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tère d'un contrat entre un roi et ses sujets. Elle ne peut pas être un contrat de la nation avec elle-même. Un peuple, pas plus qu'un individu, ne saurait s'engager envers soi-même. Aussi l'article 1er de cette Constitution dit-il, que la souveraineté réside dans l'universalité des Français, et qu'elle est imprescriptible et inaliénable. Imprescriptible et inaliénable, cette souveraineté peut donc changer quand elle le veut ses institutions. Ses mandataires, qui ne sauraient supprimer son droit à cet égard, ne sauraient davantage le suspendre. Sans quoi, il y aurait un temps pendant lequel la souveraineté imprescriptible se trouverait prescrite, la souveraineté inaliénable serait aliénée.

Ce raisonnement est assurément irrécusable. Les membres de nos anciennes assemblées révolutionnaires en concluaient que le peuple doit être armé d'un droit d'initiative directe pour provoquer le changement de sa constitution, quand il croit cette mesure nécessaire à son salut et à son bien-être. Si, sous le principe de la souveraineté nationale, ce droit n'existe pas, c'est qu'il est difficile, peut-être impossible à organiser; mais si le peuple n'a pas ce'droit, ses représentants doivent au moins s'imposer le devoir de rester toujours libres de le consulter. Comment! les mandataires du souverain se lieraient les mains, quand il s'agit, de quoi faire? de lui demander sa volonté. Vous entourez de précautions dérisoires et de dangereux délais, votre propre recours au peuple. Mais, sous prétexte de respecter son repos, ne cherchez-vous pas au contraire un moyen de vous soustraire temporairement à sa souveraineté, et d'y substituer la vôtre ?

Ce qu'on disait du droit de révision, on le disait également de toute solution déférée à l'arbitrage supérieur de la nation. Rééligibilité d'un président que la Constitution déclare inéligible, dissolution avant trois ans d'une assemblée triennale, tout cela est aussi inattaquable qu'une révision de la Constitution, faite en dehors des formalités inscrites dans l'art. 111, parce qu'aucune de ces choses ne se peut faire sans un recours au souverain. Or, ce que le peuple met dans ses votes, il le met par cela même dans la Constitution et le rend inviolable au premier titre. Ces principes sont le fond même du droit public actuel, et on ne comprendrait pas que des hommes se disant républicains les pussent

nier, si on ne savait que ces principes peuvent fournir des solutions pacifiques à une situation périlleuse, pour laquelle la Constitution n'en donne pas.

Ainsi donc les constituants de 1848 avaient méconnu le principe de la souveraineté nationale, quand ils avaient hérissé de difficultés de procédure, le droit inaliénable de révision. Ils l'avaient méconnu encore, quand ils avaient imposé des restrictions au droit qu'a la nation de choisir qui elle veut pour son chef. Eh quoi ! la nation est souveraine, dites-vous, elle ne fait qu'un acte de souveraineté, un seul, et vous osez limiter sa liberté ! Encore une fois ce que le peuple met dans ses votes, il le met par là même dans la Constitution. Avouez donc loyalement que vous avez voulu enfermer la société dans une impasse, la tuer par ses institutions.

A cette revendication du droit de la nation, le parti démocra– tique répondait, non sans quelque raison est-ce bien à vous qui avez nié pendant si longtemps la souveraineté du peuple, qui ne l'avez acceptée que comme une nécessité de circonstance, est-ce bien à vous de l'invoquer contre ceux-là même qui l'ont fait prévaloir? Par cela même que vous l'invoquez aujourd'hui, nous soupçonnons à bon droit un piége sous votre zèle inattendu. Voulez-vous donc, d'ailleurs, la perpétuelle mobilité des constitutions? On ne saurait s'arrêter dans cette voie. Si vous touchez à l'œuvre de vos devanciers, vous encouragez vos successeurs à mépriser la vôtre. Ce sera toujours à recommencer.

Nous l'avouons, disaient les représentants des diverses espérances monarchiques, le principe qui domine aujourd'hui a été établi sans nous, contre nous. Mais, s'il nous protége, que nous puissions au moins en revendiquer l'application complète. Est-ce bien à vous de nous le reprocher, vous qui en avez si souvent appelé à la souveraineté du peuple contre des institutions sous l'empire desquelles la France vivait calme et prospère. Quand vous niez la souveraineté de droit divin que s'attribuait l'antique monarchie, pouvez-vous attribuer à des constituants quelconques une sorte de droit divin temporaire, en vertu duquel ils enchaîneraient invinciblement à des institutions qui sont leur ouvrage la nation dont ils ne sont que les mandataires? Où auraient-ils puisé

ce droit de régler, par leur volonté d'hier, la volonté nationale de demain? Ce n'est, dira-t-on, qu'une usurpation transitoire dans l'intérêt d'une stabilité relative. Mais vous ne pouvez pas plus usurper à temps qu'usurper à perpétuité sur le peuple. Peu m'importe, d'ailleurs, que vous ayez limité dans un court espace la durée de votre souveraineté arbitraire, si, dans ce court espace, la nation a le temps de souffrir beaucoup et peut-être même de périr.

Telles étaient les raisons données de part et d'autre ; mais, de temps en temps, un mot, ou un acte plus précis, plus brutal révélait les passions personnelles cachées sous ces discussions théoriques. C'étaient comme ces coups de vent qui chassent les nuages amoncelés et découvrent un coin du ciel. La Montagne, au milieu de son activité peu réglée, avait souvent le privilége de ces franchises inattendues.

Parmi ces efforts on a déjà distingué ceux de M. Pascal Duprat qui, avec plus de bonne volonté que d'habileté, proposait d'établir des peines contre quiconque, par des écrits, des discours ou des manœuvres, appuierait la candidature à la présidence de la République de tous ceux dont la constitution interdisait l'élection. La commission d'initiative parlementaire, chargée d'examiner cette proposition, la considéra comme puérile et impuissante. En effet, disait-on, la lacération des bulletins inconstitutionnels pourrait avoir de graves inconvénients; elle se ferait sans contrôle, et, d'un autre côté, au lieu d'en connaître l'importance par voie d'addition, on l'obtiendrait par voie de soustraction. Au surplus, cette proposition serait incomplète; car il ne s'agirait pas seulement de la réélection du Président actuel, qui pourrait passer pour inconstitutionnelle, mais aussi de l'élection d'autres candidats. La Constitution ayant repoussé la république sociale, tout candidat qui se présenterait comme socialiste devrait aussi être réputé candidat inconstitutionnel, et se voir appliquer les mêmes dispositions que M. Pascal Duprat invoquait pour le cas de l'élection du Président de la République.

Pendant que l'Assemblée semblait se recueillir sur le seuil de la discussion suprême de la révision, les partis extrêmes continuaient leur travail de désorganisation sociale.

Les républicains théoriques faisaient chaque jour un pas de plus vers la démocratie anarchique.

C'était, d'un côté, M. Ledru-Rollin qui s'inspirant de J.-J. Rousseau, posait sa solution ainsi conçue: Plus d'Assemblée nationale, le gouvernement direct du peuple par le peuple.

De l'autre, M. Victor Considérant formulait une théorie à peu près semblable: Plus de délégation, exercice direct de la souveraineté du peuple par le peuple.

Enfin, un publiciste allemand, M. Rittinghausen, soutenait que la représentation nationale est un reste de l'ancienne féodalité et une fiction.

Ces trois manifestes surgissant coup sur coup et presque en même temps d'Angleterre, de Belgique et d'Allemagne, avaient causé un certain étonnement. En France, tout le monde n'osait pas encore désespérer du gouvernement représentatif, et l'on s'accordait généralement à ne voir que des utopies dans ces formules pompeuses.

Un écrivain remarquable, M. de Girardin, enchérissait sur ces rêveries, comme pour en montrer le vide :

« Moi aussi j'ai cherché, s'écriait-il, ai-je trouvé? c'est ce que je ne saurais dire; car ce qui caractérise le chercheur, c'est de chercher sans relâche, c'est de chercher toujours. »>

Ce que cherchait surtout le spirituel publiciste, c'était une énormité qui effaçât par son excentricité les théories rivales. Il crut l'avoir trouvée dans une plaisanterie déjà vieillie de M. Proudhon, la suppression radicale de toute autorité.

« MM. Ledru-Rollin, Considérant et Rittinghausen, disait M. de Girardin, professent le culte de la souveraineté nationale; c'est un culte qui me paraît une idolâtrie, une superstition, une

erreur.

» Je place au même rang la souveraineté nationale et la souveraineté royale; la souveraineté monarchique et la souveraineté numérique ; la souveraineté d'un seul et la souveraineté inexactement qualifiée souveraineté de tous; la souveraineté du roi et la souveraineté du peuple. Que veut dire souveraineté? Si j'ouvre le dictionnaire de l'Académie française, je lis: souveraineté, autorité suprême, pouvoir de faire des lois et d'en assurer l'exé

cution. Si je cherche l'étymologie, je trouve : venant de l'italien sovra, ou du latin supra. Faites donc accorder ces mots : souveraineté et égalité! autorité et liberté ! infaillibilité et responsabilité! erreur et vérité ! »

Ainsi M. de Girardin ne voulait d'aucun pouvoir quel qu'il fût, qui fit des lois et qui en assurât l'exécution; il ne voulait pas de lois; pour lui la légalité n'était qu'une camisole de force; il se déclarait, lui aussi, le champion de l'an-archie.

Il est, on se le rappelle, un publiciste qui a soutenu bien avant M. de Girardin, la théorie de l'an-archie, c'est M. Proudhon ; mais ce terrible archer de la dialectique savait bien ce qu'il faisait en lançant sa flèche au delà du but. Il demandait beaucoup pour obtenir quelque chose. Ce qu'il voulait, c'était l'application du selfgovernment tel qu'il s'exerce en Amérique, se refusant à comprendre la différence des mœurs, des races, des circonstances et l'impossibilité d'appliquer à telle société les principes qui régissent telle autre.

Mais, nous l'avons déjà dit, toutes ces discussions philosophiques ne dépassaient pas la surface du parti démocratique. Au fond, on ne sentait que violence haineuse, espérances brutales.

A certains jours, éclatait tout à coup un avertissement significatif, une révélation de dangers mal connus. L'émcute se trompait d'heure.

Le 10 avril, à Aspet (Haute-Garonne), un charivari ayant été donné au juge de paix, la gendarmerie intervient; mais les trois gendarmes qui forment le personnel de la force publique sont hués et menacés. Le maire et ses deux adjoints, au lieu de prêter leur concours à la gendarmerie, se retournent contre elle et lui arrachent ses prisonniers. A cette nouvelle, le préfet de la HauteGaronne fait diriger sur Aspet cent vingt hommes d'infanterie et cinquante chevaux. Le maire et ses deux adjoints sont suspendus, des mandats d'arrestation sont exécutés et vingt-six perturbateurs de l'ordre sont dirigés sur Saint-Gaudens.

Mais là les démagogues s'étaient donné rendez-vous et six ou huit cents émeutiers entouraient la prison, résolus à reprendre les prisonniers de vive force. Le détachement, préfet en tête, fut accueilli par des huées, puis assailli par des pierres. Il fallut, les

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