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Le projet français, au contraire, repose sur le principe d'intervention: il renferme les expressions de garantie internationale, » prévoit l'établissement d'une Commission internationale et autorise la présence de stationnaires aux embouchures du canal.

De telles dispositions seraient, à son avis, en dehors de la proposition anglaise et seraient même exclues par les sixième et huitième bases de la circulaire du 3 janvier 1883.

La proposition, en effet, est depuis deux ans soumise à l'approbation des Puissances, et il n'a pas connaissance qu'elle ait donné lieu de leur part à aucune réclamation. Sir Julian Pauncefote conclut en demandant qu'au lieu de discuter un projet qui, selon lui, s'écarte sensiblement de la circulaire de Lord Granville, on commence par étudier les propositions britanniques; on verra ensuite si, dans le projet français, il y a lieu de prendre des amendements. Le Délégué britannique fait en tout cas ses réserves au sujet des passages qui, dans le projet français, ne s'accordent pas avec la circulaire de Lord Granville.

M. Barrère croit devoir faire remarquer qu'au sujet d'une question de forme, son honorable Collègue britannique à engagé une discussion sur la question de fond. Il conteste le bien-fondé des observations de Sir Julian Pauncefote, mais il désire connaitre le sentiment de ses Collègues avant de développer son opinion.

M. Hitrovo rappelle que la déclaration du 17 mars donne pour mandat aux Délégués de rédiger un acte destiné à assurer le libre usage du canal de Suez deux propositions étant en présence, il serait prématuré de décider, avant toute discussion, si l'une ou l'autre s'écarte ou non de la circulaire de Lord Granville; la question ne sera, en effet, élucidée que par un examen ultérieur.

Le Délégué russe se déclare en conséquence partisan de l'étude du projet français.

Sir Julian Pauncefote propose alors de prendre pour texte, non plus le projet anglais, mais les divers paragraphes de la circulaire de Lord Granville, en commençant par le numéro 1 et en procédant par voie d'amendements.

M. de Derenthall s'associe à l'opinon émise par son collègue de Russie. Du moment qu'il est établi que les deux projets seront soumis à l'examen de la Commission, la question purement de forme de savoir lequel des deux servira de texte aux délibérations des Délégués lui semble peu importante. Il pense cependant que ce serait un acte de courtoisie internationale, conforme à de nombreux précédents diplomatiques, que de donner la préférence au projet de la France qui a convoqué la Commission et lui offre l'hospitalité.

M. de Haan estime que le projet français ayant été communiqué aux Délégués avant le projet anglais a droit à la priorité.

M. Ressman, en adhérant aux excellentes raisons qui ont été exposées notamment par M. de Derenthall, juge en outre plus utile d'adopter comme texte d'études le programme français, pour cette raison que ce programme est plus étendu que le programme anglais. Après les observations présentées dès le début par Sir Julian Pauncefote, il croit qu'il sera plus facile de s'entendre par élimination plutôt que par adjonction.

Husny-Pacha se prononce, comme la plupart de ses honorables Collègues, pour la procédure proposée par le Président, et entend que, quel

que soit le mode de procédure, les pleins droits incontestables de son Auguste Souverain soient sauvegardés d'une manière absolue.

Sir Julian Pauncefote insiste sur ce fait que le projet anglais est basé absolument sur la circulaire du 3 janvier 1883, et il propose de nouveau de chercher à concilier les deux projets avec le paragraphe 1er de la circulaire.

M. Barrère, répondant alors à Sir Julian Pauncefote, dit que les raisons données par ses Collègues de Russie, d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie, d'Italie et de Turquie, en faveur de sa manière de voir, sont trop concluantes pour qu'il croie devoir insister; il ne peut que s'y associer. Le Délégué de France pense que la Puissance qui a pris l'initiative de la convocation, use de son droit en présentant un projet; il maintient dans les termes les plus formels que la proposition française émane directement de la circulaire britannique; elle la développe et elle la complète dans ce que celle-ci peut avoir d'insuffisant, et cela dans les termes de l'accord intervenu à cet égard entre le Gouvernement de la République et le Gouvernement de Sa Majesté Britannique.

La Sous-Commission peut donc aborder la discussion de ce projet et le prendre pour base de ses travaux sans crainte de déroger à son mandat.

M. de Derenthall rappelle aux Délégués qu'ils ont pour mandat de rédiger un Acte; dans ces conditions est-il pratique de prendre comme texte d'études la circulaire anglaise qui se borne à établir certains principes généraux, alors que la rédaction du futur instrument diplomatique est préparée dans les deux projets? Ces deux projets, en effet, sont des rédactions, tandis que la circulaire du 3 janvier 1883 n'est pas une rédaction. Le Délégué d'Allemagne se résume en rappelant que trois arguments ont été invoqués en faveur du projet français; ce dernier contient tout le projet anglais, et plus que le projet anglais; il a été distribué le premier aux Délégués, enfin il est proposé par le Délégué de la Puissance qui a convoqué la réunion actuelle et qui offre l'hospitalité aux Membres de la Commission. Ces arguments méritent, à ses yeux, d'être pris en considération. M. de Derenthall se demande même si le projet britannique peut être considéré comme une rédaction complète d'Acte conventionnel. L'absence de tout préambule lui donne plutôt l'apparence d'une rédaction partielle.

Le Président donne alors lecture des deux premiers paragraphes de l'art. 3 de la déclaration du 17 mars. Il conclut des textes qu'il cite que la circulaire britannique ne doit servir que de point de départ de la discussion et que c'est à la Commission d'apprécier dans quelle mesure le projet français et le projet anglais sont compatibles avec ce document.

Le Baron de Haan constate que la base des délibérations de la Commission est en somme la circulaire de Lord Granville et que les deux projets en sont des développements.

Sir Julian Pauncefote se déclare satisfait, du moment où il est admis que la circulaire de Lord Granville, comme l'a bien dit M. de Haan, contient la base du travail de la Sous-Commission et que les deux projets de rédaction ne sont que des textes présentés dans le seul but de faciliter la

rédaction.

M. Barrère demande aux Délégués, avant de mettre en délibération le préambule du projet français, s'il ne conviendrait pas de procéder à une deuxième lecture du projet qui résultera des travaux de la Sous-Commis

sion. Cette procédure lui paraît, en effet, nécessaire pour introduire l'harmonie dans les dispositions qui auront été arrêtées.

Cette proposition est adoptée.

Le Président donne alors lecture du préambule du projet français :
Le Président de la République française....

Et...... voulant confirmer par un Acte conventionnel le régime sous lequel la navigation par le canal de Suez a été placée dès l'origine par les concessions de S. A. le Khédive et les firmans de S. M. I. le Sultan, etc....... ....ont nommé pour leurs

Plénipotentiaires, savoir:

Husny-Pacha estime que, si au lieu des mots par les concessions de S. A. le Khedive et les firmans de Sa Majesté Impériale, le Préambule contenait les mots : les concessions accordées par le firman de Sa Majesté Impériale rendu sur la proposition de S. Ale Khedive, on se trouverait plus dans la réalité.

Le Baron de Haan fait observer que la tâche de la Sous-Commission n'étant pas seulement de confirmer le régime actuel du canal, il serait nécessaire d'ajouter après le mot confirmer un des mots étendre ou perfectionner.

Sir Julian Pauncefote pense qu'il serait préférable de ne pas faire mention des concessions du Khedive et des firmans du sultan, ces actes ne visant que les navires de commerce. Aujourd'hui qu'il s'agit de régler la question du passage des vaisseaux de guerre, il propose de remplacer les mots le régime sous lequel la navigation du préambule français, par ces mot: le régime définitif destiné du premier paragraphe de l'article 3 de la Déclaration.

M. Barrère, par respect pour S. M. I. le Sultan et par égard pour la vérité historique, croit nécessaire de mentionner, à la fin du préambule, les concessions de S. A. le Kkédive et les firmans délivrés par S. M. I. le Sultan. Il reconnait d'ailleurs le bien-fondé des observations de Sir Julian Pauncefote.

Le Baron de Haan et Sir Julian Pauncefote ne se croient pas autorisés à consacrer les concessions, les firmans et tout ce qu'ils peuvent contenir; l'adoption intégrale du préambule leur paraît entraîner une reconnaissance indirecte de ces divers actes.

Après une courte discussion, à laquelle prennent part MM. Ressman, Hitrovo et Barrère, le Président donne lecture du préambule amendé comme il suit :

Les Puissances..

ayant résolu de consacrer par un acte conventionnel l'établissement d'un régime définitif destiné à garantir en tout temps et à toutes les Puissances le libre usage du canal du Suez, et voulant ainsi compléter le régime sous lequel la navigation par ce canal a été placée dès l'origine par le firman de S. M. I. le Sultan sanctionnant les concessions de Son Altesse le Khédive, ont nommé pour leurs Plénipotentiaires, savoir:

«Lesquels, s'étant communiqué leurs pleins pouvoirs respectifs trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Le préambule est adopté sous cette forme.

Le Président donne lecture de l'article 1er du projet français.

Il estime qu'une partie de l'article 1er du projet anglais, relatif à l'interdiction du droit de blocus, complèterait cet article d'une manière heureuse; ce paragraphe pourrait donc être utilement introduit dans l'art. 1er du projet français; il propose en conséquence de fusionner dans ce sens les deux articles.

On pourrait, par exemple, à la suite du paragraphe 1er de l'article 1or français, inscrire le paragraphe 2 de l'article 1er britannique.

Sir Julian Pauncefote désire voir poser clairement et nettement, dans le 1er article, le grand principe de la liberté du canal.

Le Président fait observer que ce principe est proclamé explicitement dans le préambule, lequel fait partie intégrante du traité; il lui semble qu'il y aurait donc pleonasme à le mentionner de nouveau dans l'art. 1or; sous la réserve de cette observation, inspirée uniquement par le désir de voir adopter une rédaction correcte, M. Barrère ne voit, pas plus que ses collègues d'Angleterre, de Russie et d'Italie, d'inconvénient à consacrer de nouveau le principe de la liberté de passage.

M. Hitrovo propose de retrancher les mots: moyennant le paiement des droits. Cette proposition ne soulève aucune objection.

A la suite de ces observations, le président donne lecture de la rédaction suivante :

Article premier. Le canal maritime de Suez sera libre et ouvert à toujours, en temps de paix comme en temps de guerre, comme passage neutre, à tout navire, soit de commerce ou de guerre, traversant d'une mer à l'autre, sans aucune distinction de pavillon.

«En conséquence, les Hautes Parties contractantes s'engagent à ne porter aucune atteinte à la liberté de passage par le canal de Suez en temps de guerre comme en temps de paix, et à faire ce qui dépendra d'elles pour en assurer le respect. »>

Le Délégué ottoman propose de supprimer le mot neutre et de le remplacer par le mot libre.

Sir Julian Pauncefote fait des réserves formelles au sujet des mots : et à faire ce qui dépendra d'elles pour en assurer le respect. Ces expressions lui semblent impliquer une garantie qu'il ne saurait admettre, surtout ayant égard au mot garantie contenu dans l'alinéa suivant.

Le Président estime que les Puissances seront indubitablement appelées à surveiller l'exécution du traité. Il est donc obligé de maintenir l'expression qui éveille les susceptibilités de Sir Julian Pauncefote, et il fait observer que cette expression est tirée des Conventions internationales analogues, entre autres du traité conclu entre la France et le Nicaragua en 1859 (art. 29).

Sir Julian Pauncefote, se référant à la circulaire de Lord Granville et faisant abstraction des navires de commerce, rappelle que, d'après le paragraphe 6, l'Egypte, comme Puissance territoriale, sera chargée de surveiller l'application de la Convention en ce qui concerne les navires de

guerre.

M. Barrère fait toutes ses réserves sur la portée de cette observation.

M. Hitrovo pense qu'en adoptant des expressions aussi générales que celles dont il est question, les Puissances ne se lient par aucun engagement formel et que, par conséquent, il n'y aurait pas d'inconvénient à s'y

rallier.

Sir Julian Pauncefote propose d'arrêter l'article 1er à ces mots : en temps de paix, et de consacrer cet article à la proclamation du principe du libre usage de la navigation. Ses instructions ne lui permettent d'ailleurs pas d'accéder au principe de la garantie.

M. Barrère fait observer à son Collègue d'Angleterre que le membre de phrase dont il demande la suppression implique simplement une solidarité dont l'étendue est d'ailleurs indiquée dans les articles ultérieurs du projet du Gouvernement français.

Sir Julian Pauncefote pense qu'il serait préférable de ne pas encore aborder, à propos de l'article 1er, la discussion des moyens de protéger le canal; il estime que si l'on veut bien s'en tenir à ce qui est fait, ce sera déjà un grand point acquis; il serait heureux de voir compléter l'article 1er sans faire allusion aux moyens de faire respecter le libre passage.

M. Barrère, pour répondre aux observations de Sir Julian Pauncefote, propose de réserver la clause en question jusqu'à la discussion des articles concernant la surveillance.

La question du canal d'eau douce est également réservée.

Le deuxième paragraphe anglais, dont M. Barrère a proposé l'insertion dans l'article 1er du projet français, est adopté dans la forme suivante : Le canal ne sera jamais assujetti au droit de blocus.

Au sujet de l'expression neutre contenue dans cet article, M. Barrère entend que cette expression signifie qu'aucun acte d'hostilité ne pourra se produire dans le canal.

Cette opinion est partagée par MM. les Délégués.

Sur la proposition de M. Hitrovo, MM. les Délégués suppriment, d'un commun accord, la seconde partie du deuxième alinéa de la rédaction anglaise depuis les mots et sa traversée, cette seconde partie impliquant une répétition.

Le Baron de Haan propose d'ajouter après le mot blocus les mots ni de visite, l'exercice de ce droit n'étant pas permis dans le territoire maritime

d'un neutre.

Sir Julian Pauncefote dit que le droit de visite ne peut s'exercer que dans la haute mer, mais qu'il n'a pas d'objection à accepter la proposition dans la forme ni d'aucun autre droit de guerre.

Cette manière de voir ne soulève pas d'objection.

En conséquence, l'article 1er est rédigé comme suit :

-

« Article premier. Le canal maritime de Suez sera libre et ouvert à toujours, en temps de guerre comme en temps de paix, comme passage neutre, à tout navire, soit de commerce ou de guerre, traversant d'une mer à l'autre, sans aucune distinction de pavillon.

« En conséquence, les Hautes Parties contractantes s'engagent à ne porter aucune atteinte à la liberté du passage par le canal, en temps de guerre comme en temps de paix, et à faire ce qui dépendra d'elles pour en assurer le respect. (Réservé.)

Le canal ne sera jamais assujetti à l'exercice du droit belligérant de blocus, ni d'aucun autre droit de guerre. »>

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