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CHAPITRE TROISIÈME.

LES PROJETS DE RÉFORME.

Nous avons exposé la législation qui régit actuellement en France et en Belgique les associations sans but lucratif.

Notre tâche serait incomplète si nous ne passions rapidement en revue les principaux projets de réforme, qui ont été présentés pendant ces dernières années.

En Suisse la discussion théorique, après s'être longtemps prolongée, vient d'aboutir à un résultat pratique considérable. Le code de 1881 a tranché définitivement toutes les controverses par une solution fort libérale.

Cet exemple ne peut être passé sous silence.

C'est pourquoi nous croyons nécessaire, avant de parler des projets helges et français, de signaler les principales dispositions du code suisse,

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La Constitution fédérale de 1848 renfermait un article 46 qui offrait beaucoup d'analogie avec l'article 20 de la Constitution belge. Il assurait à tous les citoyens « le droit de former des associations pourvu qu'il n'y eût dans leur but ou dans leurs moyens rien d'illicite ou de dangereux pour l'État. » C'était la consécration la plus libérale possible du droit d'association. Mais une exception venait malheureusement ternir l'éclat de cette généreuse disposition: « L'ordre des jésuites et les sociétés qui leur sont affiliées, portait l'article 58, ne peuvent être reçus dans aucune partie de la Suisse. »

Au point de vue du droit public, la conséquence à déduire de ces deux règles était claire et ne pouvait donner lieu à aucune discussion. Toutes les sociétés, quelles qu'elles fussent, étaient pleinement libres de se développer et d'agir, à l'exception de la seule Compagnie de Jésus et des congrégations affiliées.

Mais, au point de vue du droit privé, la Constitution laissait les jurisconsultes dans le doute et l'indécision. Quel devait être le caractère des associations admises par le droit public? Ces associations n'étaient-elles que de simples groupements d'individus, c'est-à-dire, de simples sociétés, ou constituaient-elles de véritables êtres moraux avec tous les avantages attachés à la personnification civile?

Cette grosse question, demeurée pendante après le vote de la loi fédérale, fut résolue diversement par la législation particulière de chaque canton.

Le code le plus estimé de la Suisse, le code civil du canton des Grisons, rédigé en 1862 par M. Planta, tranchait la difficulté d'une manière très généreuse. Il accordait la personnalité civile à toutes les associations et ne soumettait l'octroi de ce bénéfice à l'autorisation gouvernementale que dans quelques cas tout à fait particuliers. « Sont des personnes morales, disait ce code, tous les sujets de droit qui ne sont pas des personnes physiques. Il y en a trois espèces principales: les corporations, les associations et les fondations..... Toutes les personnes morales jouissent, en tant que leur but l'exige ou le permet, de la même capacité juridique que les personnes physiques. Sauf certaines lois spéciales, elles n'ont pas besoin pour se constituer de l'autorisation du gouvernement; mais le gouvernement a le droit de se faire présenter leurs statuts ou chartes d'institution, et, s'il y a lieu, d'en exiger ou d'en faire la publication. Les corporations, associations ou fondations ayant un but contraire aux lois et aux bonnes mœurs, ne jouissent d'aucune capacitéjuridique. »

Citons aussi, ne fut-ce que pour faire réfléchir nos partisans actuels de la confiscation au profit de l'État, citons les dernières dispositions du même code. « Si une personne morale est dissoute ou s'éteint, ses biens sont dévolus, lorsqu'elle avait un caractère public, à la commune ou à l'église dans l'intérêt de laquelle elle aurait été constituée, sinon à l'État; de telle sorte pourtant qu'ils reçoivent une destination aussi analogue que possible à celle qu'ils avaient dans le principe. Lorsqu'elle n'avait pas un caractère public, son patrimoine est dévolu à ses divers membres ou aux derniers usufruitiers de la fondation. Mais dans les deux cas, il sert avant tout au payement des dettes (1).

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(1) E. LEHR, Éléments de droit civil germanique, Paris, 1875, p. 23,

n° 23.

L'exemple de la liberté en impose parfois, et c'est ce qui arriva en Suisse. Le projet sur la matière des obligations qui fut préparé par M. Münzinger, corrigé et amélioré par une commission de vingt-et-un jurisconsultes dans laquelle nous voyons figurer feu M. Bluntschli, le savant professeur d'Heidelberg, et M. Rivier, le romaniste de l'université de Bruxelles, est devenu depuis les 10 et 14 juin 1881 le code fédéral des obligations. Or, ce nouveau code adopte les principes du code de M. Planta.

Il définit d'abord la société de la manière la plus exacte. « La société, déclare l'art. 524, est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes se réunissent pour atteindre un but commun avec des forces ou moyens communs. » Les termes sont généraux, comme ils doivent l'être, et ils embrassent toutes les espèces d'associations sans la moindre équivoque possible.

La suite du code distingue 3 espèces de sociétés : la société simple, l'association, la société à forme commerciale. Les sociétés à forme commerciale qui sont les sociétés en nom collectif, en commandite et anonymes ne sont pas classées avec les autres associations ayant un but économique, à cause de leur importance particulière et de certaines garanties spéciales que le législateur a cru devoir prendre à leur égard. Toutes, remarquons-le, constituent des personnes juridiques.

La société simple n'est pas une personne morale ; c'est tout à la fois le contrat de société du code Napoléon et le contrat innommé dont nous avons développé les principes. Mais cette société simple peut facilement monter d'un degré dans la hiérarchie légale et passer, moyennant quelques formalités du rang de société simple au rang de

l'association.

Relevons quelques articles.

Art. 526. Chaque associé doit faire un apport. Il n'est pas nécessaire que les apports soient de même nature et valeur ; les

associés peuvent apporter de l'argent, ou des créances, ou d'autres biens, ou leur industrie.

Art. 527. Sauf convention contraire, les apports doivent être égaux, et de telle nature et importance que l'exige le but de la société.

Art. 530. Les parts des associés dans les bénéfices ou pertes peuvent être stipulées inégales.

A défaut de stipulation, chaque associé doit avoir une part égale dans les bénéfices et dans les pertes, quelle que soit la nature ou la valeur de son apport.

Si la convention ne fixe que la part dans les bénéfices ou la part dans les pertes, cette détermination est réputée faite tout à la fois pour les bénéfices et les pertes.

Art. 540. A moins que le présent titre ou l'acte de société n'en ordonne autrement, les rapports des associés administrateurs avec les autres associés sont régis par les règles du mandat.

Lorsqu'un associé agit pour le compte de la société sans être chargé de l'administration ou qu'un administrateur outrepasse ses pouvoirs, on applique les règles de la gestion d'affaires.

Art. 543. L'associé qui traite avec un tiers, pour le compte de la société, mais en son nom personnel, devient seul créancier ou débiteur de ce tiers.

Lorsqu'un associé traite avec un tiers au nom de la société ou de tous les associés, les autres associés ne deviennent créanciers ou débiteurs de ce tiers que conformément aux règles relatives à la représentation.

Un associé n'est pas présumé avoir le droit d'obliger envers les tiers la société ou tous ses associés, encore qu'il soit chargé d'administrer.

Art. 544. La propriété qui a été acquise au nom de la société ou qui lui a été transférée appartient par indivis à chacun des associés.

Si les créances ont été acquises au nom de la société ou transférées à cette dernière, chaque associé est créancier du débiteur pour sa part et portion.

Les associés sont tenus solidairement des engagements qu'ils ont contractés ensemble envers le tiers, soit par eux-mêmes, soit d'après l'article précédent, alinéas 2 et 3, par l'entremise d'un représentant; sauf convention contraire avec les tiers.

L'association forme, en principe, une personne juridique; ses règles diffèrent suivant qu'il s'agit d'une société

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