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rent leurs armes et annoncèrent l'intention de se retirer. Ces nouvelles, parvenues au Château, y excitent la surprise et le mécontentement. Le Dauphin, furieux, fait chercher le maréchal, et lui ordonne avec un geste menaçant et impérieux d'entrer dans son appartement. Un entretien animé s'établit entre eux; les mots de trahison et de perfidie se font entendre, et sèment l'inquiétude et l'effroi parmi les officiers et les courtisans, spectateurs plus ou moins éloignés de cette orageuse explication. Au bout de quelques minutes, le maréchal sort poursuivi par le Dauphin qui l'accable de reproches; le duc de Raguse, hors de lui, porte la main à son épée. Le prince, qui voit ce mouvement, s'élance, arrache du fourreau l'épée, dont il se blesse à la main, la jète au loin, saisit le maréchal au collet et le renverse sur un canapé, puis il appelle à lui les gardes qui se trouvent dans la pièce voisine, et leur ordonne de le conduire aux arrêts forcés dans sa chambre. Mais, bientôt après, le roi, informé de ce pénible débat, adressa de justes reproches à son fils, et l'exhorta à se réconcilier sur l'heure même avec le maréchal. Il fit remettre à ce dernier son épée par le duc de Luxembourg, et le manda auprès de lui. «M. le maréchal, lui dit Charles X avec bonté, mon fils a été bien vif envers vous; mais convenez que vous auriez dû lui

communiquer cet ordre du jour avant de le publier; de son côté, il reconnaîtra ses torts. » Le duc de Raguse se défendit d'abord avec véhémence de revoir jamais le Dauphin; puis, cédant aux témoignages répétés de la bienveillance du roi, il entra dans le cabinet du prince, et murmura quelques paroles de réparation : « J'ai eu des torts aussi, lui répondit le Dauphin, mais votre épée m'a tiré du sang; ainsi nous sommes quittes. » Puis il tendit sa main au maréchal, et cette douloureuse scène parut oubliée; mais le duc de Raguse se démit immédiatement de tous ses commandements militaires.

Tandis que la division, compagne du malheur, ajoutait ainsi aux revers de la famille royale, qu'abandonnaient déjà quelques courtisans, tout à Paris se préparait pour l'établissement du régime nouveau. Les exhortations n'avaient pas manqué au duc d'Orléans, pour qu'il profitât des circonstances presque inespérées qui lui ouvraient enfin les avenues du pouvoir. L'un de ses partisans les plus dévoués, M. Dupin aîné, accompagné de M. Persil, jurisconsulte demeuré jusqu'alors étranger au mouvement politique, s'était rendu à pied à Neuilly, dans la journée, pour fortifier les sollicitations de M. Thiers. Douze députés, tirés au sort, avaient été chargés de porter au prince la résolution de l'assem

blée; mais ils furent détournés de cette démarche par la crainte d'être enlevés par les troupes royales, qui poussaient des reconnaissances jusqu'au pont de Neuilly. Le général Sébastiani y suppléa par une lettre qui fut signée de tous. Le prince, encore indécis, fit répondre qu'il se rendrait à Paris le lendemain matin. « Ce n'est pas demain, lui manda M. Laffitte, c'est à l'instant même qu'il faut venir.» Cette exhortation produisit son effet. Le duc d'Orléans arriva à Paris, à onze heures du soir, accompagné de trois officiers de sa maison, et portant à sa boutonnière un noeud de rubans tricolores, que sa sœur, madame Adélaïde, y avait elle-même attaché.

Ici se place un fait important à recueillir, et qui démontre que quelle qu'en fût la source, les irrésolutions du duc d'Orléans n'avaient rien d'affecté. Le prince était à Paris depuis quelques heures, lorsqu'un envoyé se présenta de sa part au duc de Mortemart, et l'invita instamment à l'accompagner au Palais-Royal, « dans l'intérêt de la cause du roi. » Le jour commençait à poindre. M. de Mortemart fut introduit mystérieusement dans le cabinet du duc d'Orléans qui, exténué de fatigue, à moitié vêtu, lui adressa ces paroles avec beaucoup d'agitation: « Duc de Mortemart, si vous voyez le roi avant moi, dites-lui qu'ils m'ont amené de force, mais que je me ferai mettre en pièces plutôt que de placer la

couronne sur ma tête. » Le duc d'Orléans ajouta que « s'il n'était point allé à Saint-Cloud, c'était dans la crainte que Charles X ne se décidât à le faire arrêter; qu'il s'était retiré dans un lieu sûr, ignoré de tous, excepté de sa famille, et qu'il n'avait quitté sa retraite que sur la menace faite à la duchesse d'Orléans, par un groupe d'hommes du peuple de la conduire à Paris, elle et ses enfants, et de les retenir comme otages jusqu'à ce qu'il eût reparu. Le prince voulut savoir du duc de Mortemart si ses pouvoirs allaient jusqu'à le reconnaître en qualité de lieutenant-général du royaume. M. de Mortemart fit une réponse négative et polie, et demanda à son tour au prince, s'il lui répugnerait de consigner dans un billet au roi la déclaration qu'il lui avait faite au début de leur conférence. Le duc d'Orléans écrivit à l'instant de sa main cette déclaration sur un carré de papier. M. de Mortemart enferma soigneusement cet écrit dans un pli de sa cravate; puis il prit congé du prince, et revint au Luxembourg. « Le duc d'Orléans s'est montré parfait, dit-il à quelques personnes; ses sentiments ont été ceux d'un véritable Bourbon! » Mais, quelques heures après, d'autres conseils avaient prévalu, et le duc d'Orléans envoya, dans la matinée, réclamer son écrit à M. de Mortemart, qui le rendit sans objection.

Avant d'expliquer, par les faits qui vont suivre, le brusque changement qui s'était opéré dans les résolutions du prince, il convient de parler d'un autre incident moins mémorable, qui se rattache également à la nuit du 30 juillet.

La cour avait, comme nous l'avons dit, passé cette journée dans une incertitude complète sur le succès de la mission du duc de Mortemart. Vers le soir, Charles X, de plus en plus inquiet, manda le général Arthur de la Bourdonnaye, l'un des gentilshommes de sa chambre, député qui, bien qu'il appartînt à la contre-opposition, s'était concilié l'estime du roi par un caractère honorable et une fidélité éprouvée. Le roi le chargea de partir immédiatement pour Paris, et de lui rapporter des nouvelles du duc de Mortemart. M. de Labourdonnaye ne pénétra dans la capitale qu'à travers mille obstacles et en dissimulant avec soin le nom impopulaire qu'il portait. Il fut accueilli par M. C. Périer avec une bienveillance mêlée d'espoir, et présenté par lui au général Lafayette et aux membres de la Commission municipale; mais il n'obtint d'eux aucune réponse satisfaisante. M. Arthur de Labourdonnaye ne repartit pour Sait-Cloud qu'après avoir vu M. de Mortemart qui lui confia tous les détails de son entrevue avec le duc d'Orléans. Quelques heures avant, le général Alexandre de

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