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ainée des Bourbons sur le trône de Louis XVIII. Pensant donc que c'était le seul moyen de le raffermir sur ses bases, après l'ébranlement qu'il venait de recevoir, ils jugèrent d'un commun accord que le meilleur parti à prendre dans la terrible conjoncture où l'on se trouvait, puisque le roi Charles X était contraint à une abdication désormais inévitable, serait de reporter la couronne sur la tête du duc de Bordeaux, en faveur duquel on obtiendrait de M. le duc d'Angoulême la renonciation à ses droits légitimes. Plusieurs pairs et plusieurs députés, appelés aussitôt au Luxembourg, adhérèrent à cette combinaison, qui avait le grand avantage de conserver intact le grand principe de la légitimité, cette ancre de salut si précieuse comme la plus ferme garantie de toutes les libertés publiques, et chacun d'eux promit d'employer ses efforts à la faire réussir. M. de Sémonville, accompagné de M. de Pontécoulant, se chargea de retourner à Saint-Cloud pour la faire agréer à Charles X et Monseigneur le Dauphin. Les députés présents à la conférence coururent chez les plus influents de leurs collègues, pour les disposer à l'appuyer à la Chambre des représentants qui allait se réunir; malheureusement, la rapidité des événements, qui marchaient avec ce qu'on a si bien nommé la furia francese, ne permit pas le succès de cette heureuse transaction, qui aurait peut-être préservé le pays de révolutions nouvelles.

En effet, M. le duc d'Orléans, invité par un message de la Chambre des députés à prendre les fonctions de lieutenant-général du Royaume, s'était rendu de Neuilly à Paris dans la soirée du 30 juillet. Le 31 au matin, une proclamation annonçait aux Parisiens son arrivée et son

acceptation. « Les Chambres vont se réunir, disait le prince, et aviseront aux moyens d'assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation. La Charte, désormais, sera une vérité. » Ces mots avaient été accueillis avec enthousiasme, et l'on peut dire qu'au moins, cette fois, ils ne contenaient pas une vaine promesse; ils renfermaient tout le programme du gouvernement nouveau que la France allait consacrer et qu'un règne de dix-huit ans, malgré sa fin malheureuse, n'a pas démenti. Une proclamation émanée en même temps de l'Hôtel-de-Ville débutait par ces mots, qui fixaient une grande question déjà tranchée par la voix du peuple au milieu des cris de la victoire: « Charles X a cessé de régner. » La proclamation annonçait ensuite que la Chambre allait s'assembler pour s'occuper de pourvoir à la vacance du trône et aux garanties politiques réclamées par la nation.

Mais tandis que les députés réunis s'occupaient de ces graves délibérations, une vive agitation s'était emparée des masses populaires encore en effervescence, à la lecture de la proclamation du duc d'Orléans. Les craintes d'une tentative de restauration en faveur de Charles X ou d'un membre de sa famille s'étaient tout à coup répandues dans la multitude, et l'on devait redouter qu'une manifestation armée ne vint de nouveau jeter le trouble dans la cité, où l'ordre commençait à peine à se rétablir. Ce fut sous l'empire de l'inquiétude que ces nouvelles avaient fait naître dans toutes les classes de la population que la Chambre décida que, pour calmer l'effervescence des esprits et pour rassurer la multitude, une démarche solennelle serait faite par le lieutenant-géné

ral du royaume, accompagné de tous les députés réunis autour de sa personne; qu'on se rendrait à l'Hôtel-deVille, où le prince consacrerait par un serment irréfragable les engagements pris dans sa proclamation. Une adresse au peuple français est aussitôt rédigée, votée d'enthousiasme, et l'on se dirige vers le Palais-Royal, d'où la Chambre ressort bientôt après, ayant à sa tête, cette fois, S. A. le duc d'Orléans accompagné de ses deux fils les ducs de Chartres et de Nemours, revêtu de l'uniforme de lieutenant-général, portant à son chapeau la cocarde tricolore et, pour toute décoration sur sa poitrine, l'étoile de la Légion d'honneur. Une foule immense, qui va toujours augmentant pendant le trajet, accompagne le cortége jusque sur les marches de l'Hôtel-de-Ville, et par d'innombrables acclamations semble consacrer l'alliance, désormais indissoluble, du Prince et des représentants du pays.

On sait quels furent les résultats de cette visite à l'Hôtel-de-Ville; le duc d'Orléans devant une nombreuse assemblée, dont la commission municipale et la Chambre des députés formaient la plus notable partie, entendit la lecture de la proclamation que la Chambre des députés adressait à la France; cet acte solennel consacrait les principes de la Charte nouvelle, ou plutôt de la Charte amendée, qui allait désormais former le droit politique du peuple français. La Chambre déclarait, en son nom, que ce pacte serait soumis à l'acceptation du souverain que le choix de la nation allait consacrer; ce fut ce qu'on appela dans la suite le programme de l'Hôtel-de-Ville. La proclamation se terminait par une énonciation rapide des garanties que le duc

d'Orléans présentait à son pays : « Le duc d'Orléans est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle; il en a toujours défendu les intérêts et professé les principes; il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens!! Français, le duc d'Orléans a déjà parlé, et son langage est celui qui convient à un pays libre. » Le prince était très-ému, il répondit avec un trouble visible Je déplore, comme Français, le mal fait au pays, et le sang qui a été versé; comme prince, je suis heureux de contribuer au bonheur de la nation. Ces paroles, qui exprimaient avec simplicité toutes les difficultés de la position délicate où le prince se trouvait placé, firent sur l'assemblée une profonde impression. Il parut ensuite au balcon, où il embrassa de nouveau le général Lafayette, qui représentait dans ces grandes journées le principe de la liberté triomphante, et salua en agitant un drapeau tricolore l'immense population qui remplissait la place. Le cortége reprit enfin le chemin du Palais-Royal, escorté d'une population plus nombreuse encore que celle qui l'avait accompagné jusqu'à l'Hôtel-de-Ville, et salué dans tout le cours de ce long trajet par les plus enthousiastes acclamations.

Après une démarche si publique et si éclatante, il était difficile de revenir en arrière, et les engagements mutuels pris à l'Hôtel-de-Ville entre le duc d'Orléans et les députés du pays, en présence d'un si grand nombre de témoins, accourus pour contempler ce singulier spectacle, semblaient fermer pour jamais à tout autre concurrent les avenues du trône. Aussi, lorsque dans la séance du 3 août, il fut donné connaissance à la Chambre de l'acte d'abdication du roi Charles X et de

monseigneur le duc d'Angoulême en faveur du duc de Bordeaux, cet acte ne produisit chez les uns qu'une nouvelle irritation, et chez les autres qu'un sentiment de pitié, pour des malheurs désormais irréparables. Cependant, la nécessité de constituer le gouvernement sur des bases définitives, se faisait sentir aux meilleurs esprits; le provisoire ne pouvait se prolonger sans les plus graves dangers pour la tranquillité publique, et sans laisser entrevoir aux partis dissidents des espérances qui pouvaient allumer les brandons d'une nouvelle guerre civile. La Chambre des députés s'était déclarée en permanence pour achever la vérification des pouvoirs, et pour fixer par une libre discussion le nouveau pacte social, qui devait lier désormais la nation au souverain qu'elle allait se choisir. Cet acte devait être rédigé en termes si clairs et si positifs, qu'il ne pût en résulter à l'avenir aucune fausse interprétation, et que les prérogatives de la couronne et les franchises nationales fussent désormais séparées par des barrières infranchissables. Car c'était uniquement pour atteindre ce but que la plus généreuse partie de la population parisienne avait d'abord pris les armes, et si ce but ensuite avait été dépassé, c'était l'opiniâtreté seule d'un roi aveuglé par un zèle fanatique et par les conseils de ministres prévaricateurs qu'il en fallait accuser, mais l'on devait se presser d'y revenir et satisfaire au vœu unanime de la nation, qui s'était énergiquement prononcée pour le maintien des formes protectrices du gouvernement représentatif, sous l'abri tutélaire du pouvoir monarchique.

Tels étaient les conseils de la prudence et de la rai

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