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nonciation du mandataire cette condition qu'elle ne blesserait pas les intérêts du commettant; car si elle préjudiciait au mandant, il devrait en être indemnisé par le mandataire, à moins que celuici ne se trouvât dans l'impossibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable. Ce dernier ménagement est bien dû au désintéressement du mandataire; et dans l'alternative d'un préjudice inévitable d'un côté ou de l'autre, il eût été tout à fait injuste d'exposer le mandataire à le souffrir.

La confiance se concentre toute entière dans les personnes qui se la donnent; elle doit nécessairement s'éteindre avec elles. Ainsi le mandat finit par la mort du commettant et par celle du mandataire. La confiance du commettant ne peut enchainer celle de ses successeurs, pas plus qu'il ne peut être forcé lui-même à l'étendre aux héritiers du mandataire. Tout ce qui reste à faire aux héritiers après la mort du mandataire, est d'en donner avis au commettant et de pourvoir, en attendant, à ce que les circonstances peuvent exiger pour l'intérêt de ce dernier.

La mort civile, l'interdiction, la déconfiture soit du mandant, soit du mandataire, doivent produire les mêmes effets. Comment des services qui exigent de la probité, de l'intelligence et une certaine responsabilité, pourraient-ils continuer d'être acceptés ou rendus, lorsque le mandant ou le manilataire ont été frappés de mort civile, lorsqu'ils ont perdu l'usage de la raison, ou lorsque le désordre de leurs affaires a entraîné la subversion générale de leur fortune? Le commettant qui a subi de pareils accidents n'a plus d'affaires à gérer; tout ce qu'il possédait a passé dans la main des successeurs, des créanciers, ou d'un tuteur. Le mandataire qui est dans le même cas ne mérite plus aucune confiance, et tous les liens qui les unissaient l'un à l'autre sont nécessairement rompus.

Cependant les causes de ce genre de dissolution peuvent être ignorées soit par le mandataire, soit par les tiers avec lesquels il est chargé de contracter.

Cette possibilité a déterminé les auteurs du projet à joindre ici deux dispositions très-justes. L'une porte que, si le mandataire ignore la mort du mandant, ou l'une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu'il a fait dans cette ignorance est valide; l'autre veut que, dans tous les cas, les engagements soient exécutés à l'égard des tiers qui sont de bonne foi.

Citoyens tribuns, ici finit, avec le projet de loi, ma discussion analytique.

J'ai tâché de vous faire connaître la justesse et l'exactitude de la définition du mandat, la vérité avec laquelle la nature et le caractère de ce contrat ont été développés, la simplicité de ses formes, la précision et la fécondité des règles qui concernent les obligations respectives du mandant et du mandataire, et enfin la conséquence parfaite des motifs qui font cesser le mandat avant qu'il ne soit accompli.

J'ai rempli moi-même le mandat qui m'a été confié par la section de législation; je l'ai rempli, non sans une juste défiance de la faiblesse de mes moyens comparés aux grands talents qui sont l'apanage de cette tribune; mais si je n'ai pu satisfaire l'attente de mes commettants, j'espère du moins que mes efforts me mériteront leur indulgence.

La section de législation vous propose, par mon organe, l'adoption du projet de foi."

Le Tribunat ordonné l'impression du rapport de Tarrible.

La discussion du projet de loi est ajournée. La séance est levée.

CORPS LEGISLATIF.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN FONTANES. Séance du 17 ventóse an XII (jeudi 8 mars 1804). Le procès-verbal de la séance d'hierest approuvé. Les citoyens Bigot-Préameneu, Miot et Najac, conseillers d'Etat, sont introduits.

Le citoyen Bigot-Préameneu présente un projet de loi relatif à la prescription (Code civil, titre XX, livre III). En voici le texte et l'exposé des motifs:

Projet de loi.

Des différentes manières dont on acquiert la propriété. TITRE XX.

De la prescription.

CHAPITRE PREMIER.

Dispositions générales.

Art. 1er. La prescription est un moyen d'acquérir, ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi.

Art. 2. On ne peut d'avance renoncer à la prescription: on peut renoncer à la prescription acquise.

Art. 3. La renonciation à la prescription est expresse ou tacite la renonciation tacite résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis.

Art. 4. Celui qui ne peut aliéner ne peut renoncer à la prescription acquise.

Art. 5. Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.

Art. 6. La prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant le tribunal d'appel, à moins que la partie qui n'aurait pas opposé le moyen de la prescription ne doive par les circonstances être présumée y avoir renoncé.

Art. 7. Les créanciers, ou tout autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer, encore que le débiteur ou le propriétaire y

renoncent.

Art. 8. On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce.

Art. 9. La nation, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer.

CHAPITRE II.

De la possession.

Art. 10. La possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom.

Art. 11. Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

Art. 12. On est toujours présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre.

Art. 13. Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire.

Art. 14. Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. Art. 15. Les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d'opérer la prescription. La possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé.

Art. 16. Le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire, sauf la preuve contraire.

Art. 17. Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel, soit à titre lucratif ou onéreux.

CHAPITRE III.

Causes qui empêchent la prescription.

Art. 18. Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais, par quelque laps de temps que ce soit.

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Ainsi, le fermier, le dépositaire, l'usufruitier et tous les autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne peuvent la prescrire.

Art. 19. Les héritiers de ceux qui tenaient la chose à quelqu'un des titres désignés par l'article précédent ne peuvent non plus prescrire.

Art. 20. Néanmoins les personnes énoncées dans les articles 18 et 19 peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d'un tiers, soit par la contradiction qu'elles ont opposée au droit du propriétaire.

Art. 21. Ceux à qui les fermiers, dépositaires et autres détenteurs précaires, ont transmis la chose par un titre translatif de propriété, peuvent la prescrire.

Art. 22. On ne peut pas prescrire contre son titre, en ce sens que l'on ne peut point se changer à soi-même la cause et le principe de sa possession.

Art. 23. On peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on prescrit la libération de l'obligation que l'on a contractée.

CHAPITRE IV.

Causes qui interrompent ou qui suspendent le cours de la prescription.

SECTION PREMIÈRE.

Des causes qui interrompent la prescription. Art. 24. La prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement.

Art. 25. Il y a interruption naturelle, lorsque le possesseur est privé pendant plus d'un an de la jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soit même par un tiers.

Art. 26. Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile.

Art. 27. La citation en conciliation devant le bureau de paix interrompt la prescription du jour de sa date, lorsqu'elle est suivie d'une assignation en justice, donnée dans les délais de droit.

Art. 28. La citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription. Art. 29. Si l'assignation est nulle par défaut de forme,

Si le demandeur se désiste de sa demande,
S'il laisse périmer l'instance,

Ou si sa demande est rejetée,

L'interruption est regardée comme non avenue.

Art. 30. La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur, ou le possesseur, fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.

Art. 31. L'interpellation faite, conformément aux articles ci-dessus, à l'un des débiteurs solidaires, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

L'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, n'interrompt pas la prescription à l'égard des autres cohéritiers, quand même la créance serait hypothécaire, si l'obligation n'est indivisible.

Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt la prescription à l'égard des autres codébiteurs que pour la part dont cet héritier est tenu.

Pour interrompre la prescription pour le tout à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé, où la reconnaissance de tous ses héritiers.

Art. 32. L'interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre la caution.

SECTION II.

Des causes qui suspendent le cours de la prescription. Art. 33. La prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par une loi.

Art. 34. La prescription ne court pas contre les mineurs et les interdits, sauf ce qui est dit à l'article 60 ci-après, et à l'exception des autres cas déterminés par la loi. Art. 35. Elle ne court point entre époux. Art. 36. La prescription court contre la femme mariée, encore qu'elle ne soit point séparée par un contrat de mariage ou en justice, à l'égard des biens dont le mari a l'administration, sauf son recours contre le mari. Art. 37. Néanmoins elle ne court point pendant le

mariage à l'égard de l'aliénation d'un fonds constitué selon le régime dotal, conformément à l'article... au titre du contrat de mariage.

Art. 38. La prescription est pareillement suspendue pendant le mariage:

1o Dans le cas où l'action de la femme ne pourrait être exercée qu'après une option à faire sur l'acceptation ou la renonciation à la communauté ;

2o Dans le cas où le mari, ayant vendu le bien propre de la femme sans son consentement, est garant de la vente, et dans tous les autres cas où l'action de la femme réfléchirait contre le mari.

Art. 39. La prescription ne court point à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition jusqu'à ce que la condition arrive;

A l'égard d'une action en garantie jusqu'à ce que l'éviction ait lieu;

A l'égard d'une créance à jour fixe jusqu'à ce que ce jour soit arrivé.

Art 40. La prescription ne court pas contre l'héritier bénéficiaire à l'égard des créances qu'il a contre la succession.

Elle court contre une succession vacante, quoique non pourvue de curateur.

Art. 41. Elle court encore pendant les trois mois pour faire inventaire et les quarante jours pour délibérer.

CHAPITRE V.

Du temps requis pour prescrire.

SECTION PREMIÈRE.

Dispositions générales.

Art. 42. La prescription se compte par jour et non par heure. Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.

Art. 43. Dans les prescriptions qui s'accomplissent dans un certain nombre de jours, les jours complémentaires sont exceptés.

Dans celles qui s'accomplissent par mois, celui de fructidor comprend les jours complémentaires.

SECTION II.

De la prescription trentenaire.

Art. 44. Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

Art. 45. Après vingt-huit ans de la date du dernier titre, le débiteur d'une rente peut être contraint de fournir à ses frais un titre nouvel à son créancier ou à ses ayants

cause.

Art. 46. Les règles de la prescription sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent titre sont expliquées dans les titres qui leur sont propres.

SECTION III.

De la prescription par dix et vingt ans. Art. 47. Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort du tribunal d'appel dans l'étendue duquel l'immeuble est situé; et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit

ressort.

Art. 48. Si le véritable propriétaire a eu son domicile en différents temps dans le ressort et hors du ressort, il faut, pour compléter la prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de présence un nombre d'années d'absence double de celui qui manque pour compléter les dix années de présence.

Art. 49. Le titre nul par défaut de forme ne peut servir de base à la prescription de díx et vingt ans.

Art. 50. La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi la prouver.

Art. 51. Il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition.

Art. 52. Après dix ans l'architecte et les entrepreneurs sont déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont faits ou dirigés.

SECTION IV.

De quelques prescriptions particulières. Art. 53. L'action des maîtres et instituteurs des sciences et arts, pour les leçons qu'ils donnent au mois ;

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Se prescrivent par un an.

Art. 55. L'action des avoués, pour le paiement de leurs frais, et salaires, se prescrit par deux ans à compter du jugement des procès, ou de la conciliation des parties, ou depuis la révocation desdits avoués. A l'égard des affaires non terminées, ils ne peuvent former de demandes pour leurs frais et salaires qui remonteraient à plus de cinq ans.

Art. 56. La prescription dans les cas ci-dessus a lieu, quoiqu'il y ait eu continuation de fournitures, livraisons, services et travaux.

Elle ne cesse de courir que lorsqu'il y a eu un compte arrêté, cédule ou obligation, ou citation en justice non périmée.

Art. 57. Néanmoins ceux auxquels ces prescriptions seront opposées peuvent déférer le serment à ceux qui les opposent, sur la question de savoir si la chose a été réellement payée.

Le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers ou aux tuteurs de ces derniers, s'ils sont mineurs, pour qu'ils aient à déclarer s'ils ne savent pas que la chose soit due.

Art. 58. Les juges et avoués sont déchargés des pièces cinq ans après le jugement des procès.

Les huissiers après deux ans, depuis l'exécution de la commission, ou la signification des actes dont ils étaient chargés, en sont pareillement déchargés.

Art. 59. Les arrérages de rentes perpétuelles ou viageres;

Ceux des pensions alimentaires;

Les loyers des maisons et le prix de ferme des biens

ruraux;

Les intérêts des sommes prêtées, et généralement tout ce qui est payable par année, ou à des termes périodiques plus courts,

Se prescrivent par cinq ans.

Art. 60. Les prescriptions dont il s'agit dans les articles de la présente section courent contre les mineurs et interdits, sauf leur recours contre leurs tuteurs.

Art. 61. En fait de meubles la possession vaut titre. Néanmoins celui qui a perdu, ou auquel il a été volé une chose, peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve, sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient.

Art. 62 Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue, l'a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté.

Art. 63. Les prescriptions commencées à l'époque de la publication du présent titre seront réglées conformément aux lois anciennes.

Néanmoins les prescriptions alors commencées, et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les anciennes fois, plus de trente ans, à compter de la même époque, seront accomplies par ce laps de trente ans.

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ont négligé, pendant le temps que la loi a fixé, d'exercer leurs droits.

A la seule idée de prescription, il semble que l'équité doive s'alarmer; il semble qu'elle doive repousser celui qui, par le seul fait de la possession, et sans le consentement du propriétaire, prétend se mettre à sa place, ou qu'elle doive condamner celui qui, appelé à remplir son engagement d'une date plus ou moins reculée, ne présente aucune preuve de sa libération. Peut-on opposer la prescription et ne point paraître dans le premier cas un spoliateur, et dans le second un débiteur de mauvaise foi, qui s'enrichit de la perte du créancier?

Cependant, de toutes les institutions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire à l'ordre social; et loin qu'on doive la regarder comme un écueil où la justice soit forcée d'échouer, il faut, avec les philosophes et avec les jurisconsultes, la maintenir comme une sauvegarde nécessaire au droit de propriété.

Des considérations sans nombre se réunissent pour légitimer la prescription.

La propriété ne consista d'abord que dans la possession, et le plus ancien des axiomes de droit est celui qui veut que, dans le doute, la préférence soit accordée au possesseur : Melior est causa possidentis.

Posséder est le but que se propose le propriétaire posséder est un fait positif, extérieur et continu, qui indique la propriété. La possession est donc à la fois l'attribut principal et une preuve de la propriété.

Le temps, qui sans cesse et de plus en plus établit et justifie le droit du possesseur, ne respecte aucun des autres moyens que les hommes ont pu imaginer pour constater ce droit. Il n'est point de dépôt, il n'est point de vigilance qui mette les actes publics ou privés à l'abri des événements dans lesquels ils peuvent être perdus, détruits, altérés, falsifiés. La faux du temps tranche de mille manières tout ce qui est l'ouvrage des hommes.

Lorsque la loi protectrice de la propriété voit d'une part le possesseur qui, paisiblement et publiquement a joui pendant un long temps de toutes les prérogatives qui sont attachées à ce droit, et que, d'une autre part, on invoque un titre de propriété resté sans aucun effet pendant le même temps, un doute s'élève à la fois contre le possesseur qui ne produit pas de titre, et contre celui qui représente un titre dont on ne saurait présumer qu'il n'eût fait aucun usage, s'il n'y eût pas été dérogé, ou s'il n'eût pas consenti que le possesseur actuel lui succédât.

Comment la justice pourra-t-elle lever ce doute? Le fait de la possession n'est pas moins positif que le titre; le titre sans la possession ne présente plus le même degré de certitude; la possession démentie par le titre perd une partie de sa force : ces deux genres de preuves rentrent dans la classe des présomptions. Mais la présomption favorable au possesseur s'accroît par le temps en raison de ce que la présomption qui naît du titre diminue. Cette considération fournit le seul moyen de décider que la raison et l'équité puissent avouer : ce moyen consiste à n'admettre la présomption qui résulte de la possession que quand elle a reçu du temps une force suffisante pour que la présomption qui naît du titre ne puisse plus la balancer.

Alors la loi elle-même peut présumer que celui qui a le titre a voulu perdre, remettre où aliéner ce qu'il a laissé prescrire.

C'est donc dans la fixation du temps nécessaire pour opérer la prescription qu'il faut, avec tous les calculs et sous tous les rapports de l'équité, trouver les règles qui puissent le moins compromettre le droit réel de propriété. Ces règles doivent par ce motif être différentes suivant la nature et l'objet des biens.

Si ensuite l'équité se trouve blessée, ce ne peut être que dans des cas particuliers. La justice générale est rendue et dès lors les intérêts privés qui peuvent être lésés doivent céder à la nécessité de maintenir l'ordre social.

Mais ce sacrifice exigé pour le bien public ne rend que plus coupable dans le for intérieur celui qui, ayant usurpé, ou celui qui, étant certain que son engagement n'a pas été rempli, abuse de la présomption légale. Le cri de sa conscience, qui lui rappellera sans cesse son obligation naturelle, est la seule ressource que la loi puisse laisser au propriétaire, ou au créancier qui aura laissé courir contre lui la prescription.

S'il en était autrement, il n'y aurait aucun terme après lequel on pût se regarder comme propriétaire ou comme affranchi de ses obligations; il ne resterait au législateur aucun moyen de prévenir ou de terminer les procès; tout serait incertitude et confusion.

Ce qui prouve encore plus que les prescriptions sont un des fondements de l'ordre social, c'est qu'on les trouve établies dans la législation de tous les peuples policés.

Elles furent en usage chez les Romains, dans les temps les plus reculés; leurs lois n'en parlent que comme d'une garantie nécessaire à la paix publique: Bono publico usucapio introducta est, ne scilicet quarumdam rerum diu et fere semper incerta dominia essent, cùm sufficeret dominis ad inquirendas res suas statuti temporis spatium (leg. 1, ff, de Usurp. et Usuc.). La prescription est mise, dans ces lois, au nombre des aliénations de la part de celui qui laisse prescrire. Aliénationis verbum etiam usucapionem continet. Vix est enim ut non videntur alienare qui patitur usucapi (leg. 28, ff, de Verb. signif.). On y donne à la prescription la même irrévocabilité qu'à l'autorité des jugements, qu'aux transactions. Ut sunt judicio terminata, transactione composita, longioris temporis silentio finita (leg. 23, ff, de Verb. signif.).

La nécessité des prescriptions, leur conformité avec les principes d'une sévère justice, seront encore plus sensibles par le développement des règles qui font la matière du présent titre du Code civil.

On y a d'abord établi celles qui sont relatives à la prescription en général.

On considère ensuite plus spécialement la nature et les effets de la possession.

On y énonce les causes qui empêchent la prescription, celles qui l'interrompent ou la suspendent.

On finit par déterminer le temps nécessaire pour prescrire.

Après avoir, dans les dispositions générales, indiqué la nature et l'objet de la prescription, on a réglé dans quels cas on peut renoncer à s'en prévaloir.

Lorsque le temps nécessaire pour prescrire s'est écoulé, on peut renoncer au droit ainsi acquis, pourvu que l'on ait la capacité d'aliéner; il ne peut y avoir à cet égard aucun doute.

Mais cette faculté que chacun a de disposer de ses droits peut-elle être exercée relativement à la prescription avant qu'elle ait eu son cours? Celui qui contracte un engagement peut-il stipuler que

ni lui ni ses représentants n'opposeront cette exception?

Si cette convention était valable, la prescription ne serait plus pour maintenir la paix publique qu'un moyen illusoire: tous ceux au profit desquels seraient les engagements ne manqueraient pas d'exiger cette renonciation.

S'agit-il d'une obligation? La prescription est fondée sur la plus forte présomption d'une libération effective: non-seulement`la loi intervient pour celui qui, ayant succédé au débiteur, peut présumer que ce dernier s'est acquitté, mais encore elle vient au secours du débiteur lui-même qui, s'étant effectivement acquitté, n'a plus le titre de sa libération. Comment croire que celui qui renoncerait à la prescription eût entendu s'exposer, lui ou ses représentants, à payer plusieurs fois? Ce serait un engagement irréfléchi et désavoué par la raison.

S'agit-il de la prescription d'un fonds? S'il a été convenu entre deux voisins que l'un posséderait le fonds de l'autre, sans pouvoir le prescrire, ce n'est point de la part de celui au profit duquel est la stipulation une renonciation à la prescription; c'est une reconnaissance qu'il ne possèdera point à titre de propriétaire, et nul autre que celui qui possède à ce titre ne peut prescrire.

Observez encore que, la prescription étant nécessaire pour maintenir l'ordre social, elle fait partie du droit public, auquel il n'est pas libre à chacun de déroger: Jus publicum pactis privatorum mutari non potest (leg. ff, de Pactis).

La prescription n'est, dans le langage du barreau, qu'une fin de non-recevoir, c'est-à-dire qu'elle n'a point d'effet, si celui contre lequel on veut exercer le droit résultant d'une obligation, ou contre lequel on revendique un fonds, n'oppose pas cette exception.

Telle, en effet, doit être la marche de la justice: le temps seul n'opère pas la prescription; il faut qu'avec le temps concourent ou la longue inaction du créancier, ou une possession telle que la loi l'exige.

Cette inaction, ou cette possession, sont des circonstances qui ne peuvent être connues et vérifiées par les juges que quand elles sont alléguées par celui qui veut s'en prévaloir.

Mais aussi la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant le tribunal d'appel; le silence à cet égard pendant une partie du procès peut avoir été déterminé par l'opinion que les autres moyens étaient suffisants, et le droit acquis par la prescription n'en conserve pas moins toute sa force jusqu'à ce que l'autorité de la chose définitivement jugée par le tribunal d'appel ait irrévocablement fixé le sort des parties.

Cette règle doit néanmoins se concilier avec celle qui admet la renonciation même tacite à la prescription acquise. Cette renonciation résulte de faits qui supposent l'abandon du droit. Ainsi, quoique le silence de celui qui, avant le jugement définitif, n'a pas fait valoir le moyen de prescription ne puisse seul lui être opposé, les juges auront à examiner si les circonstances ne sont point telles que l'on doive en induire la renonciation tacite au droit acquis.

Ce serait une erreur de croire que la prescription n'a d'effet qu'autant qu'elle est opposée par celui qui a prescrit, et que c'est au profit de ce dernier une faculté personnelle. La prescription établit ou la libération, ou la propriété; or les créanciers peuvent, ainsi qu'on l'a déclaré au titre des obligations, exercer les droits et les actions de leurs

débiteurs, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne; la conséquence est que les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer, quoique le débiteur ou le propriétaire y renonce.

La prescription est un moyen d'acquérir: on ne peut acquérir et conséquemment on ne peut prescrire que les choses qui sont dans le commerce, c'est-à-dire qui sont susceptibles d'être exclusivement possédées par les individus.

Mais a-t-on dû regarder comme n'étant point dans le commerce les biens et les droits appartenant à la nation, à des établissements publics, ou à des communes?

A l'égard des domaines nationaux, si dans l'ancien régime ils étaient imprescriptibles, c'était une conséquence de la règle suivant laquelle ils ne pouvaient en aucune manière être aliénés. On induisait de cette règle que le domaine ne pouvait être possédé en vertu d'un titre valable et sans mauvaise foi; que cette possession ne pouvait être imputée qu'à la négligence des officiers publics, et que cette négligence ne devait pas entrainer la perte des biens nécessaires à la défense et aux autres charges de l'Etat.

La règle de l'inaliénabilité a été abrogée pendant la session de l'Assemblée constituante, par des considérations de bien public qui ne sauraient être méconnues.

Les lois multipliées qui autorisent la vente des domaines anciens et nouveaux, les aliénations générales faites en exécution de ces lois, et l'irréVocabilité de ces aliénations prononcée dans les chartes constitutionnelles, ont dù faire consacrer, dans le Code civil, comme une règle immuable, celle qui, en mettant ces domaines dans le commerce, les assujettit aux règles du droit commun sur la prescription.

Ces règles, étant applicables pour ou contre la nation, doivent à plus forte raison être observées à l'égard des établissements publics et des communautés.

Pour que la possession puisse établir la prescription, elle doit réunir tous les caractères qui indiquent la propriété; il faut qu'il ne puisse y avoir, sur le fait même de cette possession, aucun équivoque; il faut qu'elle soit publique, qu'elle soit paisible, qu'elle soit continue et non interrompue pendant le temps que la loi a fixé.

La possession en général est la détention d'une chose, ou la jouissance d'un droit que nous tenons, ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui tient cette chose, ou qui exerce ce droit en notre nom.

Cette possession par soi-même, ou par autrui, est un fait qui ne peut pas d'abord établir un droit, mais qui indique la qualité de propriétaire. Cette indication serait illusoire, si celui qui a la possession pouvait être évincé autrement que par la preuve qu'il possède au nom d'autrui, ou qu'un autre a la propriété.

Quand on a commencé à posséder pour autrui, doit-on être toujours présumé posséder au même titre ?

L'une des plus anciennes maximes de droit est que nul ne peut, ni par sa volonté, ni par le seul laps de temps, se changer à soi-même la cause de sa possession: Illud a veteribus præceptum est, neminem sibi ipsi causam possessionis mutare posse. (Leg. 3, 2 19, ff., de Acquir. possess.). Ainsi le fermier, l'emprunteur, le dépositaire, seront toujours censés posséder au même titre. Le motif est que la détention ne peut être

à la fois pour soi et pour autrui; celui qui détient pour autrui perpétue et renouvelle à chaque instant la possession de celui pour lequel il détient, et le temps pendant lequel on peut détenir pour autrui étant indéfini, on ne saurait fixer l'époque où celui pour lequel on détient serait dépossédé.

La règle suivant laquelle on est toujours présumé posséder au même titre, doit être mise au nombre des principales garanties du droit de propriété.

Cette présomption ne doit céder qu'à des preuves positives.

Tel serait le cas où le titre de la possession de celui qui tient pour autrui se trouverait interverti.

Ce titre peut être interverti par une cause provenant d'une tierce personne.

Il peut l'être par le possesseur à titre de propriétaire, s'il transmet cette espèce de possession à la personne qui ne tenait que précairement.

Enfin la personne même qui tient au nom d'autrui peut intervertir le titre de sa possession, soit à son profit par la contradiction qu'elle aurait opposée au droit du possesseur à titre de propriétaire, soit au profit d'un tiers auquel ce détenteur aurait transmis la chose par un titre translatif de propriété.

Le successeur à titre universel de la personne qui tenait la chose pour autrui n'a point un nouveau titre de possession. Il succède aux droits tels qu'ils se trouvent; il continue donc de posséder pour autrui, et conséquemment il ne peut pas prescrire.

Mais le successeur à titre universel et le successeur à titre singulier diffèrent en ce que celui-ci ne tient point son droit du titre primitif de son prédécesseur, mais du titre qui lui a été personnellement consenti. Ce dernier titre peut donc établir un genre de possession que la personne qui l'a transmis n'avait pas.

Cette règle n'a donc rien de contraire à celle suivant laquelle nul ne peut transmettre plus de droit qu'il n'en a. Le titre translatif de propriété donné par celui qui n'est pas propriétaire ne transmet pas le droit de propriété; mais la possession, prise en conséquence de ce titre, est un fait absolument différent de la détention au nom d'autrui, et dès lors cette possession continuée pendant le temps réglé par la loi peut établir le droit résultant de la prescription.

Il faut encore, lorsqu'on dit que nul ne peut prescrire contre son titre, distinguer la prescription comme moyen d'acquisition de celle qui est un moyen de libération. Celui qui acquiert en prescrivant ne peut se changer à lui-même la cause et le principe de sa possession, et c'est de lui que l'on dit proprement qu'il ne peut pas prescrire contre son titre.

Mais s'il s'agit de la libération par prescription, cette prescription devient la cause de l'extinction du titre, et alors on prescrit contre son titre en ce sens qu'on se libère, quoiqu'il y ait un titre.

Les actes de pure faculté, ceux de simple tolérance, ne peuvent pas être considérés comme des actes de possession, puisque ni celui qui les fait n'entend agir comme propriétaire, ni celui qui les autorise n'entend se dessaisir.

Celui qui, pour acquérir la possession, en a dépouillé par violence l'ancien possesseur, a-t-il pu se faire ainsi un titre pour prescrire?

La loi romaine excluait toute prescription jusqu'à ce que la personne ainsi dépouillée eût été rétablie en sa possession, et celui même qui

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