pétuer dans la postérité la plus reculée les honteux monuments de l'ingratitude humaine. Mais c'est peu. A quelques siècles des hommes et des temps, quel esprit de critique assez exercé, quel discer nement assez sûr inspirera toujours l'historien dans l'élection des faits, dans l'appréciation des caractères ? Aux passions des mémorialistes con temporains, inévitablement réfléchies dans ses ou vrages, n'aura-t-il pas à joindre le tribut de ses propres incertitudes ? Quelle apparence que la vé rité sorte constamment pure et inaltérable de ce choc de préventions et d'obscurités ? Le moyen, qu'au milieu de tant d'efforts déchaînés pour en altérer l'éclat, le burin de l'obseryateur la trans mette toujours intacte aux générations futures, d'autant plus disposées à le croire sur parole qu’un plus long espace de temps aura rendu moins possible une épreuve sérieuse de ses asser tions et de ses sentiments ? Il faut aller plus loin encore. Sait-on bien , après tout, à quoi tiennent en réalité les destinées de l'histoire ? A la disparition , à l'insouciance d'un contemporain. C'est sous l'influence des incidents les plus vulgaires et souvent les plus ignorés de la vie humaine, que la postérité est bien ou mal renseignée sur les événements accomplis. Telle revélation qui pourrait expliquer un fait capital, s'éteint dans le silence de la tombe, ou manque à la tradition par l'indifférence de l'annaliste, la modestie ou la discrétion de celui qui en fut l'auteur ou le témoin. Telle action mémorable est perdue pour la postérité, faute d'un pinceau capable de la reproduire, et l'ingénieuse moralité du Lion abattu par l'homme, est d'une applica tion presque journalière à cette transmission plus conventionnelle que complète et sincère des évé nements qu'on nomme histoire, et que Voltaire, d'une autorité toujours si sûre en dehors des matières de religion, appelle un roman probable, bon seulement quand il peut devenir utile. Que sera-ce si l'on tient compte des incertitudes inséparablement liées aux témoignages humains, incertitudes qui de tout temps ont frappé les esprits investigateurs de la vérité, et qu'un ma gistrat célèbre (1) proposait comme un argument si grave contre la réalité historique ! a Les té moins ont yu et entendu les faits, dit l'auteur des (1) SERVAN. Leçons d'histoire, leurs sens en ont été frappés; mais en les peignant dans leur entendement, ils leur ont déjà imprimé, même contre leur gré, des modifications qui en ont altéré les formes ; et ces formes s'altèrent bien plus, lorsque de cette première glace ondulante et mobile, ces faits sont réfléchis dans une seconde, aussi variable. Là, devenu non plus un être fixe et positif, comme il était dans la nature, mais une image fantastique, le fait prend d'esprit en esprit, de bouche en bouche, toutes les altérations qu'intro duisent l'omission, la confusion, l'addition des circonstances; il est commenté, discuté, inter prêté, traduit : toutes opérations qui altèrent sa pureté native.... Si le fait est transmis par l'écri ture, son état est , dès ce moment, fixé, et il conserve d'une manière iminuable, le genre d'auto rité qui dérive du caractère de son narrateur.... Il n'en est pas de même de la transmission des la parole , c'est-à-dire de la tradition. Là, se déploient tous les caprices, toutes les divaga tions volontaires ou forcées de l'entendement; et jugez quelles doivent être les altérations des faits transmis de bouche en bouche', de génération en génération, lorsque nous voyons souvent dans une même personne le récit des mêmes faits va rier selon les époques, selon le changement des intérêts et des affections. Aussi l'exactitude de la tradition est-elle en général décriée ; et elle le de vient d'autant plus qu'elle s'éloigne de sa source primitive à un plus grand intervalle de temps et de lieu. Nous en avons des preuves irrécusables |