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M. Crocq se demande à qui incombe la responsabilité de la frappe excessive dont l'argent a été l'objet en 1872 et 1873.

Nous avons payé très cher un nouvel hôtel des monnaies dont nous aurions très bien pu nous passer. Si nous ne l'avions pas eu, nous n'y aurions pas frappé tout cet argent.

M. Crabbe. On n'a pas frappé une seule pièce de cinq francs dans le nouvel hôtel des monnaies.

M. Crocq.

Il n'en est que plus inutile.

Je demande si la responsabilité de la frappe incombe au gouvernement ou à des spéculateurs.

M. Beernaert, ministre des finances, résume le débat qui a eu lieu à la Chambre. Il compte sur le vote, non de M. Graux, mais de plusieurs membres de la gauche.

M. Graux.

Pourquoi escomptez-vous mon vote?

M. Beernaert. - Parce que je connais votre manière de voir.

L'honorable ministre affirme la sincérité absolue du gouvernement dans cette affaire. Le principal négociateur, M. Pirmez, qui n'appartient pas à la droite, ne se fût pas prêté à la moindre dissimulation. M. Frère a prêté au début des négociations son concours au gouvernement. Rien ne lui a été caché. Il a été initié à tout, et l'a déclaré devant la Chambre. Il se peut que des membres de la gauche votent contre la convention, mais si le rejet devait dépendre d'une voix, il n'en est pas un qui osat en prendre la responsabilité.

L'orateur reprend divers points traités à la Chambre par M. Pirmez, expose les diverses phases des négociations, et s'attache à rassurer l'assemblée sur la perte à subir; perte théorique en ce qui concerne l'Union latine; perte réelle seulement le jour où l'Union latine passerait à l'étalon d'or, mais alors la perte serait gigantesque, et cela est plutôt rassurant. On reculera. Cela ne profitera qu'à la Suisse, ce pays ayant eu la bonne fortune de ne point frapper de monnaie, ou très peu.

-

M. Crocq. Pourquoi en avons-nous frappé ?
M. Beernaert. Un peu de patience.

L'honorable ministre regrette qu'une clause de liquidation n'ait pas été prévue le jour de la conclusion du premier contrat. Il eût fallu alors répartir proportionnellement la perte éventuelle. Au moment de la nouvelle convention, il s'agissait de lege ferenda, et il nous fallait rompre ou subir des conditions nouvelles. Il ne s'agit plus que de savoir s'il valait mieux rompre que de transiger. Sur ce point le ministre estime qu'il n'y a pas à hésiter.

Il ne croit pas devoir faire connaître longtemps d'avance toutes les mesures qu'il se propose de prendre. Il rappelle seulement le fonds de prévision qu'il a promis de constituer.

Répondant à M. Crocq, il fait remarquer que la frappe libre était la base de l'Union latine. D'abord la spéculation a été mince. Lorsqu'elle a commencé à s'accentuer, il y avait des mesures à prendre, et elles ont été prises, et tout d'abord en Belgique. En 1873, année si prospère, la frappe a été considérable, mais il faut tenir compte de l'ensemble de la situation, et notamment de l'indemnité de guerre que la France avait à payer à l'Allemagne, problème très grave, opération à laquelle la Belgique a été amenée à prendre part. La Banque suppliait le gouvernement de faire frapper plus d'argent, pour reconstituer son encaisse. Du reste il n'y a pas de spéculation là où il y a usage d'un droit, et le ministre renvoie M. Crocq au discours de M. Frère.

M. Montefiore-Levi présente quelques courtes observations. Il reconnaît que si son vote devait faire tomber la loi, il ne l'émettrait pas. Mais il ne comprend pas l'appel de M. Van Put à un vote unanime.

Le gouvernement n'invoque que des considérations de nécessité. Dès lors, au point de vue de la dignité du pays, il vaut mieux que le vote ne soit pas unanime. On dit qu'il y a une transaction. En réalité, il y en a deux; la première,

l'offre du mois d'août, que l'orateur approuve; la seconde, celle de décembre, une transaction sur une transaction, et l'orateur ne l'admet pas.

L'honorable membre se rallie aux observations de M. Graux.

M. Graux rend hommage à la compétence et au dévouement de M. Pirmez, qui déjà avait négocié la convention de 1878. Il constate qu'au lieu de couvrir son négociateur, le ministre a une tendance à s'en couvrir.

Après avoir protesté de l'indépendance absolue de son opinion sur la matière, il relève trois observations.

A M. Van Put, il répond qu'il n'eût pas hésité à repousser le clause de liquidation, la rupture ne devant entrainer que des inconvénients momentanés.

Il soutient qu'à l'origine du contrat la clause de liquidation eût été contraire à l'essence même de l'Union latine.

M. Beernaert. Pendant la durée de la convention.

M. Graux. Même au moment de son expiration, car l'Union latine était fondée sur la base du bi-métallisme qui donne à deux métaux le caractère de monnaie pleine ayant une valeur convenue.

La liquidation billonne un de ces métaux et nous fait passer à l'étalon d'or. Vous avez subi une loi contradictoire, injuste et absurde, parce qu'elle est contraire au principe même de la convention.

Quant à la perturbation résultant de la rupture, si l'on s'en effraye aujourd'hui, on n'y croyait pas pendant qu'on négociait, car on offrait au mois d'août la liquidation naturelle en cinq ans, c'est-à-dire la perturbation ajournée. M. Beernaert. Avec l'accord des co-contractants. La rupture ce serait leur hostilité.

M. Graux.

La situation actuelle est pire. Cette perturbation est un épouvantail plutôt qu'un motif d'épouvante.

L'orateur regrette l'insuffisance de la réponse de M. Beernaert quant à ses intentions.

Il m'arrive quelquefois de ne pas vous suivre quand vous nous dites où vous allez; mais il m'est impossible de vous suivre dans l'inconnu.

M. Van Put persiste à ne pas croire que M. Graux eût été assez téméraire pour risquer la rupture.

La discussion générale est close.

Les articles du projet de loi, ratifiant la convention, sont successivement adoptés.

L'ensemble est adopté par 46 voix contre 9.

CANADA

D'après une information de la Gazette de l'Allemagne du Nord, le gouvernement du Canada vient de prendre, à l'instar de celui des Etats-Unis, des mesures contre les Chinois. Un arrêté interdit aux Chinois qui ne peuvent pas prouver par des passeports en règle qu'ils sont fonctionnaires, négociants, touristes où étudiants, l'entrée du Dominion, à moins d'une taxe de 50 dollars d'entrée par tête.

De plus, aucun navire ne peut introduire dans les ports du Canada plus d'un Chinois par 50 tonnes de son mesurage, sous peine d'une amende de 50 dollars. Le fait de débarquer des Chinois avant le paiement de la taxe d'entrée atțirerait aux commandants de bâtiments des punitions qui peuvent aller jusqu'à la confiscation de leur vaisseau.

LE CONGO

Le Congo fait partie de l'Union postale depuis le 1er janvier 1886.

On annonce l'émission prochaine des timbres-poste pour le Congo. Ces timbres auront quelque ressemblance avec les timbres-poste belges. Ils auront la même forme et la même grandeur et porteront l'effigie du roi Léopold avec ces mots Etat indépendant du Congo et la valeur indiquée en centimes. L'émission aura lieu immédiatement après l'approbation des premières épreuves par l'administration.

Le Mouvement géographique annonce que le chemin de fer du Congo a été concédé à une compagnie anglaise constituée à Manchester, laquelle va faire une première émission de 25 millions de francs.

Le chemin de fer dont il s'agit doit relier le bas Congo à Stanley-Pool, en franchissant la région des cataractes, celle qui est connue sous le nom d'Escaliers-de-Stanley. Les études de cette voie ferrée ont été entreprises par l'Association internationale du Congo, qui a fait un devis d'exploitation d'après les prévisions de trafic établies par Stanley.

Le Times annonce que la Société pourra élever son capital à 2 millions de livres sterling, qu'elle sera placée sous le patronage du gouvernement du Congo et deviendra cheinin de fer de l'Etat, avec l'autorisation royale.

D'après le même journal, la souscription sera ouverte dans chacune des capitales des quatorze puissances qui ont pris part à la conférence de Berlin. Le siège de l'administration sera à Londres.

ETATS-UNIS

Le Président a adressé au Congrès son message annuel à la date du 8 décembre. (Nous publierons prochainement toute la partie de ce message qui touche aux relations internationales).

FRANCE

Affaires du Tonkin

Le Gouvernement a déposé le 22 novembre à la Chambre des députés un projet de loi destiné à faire reporter de l'exercice 1885 sur l'exercice 1886 un crédit de 79 millions pour le service du Tonkin et de Madagascar.

L'exposé des motifs débute par un état très complet des dépenses qu'ont entraînées, pour l'exercice 1885, les opérations engagées dans l'Extrême Orient. Le total des crédits ouverts se montait à 243,422,000 fr.; il reste aujourd'hui un excédent disponible de 113,470,641 fr. Aux termes du projet de loi déposé sur le bureau de la Chambre, le gouvernement serait autorisé à prélever 79,036,488 francs sur ces ressources pour les employer au Tonkin et à Madagascar.

Bien que l'exercice 1885 ne soit pas encore clos, les calculs de prévision détaillée qui ont été établis au mois de juillet dernier et les renseignements que possède le ministère de la guerre sur les dépenses faites jusqu'à ce jour, au titre du Tonkin, permettent d'évaluer à 45 millions de francs le chiffre de la dépense que l'entretien du corps expéditionnaire fera peser en 1885 sur le budget de la guerre.

Une commission de trente-trois membres a été nommée pour examiner cette demande de crédits. Elle a choisi pour rapporteur, en ce qui concerne le

Tonkin, M. Camille Pelletan. Voici l'analyse sommaire de ce rapport qui est très étendu :

M. Pelletan indique d'abord la gravité du mandat donné à la commission et justifie la longueur des travaux de celle-ci par la nécessité où elle s'est trouvée de procéder à une enquête approfondie et d'examiner de nombreux documents officiels émanés des divers ministres.

Le rapporteur examine ensuite les conséquences possibles de l'occupation totale du Tonkin guerre avec la Chine, troubles en Annam, soulèvements continuels au Tonkin.

Il fait un historique rapide de la guerre avec la Chine. Cette guerre a montré que la Chine était loin d'être la nation impuissante que l'on croyait. D'autre part, malgré la paix, le Tonkin est loin d'être un pays conquis. Depuis la paix, on a dû augmenter les effectifs de nos troupes.

Le rapporteur recherche ensuite ce que le Tonkin peut offrir d'avantages au point de vue de notre commerce. Il soutient que la France couvrirait de son pavillon et de sa protection le commerce des autres nations européennes dans l'extrême Orient, sans profit pour nos nationaux. Il discute d'autre part les charges de l'occupation et conteste les chiffres avancés par MM. Ballue et CasimirPerier, qu'il trouve au-dessous de la réalité.

M. Pelletan passe, après cela, à l'examen des conséquences du projet de crédit déposé par le gouvernement. Ce projet est le couronnement de la politique d'expéditions lointaines. Tous les cabinets se sont rejeté et se rejettent mutuellement la responsabilité de l'affaire du Tonkin. Cette affaire a enchaîné la liberté d'action du pays; il faut y mettre un terme. L'honneur du drapeau, selon M. Pelletan, n'est pas en cause : il est dégagé depuis la signature de la paix. A l'appui de sa thèse, le rapporteur cite l'exemple de l'Angleterre en Afrique australe et dans l'Afghanistan.

Le rapporteur, passant à un autre ordre d'idées, examine si la conquête du Tonkin est désirable, s'il faut la faire et il conclut négativement. D'abord parce que le pays, selon lui, s'est prononcé contre, ensuite parce que c'est un péril budgétaire considérable.

Il faut remettre le budget en équilibre : c'est une nécessité d'une urgence absolue; que deviendrait autrement le crédit de la France? On ajoute au budget de 1886 une charge de 79 millions.

L'impôt du Tonkin, la politique des impôts nouveaux serait la plus déplorable des politiques.

Enfin la France livrerait son action extérieure à tous les hasards d'une possession lointaine sans lendemain.

Est-ce à dire qu'il faille rappeler immédiatement nos troupes? Non, une liquidation comme celle-là ne se fait pas sur un coup de télégraphe. Il faut étudier et prendre toutes les garanties et toutes les précautions nécessaires. Ce sera au gouvernement d'indiquer ces garanties et ces précautions. La commission n'a pas qualité pour les rechercher; ce serait même outrepasser ses pouvoirs que de le faire.

Le rapporteur conclut en disant que la majorité de la commission considère comme funestes l'annexion, le protectorat et tout ce qui pourrait mener à l'une ou à l'autre de ces solutions. Elle propose simplement le vote d'un crédit de provision pour l'entretien des troupes.

Déclaration de la minorité

MM. Ballue, Casimir-Périer, Albert Ferry, de La Porte, Thomson et Richard Waddington ont demandé et obtenu l'insertion dans le rapport d'une note qui peut se résumer ainsi :

La minorité ne recherche pas les avantages ou les périls d'une expansion coloniale de la France. Elle ne veut pas discuter les faits accomplis et les responsabilités encourues. La France est au Tonkin. Doit-elle y poursuivre l'œuvre

commencée ? Ses intérêts comme son honneur lui commandent d'exécuter le traité signé. Evidemment, de gros sacrifices ont été faits, des sacrifices devront encore être faits, mais une nation n'est grande que si elle poursuit avec ténacité les desseins qu'elle a conçus et achève ses entreprises La minorité condamne donc soit l'évacuation soit l'abandon dissimulé sous une forme quelconque et adhère à la déclaration du gouvernement. L'évacuation serait le signal de désordres en Cochinchine et de massacres en Annam. Il faut remarquer que la Chine, depuis la signature de la paix, ne nous a causé aucun embarras. Les forces continentales, qui s'élèvent à plus d'un million d'hommes, ne sauraient être affaiblies par l'envoi de six mille hommes en Cochinchine. Des engagements pourraient suffire au recrutement de ces troupes.

On peut prévoir que le Tonkin pacifié amènera un mouvement commercial de 300 millions de francs. Le fleuve Rouge est la voie la plus courte entre la mer et la province de Yunnam. L'Angleterre et la Chine s'efforcent de s'ouvrir une voie. La France doit en faire autant. On ne doit pas renoncer à une entreprise au moment où elle va porter ses fruits. L'occupation, telle que le gouvernement l'a déterminée, ne coûtera que 40 millions par an, et les impôts pourront couvrir cette somme très aisément. Il ne s'agit pas d'ailleurs de conquêtes nouvelles, mais on doit repousser une solution indigne de la France et de la République,

La Chambre des députés a consacré à la discussion de la demande des crédits les séances des 21, 22, 23 et 24 décembre. Nous n'en donnerons que quelques extraits: une question aussi rebattue ayant nécessairement donné lieu à de nombreuses redites.

La discussion a été ouverte le 21 par Mgr Freppel, qui depuis longtemps s'est. séparé sur cette question de ses collègues de la droite; il s'élève avec énergie contre toute idée d'évacuer le Tonkin.

M. l'évêque d'Angers a terminé ainsi son discours;

Ainsi nous sommes en présence de deux conceptions contraires. D'un côté, sans méconnaître le moins du monde que la France est avant tout une puissance continentale, nous estimons que la France se doit à elle-même, qu'elle doit à sa situation de puissance maritime de premier ordre, de développer sa politique coloniale suivant ce principe ou plutôt cet axiome que la marchandise suit le pavillon.

D'un autre côté, c'est à qui repoussera le plus vivement ce qu'on appelle la politique coloniale sous ce prétexte assurément spécieux, mais non justifié dans l'espèce, de la défense nationale.

On conseille à la France de s'emmurer chez elle; on veut se confiner dans cet étroite Europe où Français, Anglais, Allemands, nous sommes entassés les uns sur les autres.

Vous ne voyez donc pas que le mouvement de l'humanité ne peut pas rester concentré, resserré dans ce coin de terre ?

Que sera l'Amérique du Nord, que sera la Chine dans einquante ans? N'est-il pas de votre intérêt de marquer dès à présent votre place sur cet échiquier de l'histoire, de planter des jalons sur la future carte du globe?

Sans vouloir faire de croisade, n'avez-vous pas, vous, les ainés dans la civilisation, des devoirs à remplir? La France, l'apôtre du droit, de la justice et de la eivilisation, n'est-elle pas tenue d'initier à ces grandes choses les peuples, non de race inférieure, car il n'y en a pas, mais de culture inférieure.

Et quand l'occasion se présente à nous de leur faire faire quelques pas dans cette voie sous l'action de notre protectorat, pouvez-vous vous refuser à cette mission que Dieu et les hommes ont assignée à la France? Pouvez-vous vous isoler de ces grands mouvements de l'histoire?

Je ne sais pas, étant données l'injustice et la passion des hommes, ce qu'il adviendra de notre mémoire, mais je m'applaudírai toujours et j'espère qu'on

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