Page images
PDF
EPUB

créanciers assurément et qui n'auront jamais eu leurs pareils. Leur droit n'est exigible que le jour où le débiteur n'existe plus, c'est-à-dire à la dissolution de la société; ils sont frappés d'une déchéance particulière et jamais ne concourent avec les autres créanciers sociaux; leur position est même fâcheuse à ce point, que, loin de pouvoir recueillir quelque chose dans le patrimoine de leur débiteur tombé en déconfiture, ils se voient obligés à payer eux-mêmes, quelquefois jusqu'à concurrence de leur mise, quelquefois solidairement et pour le tout, les dettes qui restent à liquider.

Mais laissez controverser les singuliers théoriciens qui refusent aux associés un droit de propriété; allez brusquement mettre la main sur l'épaule d'un actionnaire important de quelque grande compagnie et demandez lui à qui appartiennent ces marchandises, ces ballots que les ouvriers transportent avec une fièvreuse activité, cette usine d'un outillage merveilleux et où l'on n'entend que le va-et-vient de puissantes mécaniques, ces steamers qui se balancent le long des côtes et se disposent à lever l'ancre pour les beaux pays de l'Orient, demandez-lui qui est le propriétaire de toutes ces richesses et s'il ne croit pas, lui actionnaire, avoir sur elles un droit réel quelconque?

Contra: BEUDANT, Revue critique, 1869, t, 34, p. 135; ·
Des personnes morales, Paris, 1882, p. 209.

CASSAGNADE,

M. Lyon-Caen aboutit à une distinction, qui nous parait beaucoup plus subtile que vraie, entre les sociétés civiles et les société commerciales. Dans les sociétés civiles, dit-il, on ne saurait refuser aux associés la qualité de copropriétaires; la société n'étant pas une perso..ne morale, le fonds social appartient par indivis aux associés. Il est vrai què dans ces sociétés comme dans les sociétés commerciales, les associés ont le droit d'exiger des dividendes et que ce droit est une créance. Mais il n'y a là qu'une ressemblance secondaire. Dans les sociétés de commerce le droit à des dividendes, tant que dure la société, est le seul droit des associés. Au contraire, dans les sociétés civiles qui ne sont pas des personnes morales, l'associé est avant tout copropriétaire du fonds social, et à titre accessoire cette qualité lui donne droit à des dividendes. >>

"

Posez à celui-ci et posez encore à celui-là la même question, et vous verrez l'unanimité des réponses!

Si la personnalité morale ne cache pas véritablement un être juridique qu'on puisse mettre en parallèle, comme on a l'habitude de le faire, avec les êtres physiques, si au lieu d'être le signe d'un sujet de droits, indépendant des divers individus qui composent l'association, elle n'est, en vérité, qu'une manière d'être des droits individuels, qu'une forme particulière de la société ordinaire, qu'un manteau destiné à couvrir non pas une existence abstraite et fictive, mais des individus réels, vivants et pratiques, si l'on admet cette opinion (1), les difficultés relatives à la création et à

[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Dans une excellente note sur un arrêt de la cour de Toulouse du 22 juin 1872 (Sirey, 1873, II, p. 169). M. LABBÉ én et sur la personnalité morale une théorie ingénieuse dont les corséquences se rapprochent considérablement de celles qui résultent de notre opinion. La société, dit-il, peut être envisagée comme contrat ou comme personne. — La société en tant que contrat, destinée à faire naître des obligations entre les parties, est régie par le droit commun des obligations conventionnelles. La société, en tant que personne juridique, introduite dans le monde des affaires, est soumise pour sa formation et son existence à des conditions spéciales. Il est très important de distinguer la Société contrat, et la Société personne. La société peut être contractée sans aucune prétention à la personnalité... Mais la société peut être formée à la fois comme contrat et comme personne. Le contrat conserve sa nature, ses conditions d'existence et ses modes de preuve, quoique joint et uni à une personne qui a ses conditions propres d'existence légale. Sous un seul rapport, l'une des deux matières réagit sur l'autre : l'inexistence légale de la personne sociale qui a fonctionné en fait sans publicité régulière, est une cause de dissolution du contrat de société; comme la société personne non régularisée par la publication est un danger, une cause de surprises dans le monde des affaires, la loi autorise les associés à demander l'un contre l'autre la dissolution du con. trat, afin de faire disparaître la personne qui devait accompagner le contrat et qui a été imparfaitement constituée. Dissolution: telle est à notre avis le mot propre et non pas nullité. La personne sociale est nulle faute de publicité, laquelle requiert la rédaction d'un écrit. Le eontrat de société n'est pas nul faute de solennité; il est consensuel, seulement il est dissoluble à la volonté de l'une des parties, à raison de la nullité de la personne sociale. »

l'extinction des personnes civiles, ces difficultés tant discutées de nos jours, prennent immédiatement et par le fait même une autre tournure, un aspect plus simple, une portée aisément compréhensible.

Pas de personnes morales sans une loi formelle, dit la théorie courante. De là aussitôt pour elle une question insoluble comment se fait-il que l'État constitue un être juridique? Est-il convenable qu'on puisse se donner l'être à soi-même, qu'on puisse réunir simultanément en soi les fonctions du créateur et les qualités de la créature? Acculés dans cette impasse, nos légistes ont voulu s'en tirer par une distinction : l'État, ont-ils dit, jouit de plein droit de l'individualité civile parce que la nécessité l'exige. Réponse dangereuse, et qui ruine la doctrine d'où l'on est parti. Ce n'est donc pas la loi qui est la dispensatrice souveraine de toute existence juridique ; c'est la nécessité, ce sont les besoins d'une bonne organisation, ce sont les conditions de la prospérité générale qui règlent la personnalité et qui permettent de l'octroyer ou de la refuser. Que parlet-on alors de l'omnipotence du législateur? Nous sortons par cette porte du pays des fictions pour entrer dans le domaine de la vérité. Le pouvoir ne crée rien, absolument rien; il observe les rapports naturels et se borne à exprimer publiquement ses observations; les lois ne sont pas des arrangements arbitraires, ou, du moment où elles le sont, elles cessent d'être justes et légitimes; les lois civiles ne doivent être que l'expression de la réalité, la traduction en un langage clair et net des relations logiques qui doivent exister entre les individus.

Cela est de toute évidence dans notre théorie et ne pourrait y donner lieu à la moindre contestation. Toutes les associations qui poursuivent un but utile ont le droit de vivre et de se développer. Mais la réglementation de leurs manières d'être, de leurs formes, peut différer suivant les temps et les circonstances. Au législateur à

choisir et à déterminer le mode d'action qui concilie le mieux les exigences de la nature humaine avec les influences du climat, de la civilisation et de la race. Du moment où il accorde des privilèges à certaines associations, que l'ensemble de ces privilèges s'appelle la personnification ou l'incorporation, il est obligé de se demander si les dispositions qu'il considère comme des faveurs ne sont pas au contraire de véritables droits, et s'il ne serait pas convenable, vu le milieu où il se trouve, de les étendre à toutes les sociétés quels que soient leur caractère et leur mission.

Quant à l'extinction des personnes morales, cette extinction ne peut pas, au moins dans les associations (je mets toujours à part ce qui concerne les fondations) (1), donner lieu à l'ouverture de ce droit successoral exorbitant qu'on a voulu attribuer à l'État. Il est absurde de dire que, l'être juridique disparaissant, il existe des biens vacants et sans maître (2). Cet être fictif est un inconnu. La société qui est douée de la personnalité, est une association comme toutes les autres associations civiles où les membres possèdent, et qui diffèrent seulement des réu

(1) Il ne faut pas oublier non plus que certains établissements publics, tels que les bureaux de bienfaisance, ne forment en définitive que des départements détachés de l'administration communale. Leurs droits ou leur personnalité dépendent par conséquent des droits et de la personnalité de la commune. Les biens des bureaux de bienfaisance sont d'ailleurs en grande partie des biens de fondation, n'appartenant à l'ensemble des citoyens de la commune que sous la condition ou la charge que le revenu en soit affecté à tel usage particulier.

(2) Dans la séance de la Chambre belge du 21 février 1879, M. Demeur a demandé au ministre de l'intérieur de réviser la législation qui concerne les sociétés de secours mutuels. En vertu de la loi du 3 avril 1851, ces sociétés peuvent obtenir le bienfait de la personnification civile, mais elles n'en usent pas, spécialement parce que, en cas de dissolution d'une société reconnue, l'avoir n'est pas réparti entre les membres de cette société, mais entre les institutions similaires existant dans la commune ou entre les établissements officiels de bienfaisance.

nions analogues en ce qu'elle est privilégiée dans l'exercice de ses droits. Saisir au profit de l'État le patrimoine d'une personne morale, est un acte de vol public ou de confiscation aussi indigne et aussi déshonorant que le serait la mainmise par le pouvoir sur les immeubles de toutes nos grandes sociétés commerciales qui sont revêtues, elles aussi, d'une individualité juridique. La spoliation est claire comme le jour; elle frappe d'une manière scandaleuse tous les membres de l'association existant à l'heure où elle se produit (1).

En Belgique, où l'on semble plus attaché que partout ailleurs à la doctrine routinière sur la nature de la personnalité civile, on est venu se heurter récemment à une conséquence vraiment ridicule de l'ancienne théorie. En vertu de la Constitution on n'est éligible au sénat que si l'on paie 1000 florins d'imposition directe. Supposez que deux citoyens, payant chacun 4000 florins, s'associent et forment une société en nom collectif, dans laquelle ils apportent toute leur fortune: il va s'opérer, d'après l'enseignement traditionnel, un changement complet dans la situation politique de ces deux citoyens. La veille du jour où ils signaient leur contrat de société, tous deux étaient

(1) Mais de ce que l'avoir social, au lieu d'être la propriété du corps, n'est que la propriéte des membres, il serait inexact de conclure que tout associé doit pouvoir réclamer sa part le jour où il se retire. Il y a là une question assez délicate à résoudre d'après les statuts, d'après les règles fondamentales de chaque société. On peut dire que, dans les associations d'intérêt public les citoyens participent d'une manière constante aux pertes et aux bénéfices; si, d'une part, ils paient des impôts plus ou m ins considérables, d'autre part ils jouissent de la sécurité générale et d'une foule de précieuses facilités économiques. Ils ont, dans la plupart des pays, la faculté de se retirer, d'abandonner, quand bon leur semble, leur nationalité, leur caretère de membre d'une province, d'une commune, mais ils sont censés, p: r le fait même de leur retraite, renoncer au profit de ceux qui demeurent à tout partage dans l'avoir commun.

« PreviousContinue »