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CHAPITRE IV.

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Effet produit par le 29e bulletin, annonçant la retraite de Moscou. Arrivée de Napoléon à Paris. Son premier soin est de se faire rendre compte de tous les détails de la conspiration de Malet. Inquiétude qu'il témoigne à ce sujet. - Sa réponse à la grande députation du Sénat. - Organisation d'une nouvelle armée. - Activité prodigieuse que Napoléon apporte à cette opération. La jeune armée, presque toute composée de conscrits, passe le Rhin et rejoint, dans les environs d'Erfurt, les vieux débris de l'armée de Russie, ramenés par le prince Eugène Beauharnais. Arrivée de Napoléon à Erfurt. — Dernières dispositions pour organiser et distribuer en différents corps les forces dont il dispose. Bataille de Lutzen (2 mai 1813) gagnée par Napoléon. Bataille de Bautzen et combat de Wurschen livrés les 19 et 21 mai. Présages sinistres. Morts du maréchal Bessières et de Duroc, grand-maréchal du palais. — Armistice et suspension d'armes pour arriver à une paix définitive. Un congrès se réunit à Prague sous la médiation de l'Autriche. Conditions proposées par les souverains alliés. Elles n'ont rien d'excessif ni d'offensant pour l'honneur de la France. - Hésitation de Napoléon; quand il se détermine enfin à les accepter, l'heure fixée pour l'expiration de l'armistice a sonné. Reprise des hostilités; soulèvement général en Allemagne contre les Français. Tournure menaçante que prennent les affaires d'Espagne; obligation qui en résulte pour Napoléon de diviser ses forces. — tres éprouvés par les lieutenants de Napoléon sur l'Oder et sur l'Elbe. remportée sous les murs de Dresde par Napoléon en personne, avec le seul secours de sa garde. Vandamme, avec un corps de 25,000 hommes, enveloppé de toutes parts, est obligé de mettre bas les armes. - Bataille de Leipsick, gagnée par les alliés; désastreuse retraite de l'armée française sous les murs de Hanau. cherche des causes qui ont amené la funeste issue de la campagne de 1813; réflexions sur ce sujet. Napoléon repasse le Rhin pour la dernière fois le 3 novembre 1813. Typhus qui se déclare dans les hôpitaux de Mayence et décime l'armée et la population.

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Désas

Victoire

- Re

La consternation que le 29e bulletin de la Grande Armée, daté de Wilna, et où étaient retracés, sous les plus sinistres couleurs, tous les désastres de la retraite de Moscou, avait répandue dans la France entière, n'était point encore affaiblie, lorsque, le 20 décembre 1812, on apprit tout à coup le retour de Napoléon aux Tuileries. Il revenait encore une fois comme à son retour d'Egypte, seul, sans armée, sans aucun de ses

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compagnons d'armes qu'il avait entraînés si loin de leur patrie; mais les revers n'avaient point encore dompté ce caractère de bronze, et, loin de renoncer à aucune de ses prétentions à la suprématie européenne, il n'était revenu, disait-on, que pour réunir toutes les ressources de l'Empire, ressaisir la victoire et réparer les désastres de la dernière campagne. Cependant une autre pensée, importune et toujours présente, semblait partager son esprit et le préoccupait au point d'avoir un instant écarté jusqu'au souvenir de toutes les calamités dont il venait d'être le témoin. Il avait appris à Wilna la tentative séditieuse du général Malet et le succès éphémère qu'elle avait obtenu; cette nouvelle avait fait sur sa vive imagination une profonde impression, assuraient ses plus intimes confidents, et l'on devait même la regarder comme la principale cause de son retour précipité. En arrivant, son premier soin avait été de mander le duc de Rovigo, ministre de la police, pour se faire rendre compte de tous les détails de cet étrange attentat qui, conçu par des prisonniers obscurs retenus sous les verrous et privés, pour ainsi dire, de tout moyen d'action, avait été cependant si près de réussir, et avait jeté un moment le désordre dans toute cette monarchie gouvernementale si admirablement constituée par son génie organisateur. Il s'indignait, qu'au bruit de la mort de l'Empereur, répandu par Malet et par ses complices, aucun de ses ministres, aucun des grands corps de l'Etat n'eût songé à opposer le cri de Vive Napoléon 11! « La révolution n'est pas morte, s'écriait-il, ma dynastie n'a pas pris racine. » Celui qui avait tant de fois répété, après Louis XIV: « L'Etat,

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c'est moi, pouvait-il donc s'étonner qu'on l'eût si promptement pris au mot? On voit, cependant, par sa réponse au Sénat, prononcée le jour même de son arrivée, le 20 décembre 1812, combien cette vérité terrible, qui venait de lui être révélée pour la première fois, au milieu des préoccupations de la fatale retraite de Moscou, avait vivement impressionné toutes les facultés de sa tête pensante.

A peine, dans quelques phrases concises et prononcées avec une grande volubilité d'élocution, a-t-il rappelé les causes qui ont amené les désastres de la dernière campagne, couronnée d'abord de succès brillants, que, revenant à la question personnelle qui le préoccupe avant toutes les autres, l'affermissement de sa dynastie, il s'écrie :

« J'ai à cœur la gloire et la puissance de la France; mais mes premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure et mettre à jamais MES peuples à l'abri des déchirements des factions et des horreurs de l'anarchie. C'est sur ces ennemies du bonheur des peuples que j'ai fondé, avec la volonté et l'amour des Français, le trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie... Nos pères avaient pour cri de ralliement : « Le Roi est mort, vive le Roi! » Ce peu de mots contiennent les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l'esprit que MES peuples ont montré dans les différents siècles; j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux diverses époques de notre histoire: j'y penserai encore. »

Un pareil langage n'avait pas besoin de commentaires; il montrait assez, aux hommes qui l'entendaient,

que le temps n'était pas encore venu où les conseils de la prudence et de la modération pourraient se faire écouter, et qu'il faudrait subir des malheurs nouveaux, plus grands encore que ceux qui venaient d'accabler la France, pour ramener Napoléon au véritable sentiment de sa situation. Ce n'était pas, en effet, dans l'histoire de l'ancienne monarchie qu'il fallait, lui souverain nouveau, lui le fils de ses œuvres, chercher des garanties pour le maintien de sa puissance ébranlée, la victoire seule pouvait lui conserver ce que la victoire lui avait donné; c'était dans les inspirations de son génie et dans le dévouement du peuple français qu'il fallait désormais placer sa confiance. Heureusement, cette noble nation, que la Providence n'avait pas encore habituée aux revers, tout entière aux sentiments de sa douleur, oublie que c'est l'orgueil intraitable de Napoléon qui a causé tous ses malheurs, et ne voit en lui que le soldat heureux si souvent couronné par la victoire et qui peut seul, encore aujourd'hui, venger l'affront que ses armes viennent de subir. Elle ne songe pas à lui reprocher ses imprudences; plus généreuse qu'Auguste, elle ne lui crie pas « Varus, où sont mes légions? » Elle ne lui demande pas ce que sont devenus tous ces vieux soldats, vétérans de la République, débris glorieux de ces phalanges invincibles qui ont triomphé à Jemmapes, à Valmy, à Fleurus, à Marengo; elle sait trop qu'ils ont péri, inutiles à la France, dans les plaines brûlantes de l'Espagne et du Portugal, ou dans les flots glacés de la Bérésina; mais elle le conjure de ranimer toutes les puissances de son génie, non pour tenter encore une fois la conquête du monde, rêve si vain et qui lui a été

si fatal, non pour promener de nouveau ses aigles victorieuses de Madrid à Vienne, de Berlin à Moscou, mais pour défendre ces glorieuses frontières que la République lui avait transmises et que déjà les hordes du Nord menacent de toutes parts; puis, avec un admirable patriotisme, elle lui livre ses dernières ressources et ses derniers enfants.

Jamais, a dit un écrivain contemporain, Napoléon ne connut mieux l'empire qu'il exerçait sur la nation française, et jamais, non plus, son génie ne s'exerça avec plus de puissance. L'histoire, en effet, lui doit cette justice, qu'aussitôt que par l'établissement d'un conseil de régence pendant la minorité de l'Empereur, institution empruntée, comme il l'avait annoncé, aux usages de l'ancienne monarchie, il crut avoir pourvu à des dangers imaginaires qui l'avaient plus préoccupé, d'ailleurs, qu'aucun de tous ceux qu'il venait de braver en Russie ou qui le menaçaient encore, son esprit, rendu tout entier aux soins que commandait la terrible situation où se trouvait la patrie, se réveilla avec une énergie et une activité admirables. Il sembla que le malheur avait rendu à son génie toute la verdeur de la jeunesse. C'était surtout dans ces occasions, où il s'agissait de créer des ressources imprévues, et de faire, pour ainsi dire, sortir de terre, par la seule force de sa volonté, des armées équipées, montées, pourvues d'un immense matériel et de tout l'attirail de campagne, que se révélait son talent inimitable d'organisation et de prévoyance. Il renouvela, en 1813, sur une plus grande échelle, le miracle qu'il avait opéré en 1800, à l'avénement du Consulat, lorsque les Autrichiens, maîtres de l'Italie depuis

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