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vie politique, et la République n'a rien à gagner à ce réveil de l'esprit démagogique. On la jugera dans le monde par sa conduite dans cette période difficile de la transmission des pouvoirs. Elle aura beaucoup fait pour elle-même si elle sait la traverser avec calme, et elle n'y parviendrait point en face d'une démocratie ardente, livrée sans défense aux excitations journalières d'une presse anarchique.

Toutes ces considérations avaient paru décisives à la commission pour le rejet de la proposition de M. Pascal Duprat.

Venant ensuite à la proposition de M. Baze, la commission avait pensé que la faculté dont était investie aujourd'hui l'administration d'autoriser ou d'interdire la distribution et le colportage des écrits de tout genre présentait des inconvénients, même pour le pouvoir, en le rendant de fait, et malgré lui, responsable de ce que contiennent les journaux autorisés. L'utilité de ce pouvoir, soit pour le gouvernement, soit pour le public, n'avait pas paru à la commission de nature à balancer ses inconvénients. L'autoriié aurait lieu de se plaindre, disait le rapport, si la loi la laissait désarmée et sans puissance pour les jours de crise. L'œuvre de la commission serait de prévoir ces difficultés et de conserver au gouvernement les moyens d'y pourvoir. La proposition n'y apportait aucun obstacle; la commission proposait, en conséquence, de la prendre en considération.

L'Assemblée avait donc à choisir entre deux systèmes ; l'un soutenu par MM. Frichon et Pascal Duprat, proposait d'accorder aux journaux une liberté égale et absolue pour la vente sur la voie publique; l'autre, résultant de la proposition de M. Baze, tendait à interdire cette vente d'une manière générale. Le premier voulait l'égalité dans la liberté, le second l'égalité dans la prohibition.

Bien qu'il s'agit d'une question importante et par les principes de liberté qui s'y trouvaient engagés et par certains faits qui s'y rattachaient spécialement, lesquels avaient à différentes reprises, éveillé toutes les susceptibilités de l'Assemblée et appelé son attention sur l'usage fait par l'administration, du droit d'autoriser que lui accordait la loi, le débat prolongé durant toute une séance n'eut pas l'intérêt qu'il semblait devoir offrir. On remarquait

déjà que des questions qui auraient autrefois tenu une place considérable dans les débats parlementaires, pouvaient à peine pendant quelques heures attacher l'Assemblée, soit que prévoyant des jours plus orageux, celle-ci réservât sa passion pour ces moments suprêmes, soit aussi peut-être que la discussion manquât d'un éclat suffisant. Il est certain que les illustrations parlementaires, après s'être, presque sans exception, prodiguées dans la grande lutte du mois de janvier, se retiraient dans l'ombre, à droite aussi bien qu'à gauche, comme si elles voulaient conserver toutes leurs forces pour une occasion décisive. Des orateurs, qui, dans cette nouvelle discussion parlèrent au nom de l'opposition avec une certaine force, n'avaient ni cette autorité de parole, ni cette supériorité d'éloquence qui élèvent et agrandissent les questions, qui excitent et font éclater les ardeurs politiques.

Le terrain de la discussion spéciale fut plus d'une fois dépassé. A un horizon assez rapproché apparaissaient des questions très-hautes, dont quelques orateurs impatients voulurent prendre les prémices. Récriminations sur le passé, menaces et terreurs de l'avenir défrayèrent cette conversation parlementaire dont le résultat, prévu à l'avance, fut le rejet de la proposition Pascal Duprat, par 406 voix contre 226, et la prise en considération de la proposition Baze (24 avril).

Cette décision de l'Assemblée ne vidait pas le débat engagé. La proposition Baze, soutenue par une fraction importante de la droite de l'Assemblée, adoptée avec restrictions par le ministère, pouvait donner lieu à des explications graves. La difficulté fut ́ ajournée. Le rejet de la proposition de M. Pascal Duprat n'avait fait que déblayer le terrain de la lutte.

Au fond, il s'agissait, entre le ministère et une partie de la majorité, beaucoup moins d'une question de liberté théorique, que de la situation spéciale faite à certains journaux qui soulevaient avec vigueur, et souvent avec habileté, une polémique ardente contre la loi du 31 mai.

Quelques jours avant, le 3 avril, l'Assemblée avait repoussé, par 426 voix contre 213, la prise en considération d'une propo sition de quelques représentants montagnards, ayant pour objet le libre exercice des professions d'imprimeur et de libraire.

dans la presse et dans le pays lui-même, des adversaires nombreux. Sans parler des démocrates contre qui elle avait été faite, des légitimistes reprochaient à cette loi d'atteindre plus de deux millions de cultivateurs paisibles. Beaucoup de conservateurs avouaient que la loi avait dépassé leurs intentions. Déjà on disait qu'elle avait été votée un peu à la hâte, et sans qu'on pût se rendre compte des résultat qu'elle produirait. Pour nous, ajoutaientils, si nous l'avons soutenue, c'était afin de faire cause commune avec toutes les fractions de la majorité. Aujourd'hui, fallait-il se cramponner à une loi qui ne permettrait plus au prince Louis Bonaparte, s'il était déclaré rééligible par une nouvelle constituante, de retrouver les six millions de suffrages qui l'avaient porté une première fois à la présidence. Le Constitutionnel, organe de ce parti, expliquait, du reste, que cette crainte n'était ni la seule, ni même la principale cause de son opposition. Il demandait le rappel de la loi du 31 mai, afin d'enlever à la démagogie un prétexte d'insurrection. Tous les journaux rouges déclarent, s'écriait-il, qu'en 1852 les citoyens exclus du scrutin réclameront leur droit à main armée; rendons cette menace impossible en rapportant nous-mêmes la loi qui sert de prétexte à nos ennemis.

Quelle que fût l'opinion des partis sur la loi elle-même, l'énormité des résultats qu'elle avait donnés ne pouvait être mise en doute.

Le 21 février, M. le ministre de l'intérieur avait adressé à la commission parlementaire, chargée de l'examen des propositions relatives à la réforme électorale, le résumé des résultats donnés par l'exécution de la loi du 31 mai 1850.

Voici ces résultats :

Électeurs inscrits au 31 mars 1850 dans les quatre-vingt-six départements, en exécution de la loi du 15 mars

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Voici la décomposition des nouvelles listes par catégories d'électeurs :

Inscrits comme payant la taxe personnelle depuis trois

ans.

ou 74 3711 p. 010.

Électeurs mis personnellement au rôle de la prestation en nature pour les chemins vicinaux, quoique ne payant pas la contribution personnelle. c'est-à-dire 6 314 p. 010.

5,028,973

449,221

Inscrits comme descendants majeurs vivant dans la maison paternelle.

546,545

c'est-à-dire 8 129 p. 020.

Comme majeurs servant habituellement chez leurs maîtres et demeurant depuis trois ans dans la même maison.

c'est-à-dire 1 718 p. 010.

Inscrits comme majeurs travaillant habituellement chez leur patron et habitant depuis trois ans la maison de leur patron ou dans les bâtiments d'exploitation.

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Inscrits comme militaires présents sous les drapeaux dans les armées de terre et de mer.

ou 5 314 p. 010.

Total.

124,236

35,466

110,304

32,492

388,946

6,711,189

On remarque entre ce total et celui indiqué plus haut (6 millions 809,281) une différence de 98,095. Ce chiffre représente les électeurs du département d'Ille-et-Vilaine, qui n'avaient pu être classés en temps utile.

Quant aux individus exclus en vertu des dispositions des articles 8 et 9 de la loi, le ministre déclarait que la majeure partie des maires n'avaient pas compris leurs instructions ou avaient

négligé de réunir les renseignements demandés; il avait donc été impossible aux préfets de donner des chiffres satisfaisants.

On ne s'étonnera pas, en voyant ces chiffres significatifs, si des conservateurs sincères désiraient que des modifications fussent introduites, avant les élections de 1852, dans les dispositions d'une loi qui avait pu être utile dans un moment de crise, mais qui se montrait si radicale à l'application.

Quant à la Constitution, elle trouvait des adversaires ardents dans tous les partis, excepté dans le parti républicain.

Les uns lui imputaient toutes les difficultés de la situation, et s'en prenaient à la Constitution, faute de pouvoir s'attaquer ouvertement à la République elle-même.

Jamais, disaient-ils, la marche du gouvernement représentatif n'a été plus pénible, plus laborieuse, plus tourmentée, que sous l'empire de cette Constitution qui a prétendu tout simplifier et tout aplanir. Jamais l'union n'a été plus difficile à maintenir, jamais les divisions n'ont été plus fréquentes entre les pouvoirs de l'État que sous cette république dite une et indivisible. Le mot conflit est le terme le plus usuel du nouveau vocabulaire politique. Il n'y a qu'une Chambre, il est vrai, mais cette Chambre unique est divisée en quatre ou cinq partis principaux, incapables de se rallier dans une pensée commune. La République est donc ce qui nous divise le plus.

L'article 111 disposant que l'Assemblée nationale ne pourrait exprimer le vœu même de la révision que dans la dernière année de la législature, et que le vœu de l'Assemblée ne pourrait être converti en résolution définitive qu'après trois délibérations consécutives, prises chacune à un mois d'intervalle et aux trois quarts des suffrages exprimés, cet article n'était-il pas en contradiction manifeste avec le principe fondamental de la République.

Qu'est-ce en effet, disait-on, qu'une constitution dans une république? qu'a-t-elle le droit de faire, et que fait-elle ? Elle règle la forme du gouvernement et les attributions des pouvoirs publics. Mais est-ce qu'elle peut engager la nation elle-même, pour qui elle est une grande garantie, et non un frein? Une telle Constitution n'a pas, comme les chartes monarchiques, le caraċ

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