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aux volontés de Charles X, et préoccupé de je ne sais quel caractère providentiel attaché à sa mission, ce ministère cherchait dans le renversement de nos institutions un remède extrême aux périls réels ou imaginaires de la monarchie? Quel avenir pour la France! La stabilité de son repos ne dépendait-elle pas de l'observation scrupuleuse de ce pacte que quinze ans d'existence et les serments de deux rois avaient consacré parmi nous? En violant ellemême ses engagements, la royauté ne donneraitelle pas aux peuples le signal de la résistance et de la révolte? On payait un milliard à la loi, on ne paierait pas deux millions à des ordonnances. L'irritation et les inquiétudes s'accrurent quand on apprit que Charles X, sortant du caractère de bienveillance qui lui était habituel, avait traité avec sévérité les ministres congédiés, et même avec amertume deux d'entre eux, MM. Feutrier et de Vatimesnil. Un tel éclat, de sa part, ne pouvait signaler qu'une résolution fortement arrêtée.

Une feuille publique qui, avait contribué puissamment à la chute de M. de Villèle, mais dont l'appui paraissait foncièrement acquis à la monarchie, le Journal des Débats, exprima avec violence ces plaintes et ces alarmes dans un article que le gouvernement crut devoir déférer aux tribunaux. L'éditeur responsable, M. Bertin aîné, connu

par de longs et honorables services rendus à la cause des Bourbons, appela devant la cour royale de Paris d'une première sentence qui le condamnait à six mois d'emprisonnement et à 500 fr. d'amende, et fit entendre lui-même, pour sa justification, des paroles pleines d'onction et de convenance. Il repoussa vivement le reproche qui lui était fait d'avoir voulu outrager le roi, objet de sa vénération et de son amour: « Je ne sais, dit-il en terminant, si ceux qui se croient sans doute plus dévoués que moi au petit-fils de Henri IV, rendent un grand service à la couronne, en amenant devant une cour de justice des cheveux blanchis au service de cette couronne; je ne sais s'il est bien utile que des royalistes qui ont subi les peines de la prison pour la royauté, les subissent encore au nom de cette mème royauté. » M. Dupin aîné, son défenseur, déplora l'aveuglement du pouvoir qui donnait la préférence de ses attaques à un journal dévoué à la propagation des doctrines monarchiques, et dans lequel le système d'alliance entre les libertés publiques et la royauté avait rencontré de tous temps un organe actif et utile: «Quel heureux tableau, ajoutat-il, que celui d'un peuple obéissant et fidèle qui ne demande que la paix et ne la cherche que dans la stabilité des institutions, ne voulant que ce ce qu'on lui a fait jurer, mais le voulant avec constance,

avec fermeté, parce qu'il agit avec bonne foi! Avec cette devise inscrite sur le drapeau de France, vous n'aurez à craindre ni les usurpateurs dont la sinistre image vous poursuit, quand c'est vous qui croyez la poursuivre; ni les séditieux, car vous leur aurez ôté tout prétexte; ni les étrangers, car ils vous sauront unis. » La cour royale de Paris renvoya M. Bertin des poursuites dirigées contre lui, décision à laquelle l'impopularité du nouveau ministère n'eut pas moins de part que les antécédents honorables du prévenu, et l'incontestable pureté de ses intentions.

Le caractère et l'issue de ce débat judiciaire expriment fidèlement quelle était alors la situation des esprits. Attachement aux institutions, respect à la dynastie, voilà quels sentiments dominaient encore l'immense majorité des Français. Cependant l'hostilité croissante de la fraction avancée du parti libéral se manifestait par des démonstrations sérieuses et qui, séparées par un an à peine de la révolution qui menaçait le trône, tirent de ce rapprochement une importance particulière.

Le général Lafayette, absent de Paris à la clôture de la session législative, se trouvait au Puy, lorsqu'on y apprit l'avénement du nouveau ministère. Un banquet lui fut immédiatement offert par les chefs de l'opinion libérale. Cette réunion se dis

tingua par l'énergie des toasts qui y furent portés. Ce fut la première protestation populaire contre les nouveaux conseillers de Charles X. Il n'est pas indigne de remarque qu'elle partit d'une contrée où les aïeux du personnage le plus éminent de ce ministère, le prince de Polignac, avaient long-temps exercé la souveraineté suzeraine.

Le voyage du général Lafayette prit dès ce moment un caractère politique. Le choix des villes qu'il affecta de traverser et les démonstrations extraordinaires dont il y fut l'objet, révélèrent le but réel de cette tournée, évidemment entreprise pour imposer au gouvernement par une parade menaçante des forces populaires. Près de Grenoble, où il passa en se rendant au château de Vizille, un grand nombre d'habitants vinrent à sa rencontre, et un ancien maire, M. Rosset-Bressan, vieillard de 74 ans, lui présenta, à la porte de France, une couronne de chêne à feuilles d'argent « comme un témoignage de l'amour et de la reconnaissance du peuple. » A la suite d'un banquet de deux cents personnes, auquel assistèrent MM. Faure et Augustin Périer, députés, et MM. Mérilhou et Sauzet, avocats, le général partit pour Vizille, aux acclamations de la multitude. Il y fut harangué par le maire même de cette ville, si célèbre par la résistance que les volontés royales y rencontrèrent en

1788, et qui devint le premier germe de la révolution française. Ce maire, appelé M. Faure-Finant, fut destitué peu de jours après.

A la suite d'un court séjour au château de Vizille, le général Lafayette traversa Voiron, la Tour-duPin, Bourgoin et Vienne; il fut complimenté à son entrée dans chaque ville, et partout la foule se porta avec empressement sur ses pas. Il se mit le 5 septembre en route pour Lyon, où le délire populaire préparait les honneurs d'une réception presque royale au vétéran de la démocratie française. Environ cinq cents cavaliers, huit à neuf cents jeunes gens à pied et un grand nombre de personnes en voiture allèrent au-devant de lui jusqu'aux limites du département. Un des organes les plus prononcés de l'opposition libérale, M. le docteur Prunelle, harangua le général, dont la réponse fière et presque menaçante mérite d'être recueillie:

« Je me trouve au milieu de vous, dit-il, dans un moment que j'appellerais critique, si je n'avais reconnu partout sur mon passage, et si je ne voyais dans cette puissante cité cette fermeté calme et même dédaigneuse d'un grand peuple qui connaît ses droits, sent sa force et sera fidèle à ses devoirs; mais c'est surtout dans la circonstance actuelle que j'aime à vous exprimer un dévoûment auquel jusqu'à mon dernier soupir votre appel ne sera jamais

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