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CHAPITRE TROISIÈME.

Journée du 27 juillet.

Commencement de résistance ouverte contre le gouvernement. Réunion des députés présents à Paris. Premiers engagements entre le peuple et les troupes royales. Premières barricades. Neutralité d'une partie de la ligne. Incendie du corps-degarde de la Bourse. - Etat de la capitale. - Paris mis en état de siége. Journée du 28 juillet. — Développements formidables de l'insurrection. Dispositions militaires du maréchal. Les élèves de l'Ecole Polytechnique prennent part au mouvement.-- Résistances de la magistrature. - Démarche infructueuse des députés auprès du duc de Raguse. - Combats sur divers points de la capitale.-Mission du colonel Komierowski auprès de Charles X. Evacuation de l'Hôtel-de-Ville par les troupes. Situation respective du peuple et de l'armée royale à la fin de cette journée. Premières tentatives pour l'établissement d'un gou

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vernement provisoire.

LE 27 juillet succéda à une nuit calme. Ses premiers instants furent marqués par un incident qui concourut puissamment à fortifier la résistance populaire. Les rédacteurs de trois journaux, sur le refus concerté de leurs imprimeurs, les avaient assigné en référé devant M. de Belleyme, président

du tribunal civil de Paris, magistrat qui, par une conduite habile et mesurée dans les fonctions de procureur du roi et de préfet de police, s'était acquis une juste popularité. M. de Belleyme, se fondant sur ce que l'ordonnance relative à la presse n'avait point encore été promulguée dans les formes légales, fit cesser l'opposition simulée des imprimeurs. Cette décision, bien qu'elle consacrât implicitement la légalité des ordonnances, parut aux journalistes un premier encouragement donné par la magistrature à la résistance de la presse; elle fut imprimée le jour même à la suite de leur protestation.

Toutes les feuilles de l'opposition, excepté les Débats et le Constitutionnel, furent publiées au mépris des ordonnances. Leurs exemplaires, enlevés par milliers, pénétrèrent, malgré les efforts de l'autorité, dans les quartiers les plus reculés de la capitale, et y excitèrent une vive fermentation. Le préfet de police ordonna la saisie des presses qui avaient servi à les multiplier. Cette opération ne s'accomplit qu'avec d'extrêmes difficultés. MM. Thiers, Carrel et Mignet se renfermèrent dans les bureaux du National; il fallut en enfoncer les portes. Un serrurier fut chargé de briser les presses; mais cet homme, intimidé par les menaces du peuple, ne démonta qu'une pièce qui fut replacée

le soir même sans interruption de service. La résistance des rédacteurs du Temps fut remarquable par l'aplomb et la fermeté de l'un d'eux, M. Baude, ancien sous-préfet, que la Restauration comptait depuis long-temps parmi ses plus ardents ennemis. Il menaça hautement les agents de la police des rigueurs du Code pénal, intimida les ouvriers chargés d'opérer le bris des presses, et l'on fut obligé d'employer à cette opération le serrurier de l'échafaud. Les autres saisies, protégées par un grand nombre de gendarmes, s'accomplirent sans résistance sérieuse. Les presses des journaux royalistes furent assaillies de leur côté par des bandes d'insurgés qui mirent un obstacle insurmontable à leur exercice.

Ces exécutions, qui présentaient tous les dehors d'odieux attentats à la propriété, avaient répandu une grande agitation dans les esprits. On se réunit en foule dans les bureaux du National. Des provocations violentes, des motions atroces s'y firent entendre. Le plus grand nombre les repoussa avec énergie, dans la crainte de priver la cause populaire de quelques auxiliaires précieux.

Le Palais-Royal, ce berceau de la Révolution de 1789, était le théâtre de l'effervescence la plus vive; les marchands fermaient leurs boutiques, des orateurs lisaient et commentaient à haute voix les

journaux prohibés; partout était méconnue l'ordonnance qui défendait leur exposition dans les lieux publics; les rassemblements augmentaient de moment en moment. Vers midi, le préfet de police en ordonna l'évacuation et la clôture, et fit placer des postes de gendarmerie sur divers points environnants.

Plusieurs imprimeurs avaient, dès la veille, renvoyé leurs ouvriers, en déclarant l'impossibilité de leur procurer du travail. Deux chefs d'industrie, membres de la Chambre des députés, MM. Audry de Puyraveau et Ternaux, firent également évacuer leurs ateliers. Le premier appartenait aux rangs de l'hostilité la plus décidée contre les Bourbons. M. Ternaux suivait une ligne plus modérée. Leur exemple fut suivi par un grand nombre de fabricants. Plusieurs accompagnèrent cette mesure des insinuations les plus malveillantes contre le gouvernement royal, dont la protection pacifique avait eu tant de part au développement de la puissance industrielle. Son effet fut de procurer un accroissement formidable et rapide à l'insurrection naissante. Les rues de la capitale se remplirent d'une multitude d'hommes robustes, exaspérés par la misère et le désespoir, et dont la plupart avaient exercé le métier des armes. Les commis désertèrent leurs magasins pour descendre

sur les places publiques; les élèves des Ecoles de droit et de médecine annoncèrent ouvertement l'intention de prendre part au tumulte. Un avis du conseil d'instruction publique leur rappela les peines portées en pareil cas par les ordonnances de 1820 et de 1828. Mais le ministre se refusa à ordonner la clôture des Ecoles. Il jugea avec raison que ce parti ne servirait qu'à accroître le nombre des perturbateurs et à aigrir les esprits.

M. Billot, procureur du roi, vit un délit dans la protestation des journalistes publiée par le Temps et le National, et fit décerner des mandats d'amener contre les signataires et les imprimeurs. Mais, soit que l'heure fût avancée, soit que l'insurrection eût pris dès lors une trop grande consistance, ces mandats demeurèrent sans exécution.

Les députés présents à Paris se réunirent dans la matinée chez M. C. Périer. M. Labbey de Pompières, doyen d'âge, présida cette conférence. M. C. Périer reproduisit ses observations de la veille, et s'attacha à démontrer que la prudence était quant à présent le seul parti que commandassent les événements. M. Dupin aîné enchérit sur ces exhortations, et, par la timidité de ses conseils provoqua plusieurs fois les marques d'improbation de l'assemblée. Diverses opinions se produisirent. Quelques députés furent d'avis de solliciter du roi,

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