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enfin, le malheur peut-être avait rendu défiant et circonspect ce génie autrefois si actif, si audacieux et si prime-sautier. Le hasard lui-même, jadis son auxiliaire si dévoué, plus encore que l'habileté de ses adversaires, semblait avoir pris plaisir à déjouer ses plus brillantes combinaisons dans le cours de cette funeste campagne. Une fausse manœuvre de Vendamme sauva la Bohême dont une armée française allait envahir les frontières; une crue extraordinaire du Bober fit perdre à Macdonald et à Lauriston le fruit des avantages qu'ils avaient obtenus en Silésie, et enfin une indisposition subite que l'empereur éprouva le lendemain des journées de Dresde, et qui le força de rentrer dans la ville en abandonnant à ses lieutenants la poursuite des armées coalisées qui se retiraient en désordre, l'empêcha de recueillir tous les avantages qu'il devait espérer d'une victoire qui avait coûté plus de 10,000 hommes à la coalition, et dont le succès bien exploité aurait pu rétablir ses affaires pour le reste de la campagne. Ce dernier fait, quoique contredit par M. Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l'Empire, a été trop souvent attesté par des personnages contemporains pour qu'il ne soit pas admis comme une vérité historique, et on peut le regarder comme une preuve nouvelle de l'influence qu'exercent les dispositions physiques sur l'esprit des plus grands hommes, et de la part qu'ont si souvent les causes les plus légères sur la production des plus graves événements'.

1 M. le duc de Bassano, qui, comme d'ordinaire, était resté près de Napoléon pendant tout le cours de la campagne de 1813, a souvent conté en ma présence cette anecdote dans les salons de M. le comte de Ponté

Le 3 novembre 1813, Napoléon repasse le Rhin pour la dernière fois. Il arrive à Mayence; de cette intrépide armée qui s'était levée comme par enchantement pour venger les revers de la campagne de 1812, il ne ramène que des débris, et encore, ces jeunes soldats dont l'âge n'a point encore affermi la constitution, éprouvés par les fatigues de marches continuelles, par les privations d'une campagne de six mois, sans magasins, sans distributions régulières, sont hors d'état, pour la plupart, de faire un service actif; ils vont encombrer les hôpitaux où bientôt la fièvre et le typhus, nouveaux fléaux qui combattent pour la coalition, déciment ces faibles enfants que la mitraille avait épargnés et sévissent jusque sur les populations qui ont recueilli leur misère.

Ainsi, se termina la campagne de 1813, plus fatale peut-être à la France, et plus humiliante pour les armes de Napoléon que n'avait été la campagne précédente. En Russie, il n'avait été vaincu que par les éléments; sur l'Elbe et la Saale, il avait montré à la coalition que la persistance et l'union pouvaient triompher à la fin de son audace et des plus savantes combinaisons de son génie. Il avait laissé dans les neiges de Malojareslawetz et sous les glaces de la Bérézina ce qui restait à la France des vieux soldats de la République ou des pre

coulant, dont il était l'un des habitués. Pour donner encore plus d'authenticité à son récit, il ajoutait que c'était une tranche de pâté de foie gras qu'avait mangée Napoléon; les douleurs avaient été si vives, qu'un moment il s'était cru empoisonné. Voilà donc la véritable cause de son retour précipité dans les murs de Dresde, retour qui amena la catastrophe de Vandamme, et décida probablement du sort de la campagne. A quoi tiennent cependant les destinées des empires!!! (Note du Réd.) 11

III.

mières guerres de l'Empire, mais, sous les murs de Dresde et dans les champs de Leipsick, il avait dissipé toutes les ressources de l'avenir, toute cette brillante jeunesse sur laquelle la France avait fondé l'espoir de sa grandeur future et qui devait un jour remplacer, sous ses glorieux drapeaux, ces énergiques volontaires de 1792, qui les avaient tant illustrés, lorsque l'heure de la retraite serait sonnée pour eux. Comme ces enfants prodigues, qui dissipent en un jour les biens péniblement accumulés par un père économe et prévoyant, Napoléon avait dissipé dans cette fatale campagne toutes les forces vitales de la France, tous ces jeunes gens arrachés aux bras maternels, à leurs travaux champêtres, et quelquefois même aux bancs du collége, étaient tombés sous la mitraille et le typhus comme les épis fauchés par un moissonneur imprudent, avant d'avoir acquis toute leur maturité, et maintenant la France, au moment d'être envahie par ces phalanges du Nord que Napoléon avait été chercher presque sous le pôle arctique, n'avait plus à opposer à l'invasion de ces hordes barbares, qui la pressaient de toutes parts, que des enfants imberbes, des femmes et des vieillards.

Les gardes d'honneur.

CHAPITRE V.

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Position

Napoléon quitte Mayence et arrive à Saint-Cloud le 9 novembre 1813. terrible où la France se trouve réduite. -Mesures politiques prises par l'Empereur.- Le pape est rendu à la liberté; il quitte Fontainebleau le 23 janvier pour retourner à Rome. Un traité signé le 11 décembre avec Ferdinand VII, roi d'Espagne, lui rend le trône et la liberté. Par les suggestions de M. de Talleyrand, Ferdinand refuse de profiter des bienfaits de Napoléon. - Celui-ci, à bout de ressources, se résont à faire un appel à l'opinion publique et à demander au Sénat et au Corps législatif des mesures énergiques et la levée en masse du peuple français. - Difficultés que l'état des partis, qui divisent la France, oppose à une telle entreprise. Le prince de Talleyrand est le chef occulte de la trame ourdie par la faction royaliste pour amener la chute de Napoléon. Portrait de cet homme d'État, sa profonde corruption, sa versatilité. Napoléon, instruit de toutes ses trahisons, dédaigne de s'en occuper; suite funeste de cette générosité. - Un second parti, plus nombreux que le premier, conspire contre le régime impérial; il a pour chef le duc d'Otrante. Noble attitude, au milieu de ces lâches défections, des membres des anciennes assemblées appartenant au parti constitutionnel. Discours de l'Empereur à l'ouverture de la session législative. — Remise des pièces relatives aux négociations entamées avec les puissances alliées. — Adresse du Sénat en réponse au discours du trône. La commission de l'adresse du Corps législatif, sous l'influence de MM. Lainé et Reynouard, réclame des garanties pour la liberté individuelle et pour la liberté de la presse, et des institutions politiques contre tout retour au despotisme. - Inopportunité d'une pareille demande dans les circonstances où l'on se trouve. Napoléon fait saisir au Moniteur l'épreuve du projet d'adresse présenté par la commission du Corps législatif; il ordonne que la planche en soit détruite. Ajournement de la session législative; les députés reçoivent l'ordre de retourner dans leurs provinces. Violente sortie de Napoléon contre la grande députation du Corps législatif venue pour le complimenter à l'occasion du renouvellement de l'année. Effet produidans Paris par cette imprudente manifestation. M. de Pontécoulant est appelé aux Tuileries. - Napoléon lui annonce qu'il l'a nommé commissaire extraordinaire dans quatre des départements réunis, avec les pouvoirs les plus étendus pour organiser dans les provinces belges les moyens de résistance contre l'invasion étrangère.-Conversation de Napoléon, où se révèlent ses plus secrètes pensées et ses dernières illusions; il ne consentira jamais à accepter aucune condition de paix contraire au serment qu'il a prêté en montant sur le trône. M. de Pontécoulant arrive à Bruxelles et se rend immédiatement à Anvers, où il trouve le général Maison, nommé commandant en chef du corps d'armée qui doit le secon der. - Faiblesse réelle de ce corps, dont Napoléon a exagéré démesurément l'importance, et avec lequel le général Maison est chargé de couvrir la frontière belge depuis Anvers jusqu'à Liége. Bonnes dispositions que prend ce général pour défendre la ligne de l'Escaut. M. de Pontécoulant revient à Bruxelles, où sa présence rétablit la confiance un moment ébranlée par les progrès de la coalition. Fidélité du peuple belge jusqu'au dernier moment de l'occupation française L'armée anglo-prussienne force la ligne de l'Escaut; les Russes, sous la conduite

de Wintzingerode, passent la Meuse; le général Maison, débordé sur ses deux flancs et menacé d'être tourné, se retire par Louvain sur Bruxelles. Les autorités françaises évacuent cette ville au milieu des témoignages les plus sympathiques de regret et d'attachement de toutes les classes de la population belge. Le corps du général Maison se retire dans le meilleur ordre sous les murs de Tournay. Exploits de cette petite armée pendant le reste de la campagne. -M. de Pontécoulant, après la rentrée du corps du général Maison dans les anciennes limites de la France et la complète évacuation de la Belgique, jugeant désormais sa mission terminée, retourne à Paris et va reprendre son siège au Sénat.

Cependant Napoléon, dont les regards se tournent toujours vers Paris, toutes les fois qu'il s'agit de demander à la patrie quelque nouveau sacrifice pour conjurer les malheurs qu'ont amenés son imprudence ou la fatalité qui le poursuit, s'est empressé de quitter Mayence et de s'arracher aux sinistres tableaux que cette triste cité lui présente; le 9 novembre, on apprend qu'il est de retour à Saint-Cloud. Les circonstances sont pressantes; jamais la France, à aucune époque de son histoire, ne s'est trouvée dans une position si critique, dans un péril si éminent. Quand les armées coalisées envahirent son territoire en 1792, la Prusse et l'Autriche avaient seules fourni leurs faibles contingents, et ces troupes, mal instruites, mal disciplinées, sous des chefs hésitants et timides, n'avaient pu résister à l'élan d'un peuple qui s'était levé avec enthousiasme aux premiers cris de la liberté. Le canon de Valmy avait suffi pour dissiper l'armée prussienne, et les efforts des Autrichiens s'étaient épuisés devant les remparts de Lille. Mais aujourd'hui, c'est l'Europe tout entière qu'il faut vaincre; ce sont des troupes aguerries, ce sont des chefs habiles auxquels Napoléon lui-même a enseigné le grand art de la tactique qui subjugue les empires, qu'il faut arrêter dans leur marche victorieuse;

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