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poussiere; il faut que sa main les rassemble; il faut que le ciment dévoré se recompose: l'état n'est bien raffermi qu'après l'achevement de ce grand œuvre. Ces liens sacrés qui unissent le ciel la terre, fixent plus sûrement nos rapports avec nos semblables: ils établissent les principes de la propriété particuliere et de la véritable égalité. Ils forment les sociétés, fortifient leur enfance, hâtent leurs progrès, et protegent leur vieillesse contre la puissance du temps qui entraîne tous les ouvrages des hommes.

Elevera-t-on contre ces grands résultats des objections tant fois refutées? opposera-t-on les abus de la religion à ses bienfaits? de quoi n'abuse-t-on pas sur la terre! L'honneur produit les duels qui désolent les familles; la gloire enfante les guerres qui déchirent les nations; au nom de la liberté, quelquefois les proscriptions se siguent, les échafauds se dressent, et la religion fut souvent deshonorée par les inquisiteurs et le fanatisme.....

Oui, les crimes et les vertus sont étroitement enlacés dans le monde morale: ce grand livre de l'histoire nous offre à chaque page le mal à côté du bien; aussi le but de la législation est-il de séparer, par de fortes barrieres, ces deux principes ennemis qui tendent sans cesse à se confonder.

Ce n'est pas devant l'auguste assemblée qui m'écoute qu'il est nécessaire de développer, par des traits isolés, ce besoin religieux qu'atleslent tous les siecles et tous les peuples: quant au froid matérialiste, qu'il observe le genre humain, qu'il étudie la naissauce et les progrès de la civilisation; qu'il porte son regard sceptique dans les déserts les plus lointains, qu'y voit-il? les tribus errantes dans leurs vastes solitudes, ont toutes des dieux qui marchent devant elles. C'est en présence de la divinité, c'est en son nom qu'elles se forment en corps de nation. Les cités se réunissent autour du temple qui garantit leur durée; ce temple est leur premier monument; les rites sacrées, leur premiere loi; Dieu, leur premier lien.

Et si la religion est essentielle au maintien de l'économie sociale, elle n'est pas moins nécessaire au bonheur des individus. Elle entretient dans les familles l'harmonie qu'elle établit dans les états. C'est elle qui épure nos affections en leur donnant un motif éternel qui nous conduit, comme par la main, dans les scenes variées de la vie; qui nous forme aux vertus individuelles et sociales; qui nous reçoit dès le berceau, et nous console sur le lit de mort

Il est des crimes qui échappent à toutes les lois: la religion seule peut les atteindre.

L'injustice appesantit-elle sur nous son bras de fer? la religion est notre appui. Elle remet l'équitable entre le faible et le puissant, elle peut même élever l'opprimé au-dessus de l'oppresseur ; elle donne à celui-ci des remords secrets, une crainte vague et terrible, qui surpassent les châtimens de la justice humaine: elle soulage la victime par une espérance sainte, infinie, indépendante de tout ce qui l'environne. Le sage, ranimé par cette espérance inappréciable, refuse de rompre ses fers, et l'œil fixé sur le

breuvage de mort, il dit à ses amis en pleurs: " consolezvous; il existe la-haut un Dieu qui punit et qui récompense."

Oui, la force toute-puissante de la religion est prouvée par l'expérience de tous les siecles, et sentie par le cœur de tous les hommes.

Loin de nous ces doctrines désolantes qui livrent la societé au hasard, et le coeur humain à ses passions! malheur à cette fausse métaphysique, à cette métaphysique meurtriere qui flétrit tout ce qu'elle touche! Elle se vante de tout analyser en morale ; elle ne fait que tout dissoudre; elle parvient à dénaturer le sentiment même de l'honneur, et tous les élémens des passions géné. reuses. Ecoutez-la: l'amour de la patrie n'est que de l'ambition! l'héroïsme n'est que du bonheur! misérables sophistes! c'est en vain que vous accumulerez les argumens: l'influence mystérieuse de la religion est incompréhensible pour les cœurs desséchés; sa puissance morale, comme celle du genie, se sent, se conçoit, et l'on n'argumente pas sur son existence.

La nécessité de la religion une fois admise, on ne proscrira pas sans doute son langage nécessaire; le culte est à la religion ce que les signes sont aux pensées. La société religieuse ne peut point différer de la société civile, et il faut que toutes les deux établissent entre leurs membres des rapports extérieurs et donnent à leurs lois des formes sensibles. Il n'est de peuple auquel une religion abstraite puisse convenir, les signes, les cerémonies, le merveilleux sont l'indispensable aliment de l'imagination et du cœur; le législateur religieux ne peut point maîtriser les âmes et les volontés, s'il n'inspire cette respectueuse et profonde adoration qui nait des choses mystérieuses. Ce fait incontestable dépose en faveur des cultes et des lois, fussent-ils tous des erreurs, ces erreurs deviennent sacrées, puisqu'elles sont nécessaires au bonhear des hommes; et l'incrédulité qui calcule avec froideur, qui décompose avec ironie, fút-elle la verité même, elle n'en serait pas moins la plus fatale ennemie des individus, des familles des peuples et des gouvernemens.

Les cultes sont utiles, nécessaires dans un état. Le gouvernement doit donc les organiser: ce serait donc être ennemi du peuple Français que de négliger plus long-temps ce grand moyen d'ordre et d'utilité publique. Ici la politique révolutionnaire se présente dans sou assurance dédaigneuse; si les cultes existent, elle veut que le gouvernement leur soit étranger: l'indifférence pour toutes les religions, dit cette politique, est le meilleur moyeu de les contenir toutes.

Maxime dangereuse, prudence imaginaire! cette théorie proclamée avec tant de faste ne nous a fait que des maux; tous ceux qui l'ont professée pendant nos troubles civils, se sont vus réduits. à s'en écarter, parce qu'elle est fausse et que son application est impossible parmi nous. On commence par ètre indifférent; et l'indifférence produit bientôt l'inquiétude, et pour calmer l'inquiétude on a recours à la persécution,

On dira que la Hollande et l'Amérique suivent ce système pour

les cultes de leurs diverses provinces; mais ces cultes, établis en même temps, avec les mêmes prérogatives, trouvent un remede à leur danger dans leur nombre même, et dans les mœurs des peuples qui les professent.

Parmi nous au contraire, si le christianisme n'existe pas seul, il existe au moins sans contre-poids; l'autorité civile doit lui en servir parmi nous: quarante mille réunions qui se correspondent, reconnaissent une hiérarchie positive. Pouvons-nous dédaigner leur force, ou croire à leur faiblesse, quand tant de consciences sont dirigées par un même esprit ?

Si nous les négligions, nous nous préparerions de nouveaux orages dans les temps à venir; car là où une puissance morale, unique, existe indépendamment de l'état, l'état porte dans son sein le germe des discordes. La moindre secousse qui ebranle les extremités, peut menacer ses fondiemens. Là, le pouvoir du gouvernement n'est point affermi: car, dans un Etat libre, qu'estce que le pouvoir.

Ce n'est pas sans doute la violence de ces minorités, savantes daus l'art de se former de se réunir et de prodiguer les trésors de l'Etat, pour resister pendant quelques mois à l'opinion qui les repousse. Ces minorités ressemblent au puissant dout parle l'écriture: J'ai passé, ils n'étaient plus. Dans un Etat libre, le pouvoir ne peut être formé que par l'opinion nationale, et sur-tout par celle de l'immense population des campagnes : oui, c'est dans les campagnes que la religion exerce sa plus grande influence, et il fallait donc, au moins par politique, s'emparer de ce grand ressort et l'utiliser.

Cette politique a guidé constamment ceux dont l'histoire vante la sagesse rappelons-nous l'histoire des grands hommes, des conquérans qui firent où renouvellerent les empires; ces puissans génies, orgueil de la race humaine, n'ont point négligé la force de la religion. Ils ont su l'employer avec profondeur, et loin de rester indifférens à son action toute puissante, ils se sont identifiés avec elle.-Invoquerons nous le souvenir colossal de cette Rome, qui mêla toujours à ses projets de conquêtes les véritables idées de l'ordre public? Rome donnait le droit de cité dans le capitole à tous les dieux des peuples conquis.-Invoquerons-nous l'autorité de Numa, de Lycurge et de Solon? Mais ne consultons que les propres oracles du siecle, interrogeons Rousseau, et ce Montesquieu le plus sage des publicistes; leur voix annonce que la religion doit être au premier rang des affaires de l'état; écoutons l'orateur de la révolution, écoutons Mirabeau lui-même, à l'époque ou l'anarchie et l'impiété voulaient s'autoriser de son nom. Cette homme prodigieux, à qui le trouble des passions et des intrigues ne pouvait dérober les grandes vérités politiques, laissa échapper ces paroles mémorables: "Avouous à la face de toutes "les nations et de tous les siecles, que Dieu est aussi necessaire "que la liberté au Peuple Français, et plantons le signe auguste "de la croix sur la cime de tous les départemens. Qu'on ne nous impute point le crime d'avoir voulu tarir la derniere res

❝ source de l'ordre public, et éteindre le dernier espoir de la "vertu malheureuse."

Nous avons aussi devant nous l'exemple d'un peuple voisin. L'Angleterre, qui parut toujours si jalouse de sa liberté, n'en est pas moins religieuse: loin d'être indépendant de l'Etat, le clergé Anglican, soutenu par lui, le soutient à son tour. Puisse seulement cette nation imiter notre exemple, et traiter les systèmes religieux avec une égale faveur?

- Mais qui sont-ils donc ceux qui récusent et l'exemple des grands peuples, et l'autorité des grands hommes et le témoignage des grands écrivains? qui sont-ils ? Connus seulement par les maux qu'ils ont faits, fameux par erreurs dont les suites ont boulversé la patrie, leurs démarches ont attire la guerre civile, leur ignorance a prolongé nos troubles, leurs folles théories ont trainé la France sur le bord du précipice; et lorsque cette expérience accablante pese sur eux, au lieu d'invoquer l'oubli, cette puissance protectrice, ils déclament contre un gouvernement auquel ils ont laissé tout à réparer : ces hommes disent aujourd'hui, que nous devons laisser les cultes sans organisation....... Ils disaient hier que les prêtres refractaires exerçaient une influence effrayante pour la République; ils allaient plus loin; ne présumant pas que le silence du gouvernement tenait à des vues plus profondes, la plainte amere s'exhalait de leur bouche: ils demandaient des palliatifs lorsqu'on préparait le grand remede; ils eussent voulu peut-être que l'on préférât la violence à la sagesse, et qu'au lieu d'organiser les cultes, on re-peuplât la Guyane de 20 mille prêtres; ces artisans de nos guerres civiles ne savent-ils pas encore que nous ne voulons plus, que personne ne veut plus ni de leurs sanglans essais, ni de leurs théories politiques?

C'est à des principes meilleurs et long-temps méconnus que le gouvernement a dû revenir : il a dû rétablir les bases essentielles de cette religion que nos ancêtres nous ont léguée. Et en matiere de croyance religieuse, l'autorité des ancêtres est une preuve admise dans tous les lieux et dans tous les âges. On dirait que plus une religion s'enfonce dans l'obscurité des temps, et plus elle semble s'approcher de celui qui doit exister au-delà des temps et qui précéda leur naissance.

Cette religion se mêle à toute l'histoire de cet Empire. Elle est écrite dans tous ses monumens: que dis-je ? Elle est vivante, dans ses ruines même! d'où elle semble élever une voix immortelle. Elle s'est affermie par les secousses, qui auraient dû l'ébranler, et peut-être par les exiles et les souffrances de ses ministres.

Il est vrai que ces persécutions qui semblent la rendre plus chere au peuple, l'ont rendu dangereuse à l'Etat. Quelques évêques proscrits, ont pu, du fond des pays étrangers où ils ont porté un esprit d'aigreur, exercer une influence seditieuse sur des consciences limites qu'ils ont autrefois dirigées..... C'est une raison de plus pour que le législateur dût s'emparer d'un ressort qui n'était pas impuissant.

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D'ailleurs, le christianisme fût-il moins ancien, moins utile, il est la croyance du peuple, et à ce seul titre il vous serait cher sans doute. Vous savez que si la liberté, l'égalité, la proprieté, sont des droits sacrés, l'inviolabilité des consciences est le premier des droits. Vous savez que les nations ne peuvent pas supporter le mépris, et qu'on ne peut pas leur donner une plus grande marque de mépris que d'outrager les premiers objets de leur vénéra

tion.

Mais tut-il en votre pouvoir de créer un culte nouveau et meilleur; est-ce avec des lois qu'on établit des religions? Pouvezvous ordonner l'enthousiasme, et décréter la croyance? Toute puissance humaine vient échouer contre la persuasion du cœur, et même contre les préjugés de l'opinion.

Je suppose un moment qu'une religion nouvelle soit prête à sortir des antres ignorés qui cachent ses mysteres; mais ne savezyous pas comment les sectes naissantes s'établissent? Recueillez les leçons du passé. Voyez dans les Gaules latines le Christiauisme luttant avec effort contre la barbarie; avant qu'il soit parvenu à la perfection, qui est l'essence de sa doctrine, avant que l'équilibre, entre les puissances ecclésiastique et civile ait été déterminé, que d'essais funestes! que de superstitions cruelles ! que d'erreurs expiées par le sang des peuples! quelles longues éclipses de la raison humaine! Voyez dans l'Arabie ensanglantée, le Dieu de Mahomet prouvé par le glaive, et sa doctrine, bouleversant les états de l'Asie, devenue pour ainsi dire aussi mouvante que les sables des déserts ?

Et, sans parler de ces enfantemens laborieux d'une religion nouvelle, ne craindriez vous pas ces retours terribles, et jusqu'au silence menaçant d'une religion persécutée ? J'en atteste ces guerres impies qui ont tant de fois désolé nos ayeux, pour quelques légeres differences dans la maniere d'honorer la divinité!

Ah! récréons un culte acheté par tant de travaux et justifié par taut de bienfaits. Redoutous ces grandes et douloureuses épreuves qui ménacent également les lois et la morale: respectons ces bornes sacrées qu'on ne peut remuer impunément.

S'il est prouvé que le gouvernement devait rétablir le christianisme, quelles devaient être les bases adoptées pour son organisation? Il a dû cousidérer l'état de la République: il a vu que le christianisme embrassait parmi nous la religion romaine et les sectes protestantes.

Cette vérité reconnue lui impose le devoir d'organiser publiquement le culte catholique et les cultes protestans: le projet de loi atteint ce but. Il est composé d'un concordat fait avec le chef de l'église romaine, et d'articles réglémentaires sur les diverses communions protestantes. Ce projet rétablit l'église catholique, apostolique et Romaine; mais en déclarant cette religion publique, il organise celle des autres sectes d'une maniere parallele; parce qu'en fait de conscience la majorité méme n'impose point la loi.

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