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encore le nom. Mais c'est à Bruges, dit-on, que la Bourse fut ainsi nommée pour la première fois. La Bourse de Toulouse remonte à 1549; celle de Rouen à 1566.

Il ne faut pas prendre la date des édits et règlements pour celle de l'institution même. Les lois, en matière commerciale surtout, ne créent rien, elles définissent et réglementent un état de choses déjà existant: voilà tout.

L'établissement légal de la Bourse est de septembre 1724, quatre ans après la chute du système de Law. Elle se tenait alors à l'hôtel de Nevers. Fermée le 27 juillet 1793, elle rouvrit au Louvre le 10 mai 1795. Fermée de nouveau le 13 décembre de la même année, elle fut rétablie, le 12 janvier suivant, dans l'église des Petits-Pères, puis transférée, le 7 octobre 1807, au Palais-Royal, et le 23 mars 1818, sur le terrain des Filles-Saint-Thomas, dans un hangar qui ne pouvait être que provisoire. Les frais de construction du palais actuel de la rue Vivienne ont été couverts en partie par les souscriptions des commerçants et des agents de change; le gouvernement et la ville ont payé le surplus. L'inauguration a eu lieu en 1826, le 6 novembre.

La propriété du monument a été réglée par la loi du 10 juin 1829, ainsi conçue :

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«Article unique. - Le ministre des finances est autorisé à abandonner en toute propriété, au nom de l'État, à la ville de Paris, l'emplacement occupé par le palais de la Bourse et ses abords, ainsi que les constructions élevées aux frais du gouvernement et les terrains acquis par l'État pour cette destination, ou provenant de l'ancien couvent des Filles-Saint-Thomas, et qui se trouvent en dehors des alignements soit du palais, soit de la place. Au moyen de cet abandon, la ville de Paris devra faire terminer à ses frais le palais de la Bourse et ses abords, et demeurera seule chargée de leur entretien. »

Les besoins du commerce, qui avaient fait instituer les foires et les marchés périodiques, ont donné naissance, avons-nous dit, à l'institution des Bourses. Seulement elles ne pouvaient, suivant la nature des choses et le développement des transactions, venir qu'en dernier; il fallait qu'au préalable le change et le crédit eussent pris des proportions

assez considérables pour permettre aux négociants de stipuler et d'échanger sur de simples titres, et de faire une partie notable des affaires avec du papier.

En effet, dans les foires et marchés on vend et on achète des denrées en nature; il y a livraison matérielle des objets. A la Bourse, rien de pareil ni márchandises, ni échantillons. Les conventions s'établissent sur des titres tels que lettres de change, connaissements, actions de chemins de fer, obligations, etc. C'est la sublimation ou quintessence du commerce. Aussi les juifs ont-ils été les créateurs des Bourses chez les nations modernes.

Dans la plupart des cas, les titres sont tout l'objet de la transaction. Cependant il se fait aussi, ou plutôt il se faisait autrefois, des ventes et des achats de marchandises, telles que cotons, savons, suifs, fers, huiles, sucres, cafés, trois-six, etc. Seulement, à la différence des foires, la livraison ne s'effectue jamais au lieu même du marché. On convient du prix à la Bourse, on livre à l'entrepôt ou chez le commissionnaire.

Aujourd'hui, c'est principalement dans les villes d'entrepôt et d'arrivages, comme le Havre, Marseille, Bordeaux, dans les districts manufacturiers et agricoles, comme Lyon, Rouen, le Languedoc, l'Alsace, que le jeu sur les marchandises s'est concentré. Bien que ce genre d'agiotage soit le contre-coup des jeux de Bourse, il n'entre pas dans le cadre de notre sujet d'en décrire les procédés, qui au surplus se résument presque tous en des coalitions de capitalistes détenteurs de matières premières ou acquéreurs de tout le disponible et de toute la production pendant trois mois, six mois, un an et plus.

Nombre d'institutions, sans changer de nom, se transforment et se modifient parfois au point de devenir méconnaissables en moins d'un demi-siècle. La suite de ce traité nous montrera qu'il n'en est point autrement de celle qui nous occupe. C'est à peine si les spéculateurs d'aujourd'hui se doutent qu'il y a des courtiers de marchandises attachés à la Bourse. Les transactions honnêtes ont dû céder la place à l'agiotage parasite. Le jeu, qui était l'exception, est de

venu la règle. Quoi qu'il en soit, la création des Bourses a répondu, dans le principe, à un besoin impérieux du commerce, et elles ont été, comme les comptoirs, les factoreries, les banques, un auxiliaire puissant du crédit et des relations internationales.

Un fait constant, mais qui ne nous étonnera pas, c'est que dès avant 89, comme après, le gouvernement n'a cessé de prendre toutes les précautions imaginables contre ce public agiotant et spéculant, dont il redoute par dessus toute chose la critique, dont il ne cesse par conséquent de solliciter la faveur. La Convention, dans sa logique dictatoriale et avec ses façons sommaires, pensa que si la Bourse était le centre de manoeuvres suspectes, le plus simple était de la fermer. Il en fut ainsi, en effet, jusqu'au 6 floréal an III, où un décret de la même assemblée ordonna de la rouvrir.

Aux termes de l'article 28 de l'arrêt du 24 septembre 1724, les particuliers qui voulaient acheter des effets publics. ou commerçables, devaient remettre, avant l'heure de la Bourse, l'argent ou les effets aux agents de change. Le législateur avait eru prendre par là une garantie contre le jeu. La loi du 13 fructidor an III (30 août 1795) se montra plus explicite encore. Considérant que « les négociations de la Bourse n'étaient plus qu'un jeu de primes, où chacun vendait ce qu'il n'avait pas, achetait ce qu'il ne voulait pas prendre, et où l'on trouvait partout des commerçants et nulle part du commerce, » elle défendit, sous des peines très-sévères (deux ans de détention, exposition publique avec écriteau sur la poitrine portant ce mot: AGIOTeur, et confiscation au profit de l'État, des biens du condamné), de vendre des marchandises ou effets dont on ne serait pas propriétaire au moment de la transaction. - Un autre arrêté du 5 ventôse an IV (21 février 1796), dans le but d'assurer l'exécution de la précédente loi, exigea que tout marché conclu par un agent de change ou un courtier fût proclamé à haute voix, enregistré par le crieur, avec indication du nom et du domicile du vendeur, ainsi que du dépositaire des effets ou espèces, afin que la police pût vérifier l'existence des objets vendus. Le même arrêté n'admettait à la Bourse que

les agents de change ou courtiers de marchandises légalement nommés, et les banquiers et négociants qui, indépendamment de leur patente et de la quittance de leur part dans l'emprunt forcé, justifieraient, par un certificat de leurs municipalités, qu'ils avaient maison de banque ou de commerce en France, et domicile fixe.

Mais la légalité, dans sa lutte contre l'agiotage, a toujours eu le dessous. De guerre lasse, l'autorité, par l'arrêté du 27 prairial an X (16 juin 1802), abrogea l'obligation de désigner le vendeur et l'acheteur, ouvrit la Bourse à tous les citoyens, même aux étrangers, et renonça à exiger qu'on Justifiât de la propriété des objets vendus ou échangés.

Toutes les ordonnances sur la matière, depuis 1724 jusqu'à nos jours, sont d'accord sur ce point qu'il ne peut être fait aucune négociation d'effets commerçables en dehors du local et des heures qui y sont affectés. L'autorité voulait absolument avoir l'œil sur les boursiers l'expérience de cent trente années doit lui avoir appris que si son inspection est parfaitement motivée, elle est tout à fait impuissante.

« Défend Sa Majesté, dit l'arrêt du 24 septembre 1724, de faire aucune assemblée et de tenir aucun bureau pour y traiter de négociations, soit en maisons bourgeoises, hôtels garnis, cafés, limonadiers, cabaretiers, et partout ailleurs, à peine de 6,000 livres d'amende contre les contrevenants... Et seront tenus les proprié taires ou les principaux locataires, aussitôt connaissance de l'usage qui sera fait de leurs maisons en contravention au présent article, d'en faire déclaration au commissaire du quartier, à peine de 6,000 livres d'amende. »>

Les arrêtés de 1781, de 1785 et la loi du 13 fructidor an III sanctionnent par des peines encore plus sévères les prohibitions précédentes. Un décret du 27 prairial an X renouvelle les mêmes dispositions. Il n'est rien de pire pour un gouvernement que de ne savoir ou ne pouvoir se faire obéir. En 1819 et 1823, le préfet de police renouvelle aux agioteurs ses injonctions sévères : il aurait pu continuer sur ce pied en 1824, 1825, etc., sans obtenir plus de résultats. L'agiotage est inséparable de la spéculation sérieuse, comme l'abus de la propriété.

Le gouvernement de Louis-Philippe, en philosophe qui subit ce qu'il ne peut empêcher, ferma les yeux sur les réunions du café Tortoni et du passage de l'Opéra. Mais en 1849, M. Carlier, ayant prétendu que force devait rester à la loi, fit fermer le cercle du boulevard des Italiens. Chassés par la porte, les spéculateurs rentrèrent, comme on dit, par la cave depuis 1853, la police a fourni contre eux deux campagnes, d'abord en les dépistant du passage de l'Opéra, ensuite du Casino où ils s'étaient réfugiés en dernier lieu. Devant les sergents de ville, les contrevenants semblaient s'être résignés. Mais voici qu'ils tiennent leurs réunions ambulantes sur l'asphalte du boulevard, et jamais la spéculation coulissière ne s'est livrée plus tranquillement à ses

manœuvres.

La police de la Bourse appartient, à Paris, au préfet de police; aux commissaires généraux de police dans les places de Lyon, Marseille, Bordeaux; aux maires dans les villes où il n'y a pas de commissaires spéciaux.

« Aucun pouvoir militaire, dit la loi du 28 vendémiaire an IV, n'exercera de fonctions dans l'intérieur de la Bourse, qui ne sera soumise qu'à la surveillance de la police administrative. »

Un commissaire assiste, à Paris, à chaque séance.

« La Bourse est ouverte à tous les citoyens et même aux étrangers.» (Arrêté du 27 prairial an X).. - « Nul commerçant failli ne peut s'y présenter, à moins qu'il n'ait obtenu sa réhabilitation. »> (Code de comm., art. 614.)

L'entrée en est également interdite aux individus condamnés à des peines afflictives et infamantes. L'arrêt de 1724 défendait aux femmes d'entrer à la Bourse, pour quelque cause et prétexte que ce fût. L'arrêté de prairial an X maintint implicitement cette exclusion, en n'y admettant que les personnes jouissant de leurs droits politiques. Aucune loi n'est venue jusqu'ici abroger cette prohibition, et elle continue de rester en vigueur. C'est un paragraphe à ajouter au chapitre de l'émancipation de la femme.

Depuis le 1er janvier 1857, un droit d'entrée a été établi à la Bourse par la municipalité de Paris : ce droit est de 1 fr. par personne, et de 50 centimes par abonnement.

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