune peut être décuplée : si non, il perd tout. Spéculation.

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Dans tous ces exemples, la Spéculation est éminemment productive, non-seulement pour le spéculateur, mais pour le public, qui participe aux résultats.

Le contrat à la grosse est productif, puisque, s'il ne se trouvait personne pour courir le risque de mer, il n'y aurait pas de commerce maritime.

L'assurance est productive, puisqu'elle fait disparaître presque en entier les dangers de l'incendie en les distribuant sur un très-grand nombre de propriétés.

Le pot-de-vin payé à une femme de la cour a été productif (nous ne parlons pas en ce moment du côté moral de la spéculation, nous y viendrons tout à l'heure), puisqu'il a causé un surcroît de production dans l'industrie des chapeaux.

L'ingénieur-mécanicien serait producteur s'il parvenait à réaliser sa penséc; il produirait trois fois autant que l'industrie minière, puisqu'il réaliserait une économie de combustible égale, en ce qui concerne les machines, aux trois quarts de la consommation.

La Spéculation est productive encore dans les cas suivants : Un ébéniste fait ouvrir une bille de palissandre ou d'acajou. Il l'a achetée, à ses risques et périls, 300 fr. Si le bois est sain, tant mieux pour lui; s'il est gâté ou de qualité inférieure, tant pis. A mesure que le trait de scie avance, la sciure paraissant être de bon aloi, les chances d'un marché avantageux se changent en probabilités, mais pas encore en certitude. Un second ébéniste offre au premier 100 fr. de bénéfice et devient acquéreur. Le même jeu se répète avec d'autres avant que la bille soit entièrement refendue, en sorte que le dernier acheteur la paye 600 fr. La pièce de bois n'a pas doublé de valeur, sans doute; mais elle a doublé de prix, et ce prix s'est réparti entre les différents propriétaires, depuis le premier vendeur jusqu'au dernier acheteur. Cette répartition est, au même titre que le transport ou l'échange, une production.

Un marchand de vin en gros, au lieu d'écouler sa marchandise au prix courant, la garde en cave jusqu'à ce que la tenue de la vigne fasse augurer favorablement ou défavorablement de la récolte pour l'année suivante. Vient une gelée qui compromet la pousse; la grêle détruit les bourgeons; la coulée emporte le dernier espoir du vigneron: le vin double de prix. Que signifie cela? Que la consommation de l'année qui suit devra être en partie couverte par la récolte de celle qui précède, et qu'à défaut de la prévoyance publique, le spéculateur a pris sur lui d'y pourvoir. C'est donc un service qu'il rend tout en faisant fortune: son épargne devient pour tout le monde production. Posons le cas contraire: la vendange s'annonce sous d'heureux auspices, et la récolte dépasse à la fin toutes les évaluations; le prix des vins diminuc de moitié. Le marchand perd dans la même proportion qu'il comptait gagner. Que s'est-il passé? C'est que le négociant, en ajournant sa vente, a détruit non pas la moitié du vin qui était dans ses caves, mais la moitié de la valeur de ce vin, en le dérobant à la consommation qui le réclamait. Sans doute on peut regretter de voir le bien-être du peuple livré ainsi à l'arbitraire des spéculateurs : c'est une question à traiter à part. Mais autant il est vrai de dire qu'il y a eu

destruction de valeur dans le second cas, autant il est certain qu'il y avait production dans le premier.

Un armateur de Marseille vient de recevoir d'Odessa le connaissement d'une cargaison de blé qui doit lui arriver sous un mois. La disette sévit; les céréales sont en hausse; transport de marchandises, production. Au moment où le navire entre dans le port, le blé a été vendu et revendu cinq ou six fois, toujours avec profit: partage de bénéfices, production. Dans l'intervalle du débarquement, le gouvernement abaisse les droits de douane et de péage sur les blés, dont le prix se réduit de 10 0/0. L'affaire devient mauvaise pour le dernier spéculateur, qui s'est trop aventuré et qui paye pour tous destruction de valeur entre ses mains, par conséquent démonstration de la productivité spéculatrice chez ses confrères.

La plus gigantesque spéculation, financière et mercantile, dont il soit parlé dans l'histoire est peut-être celle de l'Écossais Law. La Compagnie des Indes, fondée par lui en 1717, devait embrasser à la fois les opérations de banque, le commerce de la Chine, de l'Inde, de l'Afrique et de l'Amérique; la ferme de l'impôt, la ferme des tabacs, le remboursement de la dette publique; finalement la substitution du papier, en guise de monnaie, aux écus. Aucune des parties. de cette vaste entreprise n'implique en soi d'impossibilité; rien de plus logique que leur systematisation; et quant à l'idée de remplacer, dans les transactions, les métaux précieux par un titre en papier, revêtu du sceau de l'État et de l'acceptation nationale, on peut affirmer aujourd'hui que si la pratique ne l'a pas encore réalisée, ce n'en est pas moins une vérité démontrée aux yeux de la science. Il est clair que si le projet de Law avait pu être mené à bien, le gouvernement aurait pu rembourser, avec avantage pour eux, les inscriptions de ses créanciers en actions de la compagnie, et qu'ensuite la rentrée du numéraire dans les caisses de FÉtat lui aurait constitué profit net de la totalité des espèces. Le succès ne répondit point à la hardiesse du plan : un agiotage effréné, l'ignorance universelle, le mauvais vouloir des financiers et du parlement, la précipitation du fondateur,

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