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DE FRANCE,

PENDANT LA DERNIÈRE ANNÉE

DE LA

RESTAURATION.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

Situation des partis au moment des élections générales.

Sociétés secrètes.

Vues et moyens de l'opposition. Le général Lafayette.-M. le duc d'Orléans.-M. Laffitte.- M. Thiers.

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Réflexions sur la direc

tion pernicieuse imprimée à l'opinion publique par la presse périodique. - Proclamation du roi aux électeurs. - Réélection de la plupart des 221.- Irritation profonde de Charles X.

Nous avons laissé les esprits vivement préoccupés de la dissolution de la Chambre élective et des graves conséquences que pouvait amener cette détermination de la couronne. Avant d'aller plus loin,

il convient de jeter un regard en arrière, et d'apprécier la situation, les forces et les espérances des divers partis politiques, aux approches de ces élections générales où, sous l'apparence d'un débat parlementaire, allait s'engager en réalité l'existence d'une monarchie de quatorze siècles.

Le système des conspirations organisées contre le trône avait pris fin, comme on l'a déjà dit, en 1824, à l'époque de la dissolution des Carbonari. Cette association redoutable n'était point seulement composée de dangereux prolétaires ou d'aventureux soldats, instruments habituels de toute sédition contre le gouvernement établi : elle comptait dans ses rangs plusieurs personnages influents du parti libéral, tels que MM. de Lafayette, Barthe, Mérilhou, et jusqu'à des membres de la cour royale de Paris. Morte de division et surtout d'impuissance, elle avait fait place à deux associations instituées dans des vues moins hostiles, mais dont l'action, fondée sur une défiance systématique des projets et des intentions du gouvernement, préparait à sa marche des entraves continuelles. La société du Globe, nom d'un journal accrédité qui comptait ses principaux membres pour rédacteurs, avait succédé la première au carbonarisme. Elle était dirigée spécialement par M. Guizot, publiciste habile,

royaliste fervent en 1815, mais dont l'esprit, naturellement dogmatique, s'était progressivement épris d'un sentiment exagéré de l'omnipotence parlementaire. La majorité de cette association était ardente, et prête à tout entreprendre pour assurer le triomphe de ses doctrines. Moins hostile dans le principe, la société Aide-toi, le ciel t'aidera, semblait s'être proposé surtout d'obliger le gouvernement à marcher dans les voies rigoureuses de la Charte les élections étaient son principal moyen d'action. Plusieurs constitutionnels signalés par leur attachement à la famille régnante appartenaient à cette association, dont les rangs s'étaient insensiblement grossis d'un grand nombre de dissidents, éloignés de la société du Globe par la turbulence de son esprit. Quelques membres de la défection s'y étaient également affiliés depuis leur rupture ouverte avec le parti de la cour. Cette association instituée, comme on le voit, dans un but qui n'avait rien de menaçant pour la monarchie des Bourbons, lui était devenue graduellement hostile. Les dernières révolutions ministérielles avaient empreint son opposition d'un caractère marqué d'irritation et de méfiance, et l'un des organes les plus exaltés du parti libéral, M. Barrot, célèbre par sa prétention d'introduire l'athéisme dans les lois, exerçait sur ses déterminations un grand

ascendant. Ces deux sociétés représentaient le parti parlementaire proprement dit, parti constitutionnel et légitimiste dans des proportions diverses, puissant et nombreux en France, et dont les nuances étaient assez fidèlement exprimées par trois organes influents de la presse périodique, le Journal des Débats, le Globe et le Temps.

Faible encore dans les Chambres et dans la nation, à peine représenté dans la presse périodique, le parti purement révolutionnaire n'était pas cependant dénué de tout moyen d'action et de succès. Ce parti, dans lequel nous comprenons tous ceux qui aspiraient à la destruction violente du régime établi, pouvait attirer à lui les mécontents de l'armée, les débris nombreux encore de la faction impérialiste, et cette portion turbulente de la populace des grandes villes, toujours prête à se rallier à tout noyau d'insurrection contre l'ordre existant. Plusieurs sociétés secrètes, récemment créées soit à Paris, soit dans les départements (1), avaient pour but d'entretenir ces dispositions, dont on espérait

(1) On peut voir, sur l'organisation de la principale de ces sociétés, établie au mois de janvier 1830, la Révolution de 1830, etc., par M. Auguste Fabre, et la brochure de M. Morrhéry, intitulée Réponse aux outrages, etc. L'esprit et les statuts de cette association, qui était en rapport avec Lafayette, et qui comptait dans son sein des adeptes de

profiter un jour. Ces sociétés présentaient une organisation analogue à l'ancien carbonarisme. Mais, le principal avantage du parti révolutionnaire était de reconnaître un chef qu'une haute indépendance personnelle, des mœurs pures, des antécédents historiques, de l'esprit et de la mesure, et par-dessus une constance inébranlable en ses sentimens politiques, plaçaient dans toutes les conditions d'une popularité sérieuse et durable. Ce chef était le général Lafayette. L'athlète de l'émancipation américaine, le commandant de la garde nationale de 1789, le captif d'Olmutz, l'inflexible adversaire de Napoléon, fortifiait son parti de l'ascendant rare de toute une vie dévouée au triomphe d'un principe. Pas une action qui n'eût eu la cause populaire pour mobile, pas un combat qui n'eût été rendu en faveur de la liberté. C'est une figure qui se détache du fond pâle de notre siècle égoïste, que celle de ce vieillard, docile par son abnégation même à toutes les exigences populaires comme à un devoir sacré, épiant, dans une orgie patriotique, les inspirations les plus vulgaires de la licence, ou dotant

toutes les classes de la société, étaient purement républicains. Son organe était le journal appelé la Tribune. Elle paraît d'ailleurs n'avoir exercé qu'une influence secondaire sur les événements postérieurs.

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