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Le principe en vigueur en Belgique au sujet de l'existence des associations diffère complètement de celui qui règne en France. En Belgique toutes les associations sont licites et toutes ont le « droit d'agir et de se développer. En France il n'en est pas de même. Abstraction faite de certaines associations particulières que la loi défend d'une manière formelle et absolue ou qu'elle règle d'une façon spéciale, il est trois groupes de sociétés sans but lucratif : les unes sont « illicites» elles ne vivent que sous la perspective d'une dissolution administrative, toujours imminente, et elles exposent leurs membres aux sévérités du code pénal, ce sont celles qui ont plus de vingt personnes et que le gouvernement n'entend pas tolérer; les autres ont la « faculté » de se réunir et de poursuivre leur mission, ce sont celles qui ont plus de vingt associés, mais que le pouvoir envisage d'un œil favorable; les dernières enfin ont le « droit » d'exister et se trouvent à l'abri des caprices du gouvernement, ce sont celles qui, comptant moins de vingt membres, n'ont pas été jugées dignes de la méfiance du législateur.

Mais si le droit public des deux pays diffère sensiblement, leur droit civil est resté le même depuis le commencement du siècle. Dans l'un comme dans l'autre les règles en vigueur sont celles du code Napoléon.

Toutes les associations qui ont la liberté d'exister, que cette liberté soit l'exercice d'une faculté ou d'un droit, sont par conséquent soumises en France et en Belgique à l'application des mêmes principes; elles se heurtent aux mêmes entraves, elles doivent triompher des mêmes difficultés.

C'est pourquoi nous examinerons dans un même paragraphe tout ce qui concerne la législation civile du droit d'association dans les deux pays.

Afin de procéder avec une certaine clarté dans notre exposé, exposé d'autant plus délicat que les auteurs, qui nous ont précédé, n'ont jamais envisagé le sujet d'une manière complète et générale, nous allons grouper nos observations autour de quelques grandes divisions.

Les diverses opinions qui ont été présentées relativement à la vie ou à la capacité des associations, peuvent d'ailleurs se ramener à trois systèmes.

Premier système : Droit de vivre d'une manière privilégiée;

Second système : Défense de vivre;

Troisième système : Liberté de vivre d'après le droit

commun.

Examinons successivement chacun de ces trois systèmes, en nous attachant principalement aux deux derniers qui sont aujourd'hui le véritable siège de la discussion juridique.

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La personnalité civile que les principes juridiques ne leur accordaient ni en France, ni en Belgique, plusieurs défenseurs des associations ont cru l'obtenir par la combinaison de certains articles de nos codes; ils ont cherché, entreprise hardie, à faire sortir le privilège des entrailles du droit commun et à transformer en règle générale ce qu'on avait toujours envisagé comme une exception.

Leur première tentative fut basée sur le code Napoléon. Les associations, dirent-ils, constituent des sociétés ordinaires soumises aux articles 1832 et suivants. Or, toutes les sociétés civiles forment des personnes morales; plusieurs dispositions formelles le prouvent, notamment les articles 1860, 1848 du code civil et l'article 59 du

code de procédure. Donc la personnification des associations découle de la loi commune; elle est une conséquence des principes généraux, un corollaire des prescriptions du droit positif et du droit naturel.» - Cette thèse, si brillamment défendue qu'elle fut par Troplong et la plupart des auteurs français (1), ne fut pas accueillie avec grande faveur en Belgique. Il suffit d'une courte discussion pour la condamner, et aujourd'hui toute la jurisprudence belge la repousse. Il n'est pas vrai de dire que les sociétés civiles soient des personnes morales; il y a un abîme entre les associations ordinaires et les groupes qui constituent des êtres juridiques, ayant une capacité propre et indépendante. La personnalité est un privilège qui peut être attribué par le pouvoir législatif à toute société, mais qui ne revient pas aux associations de plein droit et par le seul fait de leur existence. Quant aux articles du code civil et du code de procédure que l'on invoque, ils n'ont pas la portée qu'on leur prète (2).

Chassés de ce premier retranchement, quelques juristes n'abandonnèrent pas tout espoir d'arriver au but de leurs

(1) TROPLONG, Des sociétés, t. I, no 58. Cpr., dans le même sens, Delvincourt, Duranton, Pardessus, Proudhon, Duvergier, Delangle, Championnière et Rigaud, Bravard, Alauzet et Bédarride. — CONTRA, Vincens, Aubry et Rau, Pont, Lyon-Caen et Renault,

(2) La cour de cassation de Belgique avait jugé le contraire dans un arrêt du 30 avril 1853 (Pas., 1853, p. 287). Mais deux ans après elle changea d'avis, et depuis lors sa jurisprudence n'a plus varié.— Cass., 22 juin 1855, 17 mai 1862, 17 juin 1864, 10 juin 1866 et 20 octobre 1868, Pas.. 1855, p. 346; 1862, p. 274; 1865, p. 37; 1867, p. 53 et 1869, p. 136. Bruxelles, 16 avril 1856, 21 avril et 10 juillet 1873, Pas., 1856, II, p. 263 et 1873, II, p. 200 et 333. - Cpr. LAURENT, Principes, XXVI, no 181; THIRY, Revue critique, t. V et VII.

La cour de cassation de France a rendu plusieurs arrêts dans un sens opposé: 8 novembre 1836, 9 mai 1864 et 18 novembre 1862, Sirey,1836, I, p. 811; 1861, I, p. 239 et 1866, I, p. 415. - Paris, 27 février 1878, Dallos, 1878, II, p. 257 et la note. Cpr. Journal des sociétés civiles et commerciales, Paris, 1880, p. 456.

désirs. Ils se hâtèrent de battre en retraite et de se mettre à couvert derrière une seconde ligne fortifiée. Ils pensèrent que le code de commerce leur offrirait la garantie, la faveur qu'ils avaient vainement demandée au code civil et ils prònèrent la constitution des associations sous une forme commerciale et notamment sous la forme des sociétés par actions. « Toute société civile, s'écrièrent-ils, qui a pris la tournure, le caractère, le genre d'une société commerciale tombe sous l'empire des règles édictées par le code de commerce. Elle subit ses prohibitions, maist d'autre part elle jouit de ses avantages; sa situation juridique est analogue à celle des sociétés anonymes ou en nom collectif; comme ces sociétés, elle forme une personne morale et possède une capacité spéciale d'acquérir et d'agir en justice. Quoiqu'elle eut du succès en France, cette opinion ne fut pas mieux goûtée que la précédente par la doctrine et la jurisprudence belges. On n'admit pas, en Belgique, que l'emprunt des formes commerciales pût avoir pour effet de transférer à des associations civiles tous les caractères des sociétés commerciales, et en particulier celui de la personnalité morale qui paraît à quelques-uns intimement liée à ce qu'ils appellent pompeusement « l'ordre public l'ordre public ». La loi belge sur les sociétés commerciales du 18 mai 1873 semble inspirée par le même sentiment (art. 2 et 136) (1).

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(1) Cass. belge, 22 juillet 1869, Brux., 26 décembre 1872, 10 juillet 1873 et 7 novembre 1876, Pas., 1869, I, p. 448; 1873, III, p. 190 et II, p. 333; 1876, III, p. 315. — GUILLERY, Sociétés, 1882, I, no 170.

Loi du 18 mai 1873:

ART. 2. La loi reconnaît cinq espèces de sociétés commerciales: la société en nom collectif; la société en commandite simple; la société anonyme; la société en commandite par actions; la société coopérative. Chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés.

ART. 136. Les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines

:

Que les associations en fassent par conséquent leur deuil il est extrêmement difficile aujourd'hui de réclamer pour elles les caractères et les bénéfices de la personnalité juridique. On a frappé à toutes les portes, on s'est engagé dans toutes les routes, afin de leur attribuer ces avantages, et on a échoué partout. Auteurs ou magistrats, avocats ou professeurs, la plupart des jurisconsultes ont fini par repousser toutes ces tentatives, et il reste assez peu d'espoir de voir un jour ou l'autre la tradition juridique changer son cours.

Il est des associations qui croient ne pas pouvoir vivre, s'étendre, se développer, si elles ne possèdent le privilège de la personnalité. Ainsi nous avons vu les francs-maçons demander en Autriche que la loi fût modifiée de manière à donner une existence légale à leurs associations constituées en loges (1). Ainsi encore nous avons vu, en 1842, des représentants catholiques, MM. Dubus et Brabant, déposer sur le bureau de la Chambre belge la proposition de « déclarer personne civile l'Université de Louvain. » Mais cette proposition, quoiqu'elle eût réuni la grande majorité des votes émis dans les sections, quoiqu'elle fût rédigée avec une sage modération, qu'elle poussât même la prudence et les précautions à un degré inconnu aux législateurs français qui ont fait la loi sur l'enseignement supérieur du 12 juillet 1875, souleva des soupçons, des inquiétudes, des craintes qui témoignaient chez ceux qui les répandaient ou d'une hostilité aveugle et systématique ou d'un esprit de pusillanimité excessif. MM. Dubus et Brabant retirèrent eux-mêmes leur projet de loi (2).

peuvent, sans perdre leur caractère civil, emprunter les formes des sociétés commerciales, en se soumettant aux disp sitions du présent titre.

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(1) Annuaire de la Soc. de législat. comparée, Paris, 1876, p. 483. (2) THONISSEN, La Belgique sous le règne de Léopold Ier, Liège 1858,

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