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quences du système représentatif. Mais on doit cette justice au ministère vraiment national qui gouvernait alors le pays, qu'il ne fit que suivre l'exemple qui lui avait été donné en 1815 par l'administration de M. de Richelieu; que l'introduction qui avait eu lieu alors dans la première Chambre d'un grand nombre de pairs qui n'avaient de titres que leur affiliation au parti rétrograde, l'avait mis dans l'impossibilité d'user d'aucun moyen de persuasion pour rétablir l'harmonie d'opinions entre les deux Chambres législatives, et enfin que les choix qu'il proposa au Roi, à quelques exceptions près, furent en général approuvés par la nation entière. La liste des nouveaux pairs, en effet, se composait en grande partie de citoyens recommandables par leurs services et leurs talents, soit dans l'administration, soit dans l'armée, et que les événements de 1815 avaient condamnés à une retraite prématurée. On y voyait figurer les maréchaux Suchet, duc d'Albuféra, Lefèvre, duc de Dantzick, Davoust, prince d'Eckmuhl, Mortier, duc de Trévise, les comtes Daru, Chaptal, Mollien, Lacépède, etc.

Le nom du comte de Pontécoulant n'avait pu être oublié sur cette honorable liste, et s'il éprouva quelque satisfaction à rentrer, après un exil de trois ans, dans cette même Chambre, dont les passions aveugles qui accompagnent toujours les dissensions civiles avaient pu seules le faire écarter, ce fut surtout en y rentrant en aussi bonne compagnie.

CHAPITRE II.

Entretien avec le comte Decazes, ministre de l'intérieur. M. de Pontécoulant reprend son siége à la Chambre des pairs. Composition de cette Chambre - État de la société parisienne au commencement de l'année 1819. Discussion de la loi sur la liberté de la presse. Belles paroles prononcées par M. de Serre, ministre de la justice. La loi est adoptée à la majorité de 130 voix contre 30.Pétitions pour le rappel des bannis. M. de Serre prononce imprudemment le mot jamais, à propos de la rentrée en France des régicides. - Défaveur que cette malheureuse expression attache à son nom dans le parti libéral. verture de la session de 1819. Nouvelles appréhensions qu'il répand sur le maintien des libertés constitutionnelles. - Le général Dessolle, le maréchal Gouvion Saint-Cyr et le baron Louis se retirent du ministère. M. Decazes devient pré

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Discours d'ou

sident du Conseil. — Assassinat du duc de Berry le 13 février 1820.- Louvet, son assassin, est traduit devant la Cour des pairs et condamné à mort. - Le ministère saisit cette occasion pour présenter trois projets de lois dirigés contre nos plus précieuses garanties constitutionnelles, la liberté individuelle, la liberté de la presse et la loi des élections. M. Decazes, malgré la faveur du Roi, en butte aux intrigues et aux calomnies de la faction ultra-royaliste, est obligé à résigner ses foncRéflexions sur le caractère de cet homme d'Etat. M. le duc de Ri

tions.

chelieu accepte la direction du nouveau cabinet en qualité de ministre-président sans portefeuille. Violente opposition qu'éprouve à la Chambre des pairs l'adoption des trois lois rétrogrades. Brillante discussion soutenue par tous les amis des principes constitutionnels. Système du double vote ou des grands colléges introduit pour la première fois dans la loi électorale. Modification qui en résulte dans le ministère; MM. Pasquier, Siméon et de Serre remettent leurs portefeuilles; ils sont remplacés par MM. de Villèle, Corbières et de Peyronnet.-M. de Richelieu, débordé par la faction ultra-royaliste, donne sa démission. Caractère de ce ministre, son noble désintéressement digne d'être cité comme exemple à ses successeurs. - Mort de Napoléon à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821. — M. de Villèle s'empare de la présidence; sourde agitation et réveil de toutes les passions politiques, produits par l'avènement au pouvoir du parti ultra-légitimiste. — Révolutions en Italie et en Espagne; M. de Chateaubriand, notre ministre plénipotentiaire au congrès de Vérone, fait décider l'envoi d'une armée française en deçà des Pyrénées. M. de Villèle cède, malgré sa répugnance. Le député Manuel, rappelé à l'ordre pour quelques paroles imprudentes échappées dans un discours prononcé à cette occasion, sur la dénonciation de M. de La Bourdonnaie, est expulsé de la Chambre par la force armée. - Influence fàcheuse de cet incident sur l'affermissement de la Restauration. Succès inespéré de notre intervenBeau fait d'armes du Trocadero. Retour triomphant du duc d'Angoulême et de son armée. Réception brillante qu'il reçoit du Roi et de la famille royale. Il est regardé par le parti royaliste comme le sauveur de la

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La faction ultra-royaliste, enhardie par l'heureuse issue de la guerre d'Espagne, profite de ce moment pour tenter de nouveaux empiétements sur le domaine des libertés publiques. — Ouver

ture de la session de 1824; le Roi, dans son discours, annonce la présentation de deux projets de lois, l'un pour le renouvellement septennal de la Chambre, l'autre pour la conversion de la rente 5 pour 100 en titres de rentes 3 pour 100. — La première de ces propositions, qui est l'œuvre de M. de Chateaubriand, ministre des affaires étrangères, est adoptée dans les deux Chambres; la seconde, qui appar tient entièrement à M. de Villèle, après avoir subi l'épreuve de la Chambre das députés, est repoussée par la Chambre des pairs. Différend qui s'élève à cette occasion entre les deux ministres. M. de Villèle obtient du Roi l'éloignement de son antagoniste. — M. de Chateaubriand se jette dans l'opposition la plus violente. - Prudentes mesures prises par M. de Villèle pour s'assurer du pouvoir et parer aux éventualités que peut amener la mort du Roi, dont la santé, de plus en plus altérée, fait prévoir la fin prochaine. Recomposition du ministère; M. de Damas passe au ministère des affaires étrangères; M. de Chabrol est appelé à celui de la marine; M. de Bourmont à celui de la guerre. Mort du roi Louis XVIII. sa fermeté stoïque à ses derniers moments. sur ce prince.

Jugement que la postérité porter

M. de Pontécoulant avait supporté avec la fermeté que donne une conscience tranquille et la conviction d'avoir noblement rempli son devoir, cette espèce d'ostracisme dont il avait été l'objet. Jamais une plainte n'était sortie de sa bouche, mais il avait vivement ressenti cette injustice pour tant de services rendus à la cause de l'ordre, de la liberté et de l'indépendance nationale avec tant de courage, de patriotisme et de désintéressement. Il avait plus d'une fois regretté sans doute, dans les secrets replis de sa pensée, de se voir, dans la maturité de l'âge et du talent, écarté des affaires publiques et condamné à une inaction forcée dans les temps où son pays avait plus que jamais besoin des conseils de la sagesse, de l'expérience et de la modération. Il reçut donc avec une satisfaction qu'il ne se crut pas obligé de dissimuler, la nouvelle de la réparation un peu tardive qui venait de lui être accordée; mais, en en témoignant sa reconnaissance au ministre qui l'avait vivement appuyée auprès du Roi', il crut en même temps devoir lui déclarer que ses sentiments personnels

1 M. Decazes.

ne pouvaient enchaîner l'indépendance de l'homme public et qu'il resterait dans la Chambre des Pairs, comme il l'avait été dans toutes les précédentes assemblées, en dehors de tout assujettissement de parti ou de système et libre de ces engagements antérieurs qui font perdre à l'homme politique une partie de sa force, de son influence, et de sa dignité. Le ministre le remerçia de sa noble franchise et l'assura qu'une administration qui ne voulait gouverner que dans l'esprit de la Charte bien entendu et loyalement interprété, ne demandait à ses amis que les conseils de la sagesse et le concours de leur patriotisme.

M. de Pontécoulant retrouva au palais du Luxembourg un grand nombre d'anciens collègues avec lesquels il était lié depuis longtemps par une rare confraternité d'opinions et de périls, Boissy d'Anglas, qui, porté comme lui et pour les mêmes causes sur la liste d'exclusion du 24 juillet 1815, avait trouvé le moyen, avec le bonheur ou l'adresse qui ne lui fit jamais défaut dans toutes les phases de sa carrière politique, de rentrer à la Chambre quelques mois après en avoir été banni; Lanjuinais, toujours invariable dans ses principes, mais qui malheureusement, par un étrange anachronisme, avait conservé à la Chambre des Pairs cette rudesse bretonne, cette irritabilité de langage qui avaient signalé son courage à la tribune de la Convention, mais qui étaient déplacées dans une assemblée où le seul péril qu'il courait était d'irriter par la violence de ses formes ceux mêmes qui étaient tout disposés à partager ses opinions et ses idées. M. de Pontécoulant savait mieux l'art de conformer son langage aux besoins de la situation, et

se serait bien gardé d'employer pour combattre des idées surannées les mêmes armes dont il avait fallu se servir pour repousser les motions sanguinaires de la Montagne. Son noble caractère, son éloquence convaincante, ses manières distinguées, lui acquirent bientôt une grande influence dans la Chambre, et lui conquirent de nouveaux amis qui s'unirent aux anciens pour défendre au sein de cette assemblée, naguère si exclusivement aristocratique, tous les principes de la liberté constitutionnelle et de la monarchie tempérée. On peut dire que c'est à partir de cette époque que la Chambre des Pairs conquit dans l'opinion cette haute estime et cette confiance honorable qui faisaient tourner vers elle les yeux de tous les bons citoyens dès qu'une des libertés publiques était menacée par les partis rétrogrades ou par les fautes du ministère. Cette confiance, justifiée par de beaux talents et de nobles caractères, aurait pu servir, avec plus de prévision dans le gouvernement, à établir les vrais fondements de la seule aristocratie qu'on puisse désormais supporter en France, celle qui s'appuie sur un mérite réel et sur des services rendus au pays, et à montrer dans tout son jour l'utilité souvent contestée de ce pouvoir modérateur, l'un des éléments indispensables à l'action des institutions représentatives, si l'on avait su profiter d'un éclair de faveur populaire et de raison ministérielle, deux choses toujours si passagères dans notre pays.

Cette année 1819, à laquelle nous sommes parvenus, mérite que nous nous y arrêtions encore un moment, parce qu'elle forme une époque mémorable dans l'histoire de la Restauration; celle où une ère nouvelle

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